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Le cas particulier des mineurs isolés étrangers - Florence Tréguier, Tribunal de grande instance de Montpellier

Gazette du Palais N°262 18 - Septembre 2008

Publié le jeudi 22 octobre 2009 , mis à jour le mercredi 5 novembre 2014

Intervention de Florence Tréguier, Vice-présidente chargée du service des mineurs au Tribunal de grande instance de Montpellier

Gazette du Palais, 18 septembre 2008, N°262, p.37

Je suis un petit peu en difficulté puisque mon *alter ego* du parquet qui est chargé de définir la politique pénale et qui ouvre les dossiers dans les cabinets des juges des enfants n’est pas là. Je vais peut-être essayer d’intervenir à la fois pour son compte et pour le mien, donc vous me pardonnerez si cet exposé est imparfait à certains égards.

On m’a demandé de traiter de la situation de ce qu’il est convenu de dénommer les « mineurs isolés ». Par cette expression, on entend en règle générale des mineurs qui se trouvent sur le territoire français sans titulaire de l’autorité parentale. Ce sont des enfants pour lesquels il n’existe aucun référent parental susceptible de prendre des décisions relatives à leur éducation, à leur santé, etc. Cette expression désigne des situations qui, de fait, sont extrêmement différentes. Certains mineurs isolés ont pu fuir des régions du monde où il y a des conflits armés, du fait du décès des parents ou de la famille. On a également des mineurs qui ne sont pas de petits enfants mais de grands mineurs, si j’ose dire, qui tentent d’entrer sur le territoire français pour des raisons économiques. Leur situation se rapproche fortement de la situation des majeurs. On peut aussi rencontrer des mineurs qui sont exploités, pris dans des réseaux de travail clandestin, ou de prostitution. On trouve enfin des mineurs qui peuvent être des fugueurs ayant pris la décision de quitter leurs parents, leurs représentants légaux, pour toutes sortes de raisons. Il s’agit d’une dénomination qui recouvre des situations extrêmement différentes. Certains mineurs sont dits mineurs isolés, mais sont plutôt mal accompagnés, c’est-à-dire qu’ils sont insérés dans une communauté, un camp, où il y existe des adultes référents sans qu’il y ait pour autant sur le territoire un titulaire de l’autorité parentale susceptible de prendre des décisions pour eux.

Dans ce domaine, le juge des enfants intervient en cas de danger. Il est saisi de ces situations par l’intermédiaire du parquet. Il faut savoir que sur Montpellier, et sur la Cour d’appel également me semble-t-il, ces cas sont réellement à la marge. Pour mon cabinet, je dois avoir à peu près trois dossiers sur plus de 300. Ce qui n’est pas le cas très certainement d’autres juridictions et notamment de celles de la région parisienne où il y a de grands aéroports et donc des portes d’entrée
pour les étrangers plus importantes. Ce sont vraiment des situations qui sont à la marge puisque, les statistiques sont anciennes, mais en 2003 par exemple, sur le nombre d’enfants placés par le juge des enfants en France, 2,7 % étaient des mineurs isolés. C’est très peu. En revanche, ils représentaient 13 % des mineurs placés en région parisienne et on peut penser que, depuis, ces taux ont sans doute évolué à la hausse.

En région parisienne s’est développé tout un contentieux des mineurs placés en zone d’attente, c’est-à-dire de mineurs pouvant débarquer d’un avion sans titulaire d’autorité parentale, sans droit d’entrée sur le territoire français. On attend alors une décision du JLD pour savoir s’ils peuvent être admis ou non sur le territoire. Il y a eu - notamment en région parisienne - des jurisprudences qui considéraient que le seul fait pour le mineur d’être en zone d’attente sur le territoire français
sans référent titulaire de l’autorité parentale, constituait potentiellement un danger et pouvait donner lieu *ipso facto* à
l’ouverture d’une procédure d’assistance éducative. Une commission d’enquête du Sénat s’est inquiétée des effets de ce type de situations et des retentissements que cela pouvait avoir sur les filières d’immigration.

Un arrêt de la Cour d’appel de Paris avait admis que le seul fait d’être dans cette zone d’attente sans référent d’autorité parentale pouvait donner compétence au juge des enfants. Finalement, cette jurisprudence n’a pas été réellement suivie et très rapidement, les magistrats pour enfants de la région parisienne ont refusé de considérer que le seul fait pour un mineur d’être en zone d’attente lui donnait obligatoirement qualité pour entrer sur le territoire français. Certaines modifications législatives sur l’autorité parentale permettent désormais de désigner un administrateur *ad hoc* pour représenter ces mineurs dans toutes les procédures d’admission sur le territoire et devant le juge des enfants. On s’est aperçu très vite qu’il n’y avait pas davantage de saisines du juge des enfants, sauf cas extrêmement particuliers de mineurs atteints de maladies ou placés dans des situations objectives de danger.

