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Dernières images de Calais

Publié le lundi 21 mars 2016 , mis à jour le lundi 21 mars 2016

Source : www.telerama.fr

Paul Marques Duarte est un jeune réalisateur de courts-métrages de vingt ans. Signataire de l’Appel de Calais, il a fait la rencontre d’un jeune adolescent soudanais lors d’un de ses déplacements dans la “jungle”. Voici son récit en texte et en images.

« Du 11 janvier au 15 février 2016, jour de son départ de la jungle, un jeune migrant soudanais a photographié son quotidien avec un appareil jetable. Ces images sont les dernières qu’il a prises de Calais. Une fois ces photos développées, il a demandé à ne pas les voir, mais m’a donné l’autorisation de les partager, en même temps que le récit de notre rencontre.

Nous sommes le 11 janvier 2016, il est 6h05 et tandis que j’attends le train qui m’amènera à Calais, je déambule Gare du Nord. J’y achète un appareil photo jetable en guise de « cadeau de retrouvailles » pour mon ami Sadig que je reverrai quelques heures plus tard dans la jungle.

Sadig a seize ans, il vit depuis le mois de septembre dans le bidonville de Calais. Il a dû quitter le Soudan, où il n’a plus aucune famille. Je l’ai rencontré par hasard lors de ma première venue au camp, en octobre 2015, tandis que je cherchais à me rendre au théâtre. Par son sourire, son regard, sa dignité remarquable face à sa situation, par son âge, j’ai reconnu en lui mon petit frère. Nous avons parlé et le récit qu’il m’a confié a longtemps résonné en moi.

Fin novembre 2015, alors que l’hiver devenait plus rude encore, ma famille a rencontré Sadig et a échangé pendant plusieurs semaines avec lui, afin de lui proposer de l’héberger et, s’il le souhaitait, de l’aider à commencer une vie en France. Il a passé une semaine parmi nous. Je ne m’étais pas trompé, il est très vite devenu proche de mon frère. Ces quelques jours ensemble ont été l’occasion d’un véritable choc des cultures, une expérience riche pour ma famille comme pour lui.

Le désir qu’il nourrissait pour l’Angleterre étant plus fort que tout, plus fort même que l’opportunité de construire une nouvelle vie ici, Sadig est reparti à Calais dans l’espoir de passer de l’autre côté de la Manche et d’y rejoindre son oncle. Chaque semaine, nous avions de ses nouvelles et il nous racontait le camp, une journée de plus dans le froid, une nuit de plus dans le noir, une autre tentative de passer entre les mailles du filet afin de rejoindre la Grande Bretagne.

Le froid me mord la peau à travers les nombreuses épaisseurs de vêtements que je porte. Nous sommes le 15 janvier 2016, il est 10h30 lorsque je retrouve Sadig au milieu du chemin des Dunes. Lui aussi à un cadeau : un carnet de dessins et des crayons que des bénévoles anglais lui ont donnés. Il sait que mon frère dessine et il me demande de le lui remettre. De mon côté, je lui offre l’appareil photo jetable et lui montre comment ça fonctionne. Aujourd’hui, nous ouvrons avec le collectif l’Appel de Calais un centre juridique au milieu de la jungle, c’est la première photo que Sadig souhaite prendre.

Sur le chemin du retour, je revois mentalement les nombreux mineurs isolés que j’ai rencontrés dans le camp. Pour la première fois, le poids de ces images m’écrase, il m’étouffe et va jusqu’à me hanter la nuit. Une semaine passe et rien n’y fait, je vois en chaque adolescent français que je croise un jeune Afghan, Érythréen, Soudanais, Syrien livré à lui-même dans cet immense bidonville où les gens s’entassent. Sadig n’a plus de téléphone, il est désormais impossible d’avoir de ses nouvelles, de savoir comment évolue sa situation. Chaque jour, je me demande où il est et comment il va. Mon frère dessine sur le carnet que Sadig lui a offert une photo que nous avions prise tous ensemble chez moi.

Le 16 février 2016, mon portable sonne et un numéro anglais s’affiche sur l’écran. Je reconnais la voix de Sadig. Il semble fatigué et m’explique qu’il abandonne l’idée de passer en Angleterre. La situation à Calais devient trop difficile, les violences se multiplient entre les migrants, les habitants et la police. Il ne peut plus vivre tout ça, il veut un toit, une école, il veut croire chaque jour à ce que lui apportera le lendemain. Je le rencontre peu de temps après sur Paris. En voyant qu’il n’ose pas me le demander, sûrement par peur de déranger, je l’invite à revenir parmi nous.

Une semaine passe et Sadig prend ses marques à la maison. En attendant qu’il puisse être scolarisé, il me demande de lui enseigner la langue française. Chaque journée est l’occasion pour nous d’en apprendre plus sur sa culture, et pour lui sur la nôtre. Il s’étonne par exemple de la place accordée aux chiens dans les familles européennes. Je lui montre que le notre a même un dossier médical. Lorsque Sadig l’ouvre, curieux, il tombe sur un passeport au nom de mon chien. La situation est assez surréaliste pour lui qui n’a aucun papier. Sadig est le premier à en rire et à sa suite, nous rions également.

Tandis qu’il se prépare pour notre premier rendez-vous avec la mission locale pour les mineurs isolés étrangers de notre département, Sadig m’apporte l’appareil photo jetable que je lui ai offert un mois plus tôt. Il m’explique que les images qui sont à l’intérieur, il les connaît et n’a pas besoin de les revoir, que dans ses rêves elles apparaissent déjà chaque nuit. Il souhaite me les offrir et m’autorise à les partager, afin de montrer la jungle photographiée de l’intérieur, par quelqu’un qui y a passé presque six mois et espère ne jamais y revenir.

Aujourd’hui, tandis que vous regardez ces images, ces fragments de quotidien, le futur de Sadig reste incertain. Les procédures sont nombreuses et complexes, mais il est plein d’espoir quant à son avenir. Il parle déjà quelques mots de français et essaye chaque jour d’en apprendre de nouveaux. Régulièrement, son portable sonne et au bout du fil un de ses amis lui raconte comment évolue la situation à Calais, ou plutôt comment elle stagne, comment rien ne semble progresser, comment des centaines d’enfants sont toujours seuls dans ce bidonville, animés par l’espoir d’une nouvelle vie en Angleterre qui s’éteint doucement. »

Voir en ligne : http://www.telerama.fr/monde/dernie...


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