InfoMIE.net
Informations sur les Mineurs Isolés Etrangers

Accueil > Documentation > Articles > Les mineurs isolés étrangers, broyés dans l’étau institutionnel

Les mineurs isolés étrangers, broyés dans l’étau institutionnel

Publié le lundi 2 novembre 2015 , mis à jour le jeudi 12 novembre 2015

Source : http://www.village-justice.com

Auteur : Adrien Roux Dit Buisson Elève-avocat en droit social

Les mineurs dépourvus de représentants légaux arrivant sur le territoire français sont confrontés à une contestation systématique de leur situation par les départements, qui se délestent ainsi de la mission de protection de l’enfance qui leur est confiée. Malgré d’importants dysfonctionnements mis en exergue au cours des dernières années, la situation perdure.

Suspicion – Phénomène longtemps ignoré par les pouvoirs publics, la présence de mineurs isolés étrangers (MIE) en France n’a fait l’objet d’une prise en compte qu’à partir de la fin des années 90. La forte médiatisation d’évènements tels que l’arrivée de mineurs d’ex-Yougoslavie, de Roumanie ou de Chine dans un contexte lié à la présence de réseaux, de délinquance, mendicité et prostitution a conduit à instaurer un climat de forte suspicion à l’égard des MIE.

Ces évènements ne sont pas représentatifs des MIE, notamment ceux qui bénéficient des mesures de protection auxquelles ils ont droit, qui sont « décrits par les professionnels de la protection de l’enfance comme « gratifiants », « pacificateurs », et montrant une forte volonté d’apprentissage et d’insertion professionnelle » selon un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales de février 2012.

Ceci étant, la prise en charge des MIE s’est construite sur un modèle de méfiance à leur égard, créant un droit spécifique distinct du droit commun des mineurs. Pourtant, la France a ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant, qui prévoit à son article 2 que les Etats s’engagent à garantir les droits énoncés dans la Convention à tout enfant « sans distinction aucune ». Le Comité des droits de l’enfant a d’ailleurs précisé dans son observation générale du 1er septembre 2005 que « la jouissance des droits énoncés dans la Convention n’est pas limitée aux enfants de l’Etat partie ».

En France, Dominique Baudis, Défenseur des droits à l’époque, rappelait à son tour dans sa recommandation n°12012-179 que l’Etat français est lié par les obligations découlant de la Convention à l’égard des MIE comme il l’est à l’égard de tout enfant présent sur son territoire.

Compétence – En outre, se déroule depuis quelques années un bras de fer entre l’Etat et les départements. L’Etat estime que les MIE sont avant tout des enfants, et que les départements sont seuls compétents en matière de protection de l’enfance, comme le prévoit la loi n°86-17 du 6 janvier 1986. Les départements estiment ne pas pouvoir assumer la charge financière des MIE et que cette prise en charge relève de l’accueil d’urgence et à ce titre dépend de l’Etat.

En 2011, Claude Bartolone, alors président du conseil général de la Seine-Saint-Denis, en appelait à la solidarité nationale et annonçait que son département n’accueillerait plus de MIE au titre de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) du fait de la trop forte concentration de MIE dans son département. Ce comportement, qui aurait pu enclencher un débat sur la répartition territoriale des MIE et la solidarité entre les départements, a au contraire conduit plusieurs départements à imiter Claude Bartolone, alors même que certains n’étaient que très peu concernés par les MIE.

A la suite de cet élan d’individualisme au niveau départemental, Christiane Taubira, garde des Sceaux a instauré un dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des MIE, par le biais d’un protocole du 31 mai 2013. Cette circulaire a été la cible d’une requête de plusieurs départements, et le Conseil d’Etat a annulé (très) partiellement la circulaire, confirmant le cœur du dispositif.

Les victimes de cette querelle institutionnelle sont indéniablement les MIE. Évalués et jugés mineurs dans un département, et envoyés dans un autre département, ils peuvent parfaitement être considérés majeurs dans ce département d’accueil, qui procédera parfois à une nouvelle évaluation.