Pour les autres mineurs, ceux qui sont d’ores et déjà entrés sur le territoire, nous sommes saisis assez systématiquement par le parquet alors que finalement le Code de la famille et de l’aide sociale permet de traiter cette situation sur le plan administratif. Il me semble que lorsqu’un mineur est trouvé sur le ressort de Montpellier sans référent
d’autorité parentale, le parquet considère qu’*ipso facto*, il y a danger et le juge des enfants est très vite saisi pour éventuellement placer l’enfant. Dans ces cas-là, j’ai l’impression que nous sommes saisis un peu dans le cadre d’une procédure « d’attente ». C’est-à-dire que nous sommes saisis au seul motif qu’il n’y a pas de référent titulaire d’autorité parentale pour permettre d’organiser une saisine du juge des tutelles et pour voir prononcer une tutelle d’État pour ces
mineurs.

La pratique que nous avons à Montpellier, c’est que le juge des enfants confirme le placement à l’Aide sociale à l’enfance. Dans le même temps, le conseil général va saisir le juge des tutelles des mineurs pour l’organisation de la tutelle d’État, puis celui-ci nous adresse un avis précisant l’organisation de la tutelle. On est alors amené tout naturellement, sauf cas très particulier, à clôturer le dossier d’assistance éducative.

Intervention de Sophie Mazas, Avocate au Barreau de Montpellier

Pour revenir sur la difficulté à déterminer les valeurs républicaines dans le cadre du refus de regroupement familial, le Tribunal administratif de Montpellier a eu à connaître de cette question et a sanctionné, dans le cadre de procédures d’urgence de référé-suspension, les décisions de l’administration. L’administration avait eu en effet une appréciation des valeurs républicaines qui n’était pas conforme à la jurisprudence [1]. De ce point de vue là, je pense qu’il y aurait une difficulté à les déterminer pour l’administration, hors la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État.

Par ailleurs, l’intérêt pour les avocats est dans l’effectivité qui s’attache aux conséquences de l’annulation des actes administratifs, notamment dans le cadre du regroupement familial. Comme l’indique fort justement Guy Braibant : « L’utilité réelle du recours pour excès de pouvoir dépend des conséquences juridiques qui s’attachent aux annulations contentieuses et de la suite qui leur est donnée en pratique ». Au regard des délais de mise au rôle des procédures au fond, les procédures de référé-suspension nous permettent d’obtenir un regroupement familial plus rapidement.

Enfin, il convient de relever que si les demandes de la Halde d’inclure la question de la limitation de ressources des adultes handicapés dans le cadre des conditions de regroupement familial ont été satisfaites, en revanche celles sur les retraités n’ont pas été introduites. On se pose alors la question de ces personnes qui ont travaillé toute leur vie et qui ont pourtant un revenu limité et inférieur au seuil nécessaire pour faire venir un membre de leur famille. Là encore, il me semble que nous pouvons avoir un travail intéressant au regard de la jurisprudence administrative par rapport à ces décisions de la Halde et au principe de non-discrimination pour obtenir que ces personnes, qui ont travaillé souvent 40 années en France et ont ancré ici leur vie, puissent avoir le droit de faire venir un ou des membres de leur famille.

Concernant les mineurs, le juge administratif s’attache à prendre en compte des éléments de fait tels les mesures d’assistance éducative, de tutelle ou de contrat jeune majeur. Là effectivement, il y a un lien qui existe entre les procédures judiciaires et la procédure administrative. Nous nous appuyons essentiellement sur la Convention de New York et son article 3 sur l’intérêt supérieur de l’enfant qui doit être pris en compte par toute administration et toute juridiction, notamment lorsqu’un jeune mineur demande un titre de séjour pour pouvoir travailler dans le cadre d’un contrat d’apprentissage. Un mineur en dehors de ces cas là n’a pas besoin de titre de séjour puisqu’il est toujours en situation régulière sur le territoire français et le problème de la régularité de son séjour se pose alors à sa majorité.

