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Du Pakistan à la Suède, le périple solitaire d’un jeune migrant

Publié le jeudi 25 février 2016 , mis à jour le jeudi 25 février 2016

Source : www.lefigaro.fr

Auteur : Anne-Laure Frémont

« TÉMOIGNAGE - Sajid avait à peine douze ans quand il a quitté Quetta, au Pakistan, pour entreprendre seul le voyage vers l’Europe. Aujourd’hui, hébergé dans une maison d’accueil pour migrants mineurs près de Göteborg, en Suède, il retrace son parcours.

Sajid, en jogging et T-shirt, confortablement installé dans son fauteuil, l’assure en souriant : « Quand j’étais au Pakistan, j’étais un fils à maman. Elle ne voulait jamais me laisser aller me promener dans la montagne avec mes amis. Pour moi, ce voyage, c’était l’aventure ! ». Le périple dont l’adolescent de 16 ans parle, c’est celui qu’il a entrepris seul, en 2012, entre le Pakistan et l’Europe. Un voyage d’une année entière qui a pris fin dans une maison d’accueil pour jeunes migrants non accompagnés de Mölndal, petite ville de la périphérie de Göteborg, en Suède.

L’an dernier, ce pays a vu débarquer 163.000 migrants venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Iran… C’est bien plus, par habitant, que tout autre pays de l’Union européenne. La Suède a notamment accueilli 35.000 enfants non accompagnés, en grande majorité des garçons. Parmi eux, Sajid. Le jeune homme aux cheveux noirs mi-longs et aux yeux en amande vient de Quetta, une ville de l’ouest du Pakistan située près de la frontière afghane, où il vivait avec sa mère et ses quatre frères. Son père, il n’en parle pas : « Je n’ai pas trop de contact avec lui ». À Quetta, le quotidien est rythmé par le harcèlement incessant et les menaces de ceux qui dans la rue les traitent sa famille et lui de « Kouffar » (mécréants). Car Sajid fait partie des hazâra, une minorité afghane chiite. « Nous ressemblons un peu à des Asiatiques, donc dans la rue, on nous reconnaît facilement ». Sajid échappe à un attentat à la bombe, on lui tire même dessus. Sa mère, terrorisée, décide de tout faire pour le voir partir. Lui seul entreprendra le périple, ses frères n’étant pas assez grands pour s’en sortir.

Jeu du chat et de la souris

« En quittant Quetta, j’avais la Grèce pour premier objectif, mais je ne savais pas du tout où j’allais atterrir ». Parti du Pakistan à bord d’un camion, il gagne l’Afghanistan, l’Iran, la Turquie puis la Grèce... Il fait partie d’un groupe composé principalement d’hommes et de trois adolescents, guidés par des passeurs. Ils enchaînent ensemble les passages de frontières à pied, les traversées des pays en bus ou en voiture. « Comme je parle plusieurs langues, dont l’anglais - que j’ai appris à l’école à Quetta -, les passeurs étaient plutôt sympas avec moi. Je leur servais de traducteur. Mais je les ai entendus dire des choses terribles à ceux qui n’avançaient pas assez vite quand nous traversions les montagnes ». Sa plus grande peur, ce sont les voleurs qui s’en prennent aux migrants sur la route. « J’ai entendu dire que des gens coupaient des doigts, des nez, qu’ils kidnappaient les migrants pour demander de l’argent aux familles. Si cela avait été mon cas, ma mère n’aurait jamais pu payer, j’aurais été perdu. »

Arrivé à Athènes, Sajid n’a plus d’argent pour poursuivre son chemin. On lui conseille de se diriger vers la Suède, « où l’on est bien pris en charge ». Il gagne alors le port grec de Patras et tente comme il peut d’embarquer dans un ferry à destination de l’Italie. Après avoir été frappé à plusieurs reprises par la police grecque - son « pire souvenir du périple » - il réussit à se cacher sous un camion à l’intérieur d’un bateau. « J’étais terrorisé mais je ne pouvais pas m’empêcher de penser au dessin animé « Tom et Jerry », je m’imaginais jouer au chat et à la souris ». Une façon, peut-être, de ne pas se laisser submerger par l’angoisse. Caché sous le camion, il reste plus de 35 heures sans boire ni manger.

En Italie, pour ne pas se faire remarquer, il se sépare du seul ami qui faisait route avec lui - et qui vit désormais en Norvège. Il gagne la France en train, puis l’Allemagne et le Danemark, avant d’arriver à Malmö, en Suède… Un an plus tard.

De maison d’hébergement en famille d’accueil

À Göteborg, il se rend à l’Office national des migrations qui s’occupe de loger les nouveaux arrivants, et atterrit jusqu’à l’obtention de son statut de réfugié - plusieurs mois après - dans une maison située à Mölndal, ville « de transit » de 63.000 habitants où les mineurs sont regroupés avant d’être répartis partout dans le pays. Sajid est ensuite placé dans une famille d’Afghans, payée pour le prendre en charge. Mais la cohabitation se passe mal. « Ils ne faisaient jamais rien et passaient leur temps à critiquer les Suédois. La femme me faisait croire que les hommes en Suède n’ont aucune autorité ni aucun statut, elle a même fini par me menacer d’aller voir la police en leur disant que je l’avais violée. Je n’osais plus sortir de ma chambre, je m’enfermais à double tour. »

« Quand j’étais sur la route, j’avais un but précis. Mais une fois arrivé ici… »
Sajid

Il s’en plaint à son tuteur, la personne chargée de suivre son parcours en Suède, et est transféré dans un premier centre d’accueil pour migrants non accompagnés. Une structure privée située à Mölndal. Là, Sajid, qui parle mieux anglais que les autres, ne se fait pas que des amis. « Les aliments périmés s’accumulaient dans le réfrigérateur, personne ne nettoyait... Je me permettais de le signaler ». Les choses s’enveniment, il est contraint de changer une nouvelle fois de foyer… Et atterrit dans sa maison actuelle, qu’il partage avec trois Afghans - dont deux filles - et deux Somaliens. Ici, enfin, il se sent bien, même s’il avoue avoir été un peu perdu au début. « Quand j’étais sur la route, j’avais un but précis. Mais une fois arrivé ici… » Peu à peu, il reprend pied, va à l’école, se fait des amis, profite de la nature environnante.
Sajid parle à sa mère tous les jours par téléphone. Il va même lui rendre visite cet été pour la première fois depuis qu’il a quitté le Pakistan. Il dit avoir mis trois ans à rembourser les quelque 5000 euros que celle-ci avait empruntés pour la traversée de son fils, en lui envoyant une partie de l’argent de poche qu’on lui donne chaque mois. Aujourd’hui, il compte rester en Suède, et s’est fixé un nouvel objectif : « devenir ambassadeur ». »

Voir en ligne : http://www.lefigaro.fr/internationa...


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