Mayotte – La situation est alarmante : faisant face à des difficultés structurelles conséquentes en matière de protection des MIE, ce département a recours à des procédures d’expulsion expéditives et systématiques des jeunes vers les îles voisines en bafouant les droits les plus élémentaires des mineurs concernés. En dépit des signaux d’alarmes tirés par le secteur associatif et la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, la situation n’a pas évolué.

Mineurs à protéger ou majeurs à jeter – En dépit de ses engagements, la France a créé un système « d’évaluation » dérogatoire au droit commun des mineurs, visant à trier les MIE en fonction de la plausibilité de leur récit et de leurs documents d’identité.

Initialement, tout mineur dépourvu de référents légaux, étranger ou non, pouvait saisir le juge des enfants sur le fondement de l’article 375 du Code civil qui prévoit que le juge peut ordonner des mesures d’assistance éducative lorsque « la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur non-émancipé sont en danger ». Les mesures prévues sont notamment une prise en charge par l’ASE de l’hébergement et de l’accueil dans un établissement éducatif dans le cadre d’une formation.

A Paris, sous l’initiative de Dominique Versini, à l’époque secrétaire d’Etat à la lutte contre la précarité et l’exclusion, a été créé en 2003 un dispositif visant à renforcer la protection des MIE. Ce dispositif est rapidement devenu un entretien de vérification de minorité par la Permanence d’Accueil et d’Orientation des MIE (PAOMIE), gérée depuis 2011 par l’association France terre d’asile. L’ivraie est triée du bon grain par le biais d’évaluations approximatives du récit du jeune et de ses documents (le cas échéant). De nombreux départements ont emboîté le pas en créant des dispositifs locaux à l’image du dispositif Versini.

Les nombreux dysfonctionnements de ce dispositif, tels que des appréciations sur le physique du jeune, sur la validité de ses documents d’identité en dehors de toute expertise documentaire, ou une évaluation hâtive du récit du MIE, ont été pointés du doigt par les associations de défense des jeunes isolés étrangers, ainsi que par le Défenseur des droits.

Si le dispositif parisien a réagi partiellement à ces observations, cela n’est pas le cas d’autres départements, où il apparaît régulièrement des refus d’accorder au jeune la protection à laquelle il a droit au motif qu’il serait trop propre pour être à la rue, trop grand pour être mineur, trop pileux pour avoir l’âge de ses papiers.

Pourtant, l’article 47 du Code civil instaure une présomption d’authenticité des documents d’identité faits à l’étranger. A défaut de preuves de falsification de ces documents, ils sont supposés faire foi de l’identité et de l’âge de leur titulaire. Néanmoins, il arrive régulièrement qu’un jeune en possession de documents d’identité attestant de sa minorité fasse l’objet d’un refus auprès d’un de ces dispositifs d’évaluation, qui arguent d’un doute sur l’authenticité sans pour autant avoir soumis lesdits documents au bureau de la fraude documentaire.

En outre, l’appréciation portée sur le récit du jeune et pouvant conduire à un refus est préoccupante : les refus des dispositifs d’évaluation indiquent souvent que le discours est « lacunaire » ou « stéréotypé ». Pourtant, comme le relève le pédopsychiatre Rahmeth Radjack, responsable d’une consultation « mineurs isolés » à l’hôpital Cochin à Paris, le traumatisme vécu par le jeune avant ou pendant son voyage influera indubitablement sur le déroulé de son récit. Incroyablement, il est attendu du jeune à ce qu’il se confie totalement à des agents d’évaluation qui se positionnent dans une attitude de suspicion à l’égard des moindres détails de son récit. L’hésitation du jeune à se confier sur son parcours et les raisons (souvent intimes) qui l’ont poussé à quitter seul son pays conduiront généralement à une évaluation négative.

Lorsque le jeune fait l’objet d’un refus, il est fréquent que la PAOMIE ou son homologue d’un autre département ne lui remette pas une décision de refus, laissant le jeune en errance. Or l’obtention de la décision de refus est capitale pour lui permettre de passer à l’étape de droit commun de tout mineur en situation de danger : la saisine du juge des enfants.