Je pensais faire une intervention relativement consensuelle au regard de la jurisprudence du Conseil d’État relative aux jeunes majeurs scolarisés. Et malheureusement, j’ouvrirai le débat sur la question de ces jeunes majeurs. En effet, en tant qu’avocats, nous nous appuyons notamment sur l’arrêt du Conseil d’État du 3 avril 2002, Owusu [2],qui permet effectivement de plaider sur l’article 8 de la CEDH et la vie privée et familiale. Nous avons de nombreuses jurisprudences dans lesquelles le Conseil d’État a admis pour un jeune mineur qui était scolarisé, démontrant une bonne intégration, et ayant rejoint ses parents installés depuis plusieurs années en France, le moyen tiré de la méconnaissance de la vie privée et familiale [3].

De la même manière, nous avons de nombreuses jurisprudences locales sur l’erreur manifeste d’appréciation au regard de la situation personnelle, qui examinent le critère de l’intégration et de l’établissement de la vie privée et personnelle [4]. Le juge administratif retient ce moyen, de préférence à la méconnaissance de l’article 8 de la CEDH, lorsque ce jeune majeur conserve des membres de sa famille dans le pays d’origine, pour annuler la mesure de reconduite (arrêté de reconduite ou obligation de quitter le territoire) [5]. Dans ces cas-là, un jeune entré en France à 14 ou 15 ans qui fait de gros efforts d’intégration, qui travaille bien à l’école, qui maîtrise la langue française, qui est impliqué et assidu, on peut lui dire : « Si tu as un refus de titre de séjour avec obligation de quitter le territoire, lorsqu’on ira au tribunal, tu auras des chances de gagner », sous réserve, bien entendu, de l’appréciation du Tribunal. Cependant, lorsque nous tombons parfois sur une chambre qui fait une application plus stricte que celle que l’on pouvait espérer, que peut-on faire en termes de recours utile ?

Cela soulève de nombreuses questions par rapport à cette nouvelle procédure de refus de titre de séjour avec obligation de titulaire sur le territoire. Illustration par l’exemple d’une décision de rejet, que j’ai eu récemment, concernant un jeune de 19 ans, arrivé à 14 ans, qui a eu son CAP et est en Bac Pro, qui vit auprès de son père qui a travaillé 40 ans en France et qui, vous imaginez bien, n’a pas envie de tout quitter pour retourner vivre dans son pays d’origine, laissant ici tout ce qu’il a construit. Ce jeune semblant entrer dans les critères déterminés par la jurisprudence du Conseil d’État et appliqués par les cours administratives d’appel, l’appel paraît fondé. Mais que fait ce jeune durant ce temps où le refus de titre de séjour est validé, où l’obligation de quitter le territoire est validée ? Il peut donc se faire interpeller à tout moment à son domicile [6]. Il faut savoir que le délai d’appel est d’un an et demi à deux ans. Une procédure d’urgence devant la Cour d’appel dure *a minima* six mois. On se retrouve alors face à une lacune, me semble-t-il, de la procédure législative et règlementaire qui n’a prévu aucune procédure permettant de suspendre, en urgence, l’exécution en appel. On se retrouve dans des situations de vide juridique concernant l’effectivité des procédures.

On parlait dans la table ronde précédente des cas où une personne est placée en rétention administrative. *Quid* du cas où le préfet ne préviendrait pas le Tribunal administratif de ce placement en rétention ? Quid du cas où il y aurait un problème de fax du Tribunal administratif et où, dans cette hypothèse, le tribunal ne serait pas saisi ? Et il ne s’agit pas de cas d’école.

Au regard des textes qui sont appliqués en matière de droit des étrangers et des procédures spécifiques existantes, il y a des améliorations procédurales à apporter. Celles-ci seraient particulièrement utiles dans les domaines où le pouvoir d’appréciation des juridictions est important, tel que c’est le cas pour les jeunes majeurs scolarisés.

Notes

[1Trib. adm. Montpellier (ord.), 28 décembre 2007, N° 0704889, implicite.

[2Cons. d’État, 3 avril 2002, Owusu, N° 231033, Tables Lebon.

[3Cons. d’État, 29 décembre 2004, N°264286 ; 3 octobre 2001, N° 228341 ; 14 novembre 2001, N° 230835.

[4Trib. adm. Montpellier, 10 août 2007 n^o 0703376, sur APRF ; 13 août 2007, N° 0703406, sur APRF ; Abtane, sur RTS et OQTF, N° 0702941 et 0703057.

[5Cons. d’État, 26 mars 1999, Sghaier, N° 200355 ; 24 novembre 2003, N°257821 ; 24 novembre 2003, N° 257821.

[6Selon la jurisprudence applicable dans le ressort de la Cour d’appel de Montpellier, sur dénonciation de la préfecture pour situation irrégulière, l’interpellation à domicile par les services de police est légale, procédure qui n’est pas validée dans le ressort de la Cour d’appel de Nîmes.