Incompétence – Le jeune ne peut pas contester la décision de refus de prise en charge par l’ASE devant le juge administratif, alors même que cette décision émane de l’administration. En effet, le Conseil d’Etat a indiqué dans son arrêt du 1er juillet 2015 que la juridiction administrative était incompétente en la matière, sous prétexte que le mineur en question n’a pas capacité à agir du fait de sa minorité, ajoutant qu’il existe la possibilité pour le jeune de saisir le juge des enfants, considérant même que cette possibilité constitue « une voie de recours dont l’intéressée disposait », créant une confusion entre deux procédures ayant des objets différents.

Comme l’indique Jean-Luc Rongé, Directeur de publication du Journal du Droit des Jeunes, le Conseil d’Etat déleste ainsi les juridictions administratives du contentieux relatifs aux MIE, tout en sachant que le juge des enfants n’est pas non plus compétent pour apprécier le refus de l’administration.

Le jeune se retrouve alors démuni face à cette décision de refus lui déniant l’accès à l’ASE, ne pouvant la contester ni devant le juge administratif qui le considère mineur au regard de sa capacité à agir, ni devant le juge judiciaire qui ne peut se prononcer sur la légalité d’une décision administrative. Il n’a d’autre choix que de saisir le juge des enfants sur le fondement de l’article 375 du Code civil, procédure qui dure parfois plusieurs mois pendant lesquels il n’aura ni hébergement ni moyens de subsistance.

Ce système de tri orchestré par les départements, l’autorité judiciaire et l’autorité administrative conduisent à ce que de nombreux jeunes fassent l’objet d’un refus et soient ainsi condamnés à errer dans les rues en attendant de pouvoir rencontrer le juge des enfants. Il est impossible de savoir précisément combien de MIE se retrouvent à la rue pendant plusieurs mois.

Ce jeune, que ni le département, ni l’Etat, ni les juges ne veulent prendre en charge est très souvent âgé entre 16 et 18 ans. Chaque jour qui passe est crucial pour l’insertion sociale et professionnelle du jeune, qui ne pourra plus demander à être pris en charge lorsqu’il aura 18 ans.

Audience – Lorsque le jeune est présenté au juge des enfants, ce dernier dispose d’une marge de manœuvre considérable pour contourner la présomption d’authenticité des documents d’identité du jeune, du fait de la formulation large du deuxième alinéa de l’article 47 du Code civil, qui dispose que « sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ». Ainsi, il est régulièrement ordonné un examen osseux, alors même que le jeune dispose de documents attestant de sa minorité.

C’est le cas d’I., un jeune garçon qui a fui le Pakistan à la suite d’une violente rixe. La Cour d’appel a confirmé la décision du juge des enfants, estimant d’une part que son récit est « flou et stéréotypé, difficilement crédible et peu sincère ». Le mépris accordé au récit du jeune n’est manifestement pas l’apanage de l’administration. La Cour d’appel avait pourtant souligné que « le bureau de la fraude documentaire ne détectait aucune trace de falsification sur le « birth certificate » transmis par l’intéressé ; il était indiqué qu’il s’agissait d’un document authentique ».

Malgré cette authentification formelle, un examen de détermination d’âge osseux était parallèlement diligenté, et concluait à un âge supérieur à 18 ans. Cette technique d’examen, parfois improprement nommée « expertise osseuse », a été mise au point à des fins médicales dans les années 1930 à partir des caractéristiques morphologiques de personnes nord-américaines. Son utilisation à des fins judiciaires a été contestée par le Comité national consultatif d’éthique, le Comité des droits de l’enfant des Nations-Unies, l’Académie nationale de médecine, le Haut conseil de la santé publique, la Commission Nationale Consultative des Droits de Homme, le Défenseur des droits et plus généralement l’ensemble de la communauté médicale et judiciaire. Le professeur Diamant-Berger, chef du service médico-judiciaire de l’Hôtel-Dieu à Paris, déclarait dès le début des années 2000 que la méthode n’était pas scientifiquement satisfaisante. Selon l’ensemble de la communauté scientifique, cette méthode ne peut pas permettre de déterminer l’âge d’un adolescent entre 16 et 18 ans, la marge d’erreur se situant aux alentours de 18 mois. Pour autant, l’Administration n’a pas renoncé à utiliser cette technique, la circulaire Taubira précisant que les tests osseux peuvent être pratiqués « en dernier recours ».

Les documents ayant été authentifiés par le bureau de la fraude documentaire, I. pouvait légitimement s’attendre à ce que l’article 47 du Code civil soit appliqué. Pourtant, par une motivation très lacunaire et stéréotypée, le juge va écarter l’article 47 du Code civil en précisant que le document, « s’il est authentique, ne permet pas de le rattacher de façon certaine à sa personne ». Et de se rapporter aux conclusions du « rapport médical » pour rejeter l’appel de I. et lui refuser la protection à laquelle il pouvait prétendre. 7 mois plus tard, I. vit toujours dans la rue, et a dû arrêter le lycée, ne réussissant pas à combiner scolarité et survie.

Conclusion – Rejetés par les départements, ignorés par l’Etat, renvoyés par le juge administratif au juge judiciaire et inversement, les mineurs isolés étrangers sont laissés pour compte. Le traumatisme vécu par ces jeunes avant et pendant leur voyage pour rejoindre la France est minimisé par l’attitude suspicieuse et expéditive des services d’accueil, et ne peut qu’être aggravé dans ces conditions. Le pays des Droits de l’Homme a encore un long chemin pour être à la hauteur de ses engagements.

Bibliographie :

- Journal du droit des jeunes : o Agir Ensemble pour les Droits de l’Enfant – Résumé du rapport AEDE, 2015 n°345-346 o Droit des étrangers, 2015 n°341 o Décision du défenseur des droits n°MDE 2014-127, 2014 n°338-339 o Rapport IGSJ – IGAS d’évaluation du dispositif « Mineurs isolés » - un rapport froid et déshumanisé, 2014 n°338-339 o D’une chambre à l’autre : l’hébergement en hôtel des « jeunes sous protection », Jean-Luc Rongé, 2014 n°333 o Mineurs Isolés Etrangers : Face à l’arbitraire et l’abus d’autorité – la responsabilité administrative, civile et pénale des départements, Jean-Luc Rongé, 2013 n°327 o Le défenseur des droits prend la défense des mineurs isolés étrangers, Dominique Baudis, 2013 n°321 o Une absence volontaire de protection : les mineurs isolés étrangers victimes de maltraitance institutionnelle, Jean-Luc Rongé, 2012 n°311
- ERES, « Enfances & Psy », L’accueil des mineurs isolés étrangers : un défi face à de multiples paradoxes, Rahmeth Radjack, Sabrina Hieron, Laure Woestelandt, Marie Rose Moro, 2015 n°67
- Revue européenne des migrations nationales, Analyse d’une catégorie juridique récente : le mineur étranger non accompagné, séparé ou isolé, Daniel Senovilla Hernandez, 2014 vol. 30 – n°1
- Avis de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme du 26 juin 2014 sur la situation des mineurs isolés étrangers présents sur le territoire national
- GISTI, « Plein Droit » : o Mayotte, une zone de non-droit, Marie Duflo, Marjane Ghaem, 2014 n°100 o Les mineurs isolés face au soupçon, Julien Bricaud, 2006 n°70
- AJDA 2015 p. 1320, Le Conseil d’Etat face à la répartition des mineurs isolés étrangers, Hervé Rihal, Aude Cavaniol
- AJ Famille 2014 p. 84 : Dossier « Mineurs isolés étrangers » : la fabrique d’un infra-droit d’exclusion. Anita Bouix, Serge Slama, Laurent Gebler, Christophe Gué, Alice Meier-Bourdeau, Jean-François Martini.
- RDSS 2015 p. 335 MIE : à propos de l’annulation (très) partielle de la « circulaire Taubira » du 31 mai 2013, Jean-Marc Lhuillier

Voir en ligne : http://www.village-justice.com/arti...


Pour aller plus loin