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Une chance pour la politique publique de protection de l’enfance d’être reconnue

Publié le mardi 29 mars 2016 , mis à jour le mardi 29 mars 2016

Source : http://jprosen.blog.lemonde.fr

Auteur : Jean-Pierre Rosenczveig, Président du Tribunal pour Enfant de Bobigny

« Après un parcours de quelques 18 mois la proposition de loi relative à la protection de l’enfant sera parvenue à bon port en sauvegardant l’essentiel de son substrat premier malgré les résistances rencontrées, notamment du Sénat, sur ses dispositions les plus politiques. On s’en réjouira malgré ses lacunes dans la mesure où elle offre enfin l’opportunité à cette politique publique essentielle d’être visible et de retrouver une dynamique pour contribuer à ne pas laisser sur la route une partie des enfants de France (loi du 14 mars publiée au JORF le 15 mars 2016).
La mise en œuvre de la loi s’inscrira dans le travail engagé par gouvernement à travers sa « Feuille de route sur la protection de l’enfance ».

Un brin d’histoire
Le soudain abandon en janvier 2014 suite à une n IIème manifestation des opposants au « Mariage pour tous » du projet de loi Famille promis par le président de la République et impulsé par Mme Bertinotti, alors même qu’il n’avait pas encore été rédigé, devait ouvrir la voie, dixit le premier ministre Jean Marc Ayrault à un travail parlementaire. Il n’était pas question de renoncer au travail mené jusque-là en laissant le dernier mot à la rue !
La première initiative parlementaire porterait sur « Autorité parentale et intérêt de l’enfant » Mme Chapdelaine s’y colla avec M. Binet en improvisant un texte adopté rapidement en première lecture le 27 juin 2014 par l’Assemblée pour … rester depuis en cale sèche. Pourtant ces dispositions, certes largement perfectibles, sont attendues puisqu’elles s’attachent notamment à définir qui exerce et en quoi les responsabilités parentales sur l’enfant. Les droits sur les actes de la vie courante à reconnaitre aux beaux-parents concernent 6 millions de personnes : 1 million et demi d’enfants et 4,5 millions d’adultes.
L’autre proposition de loi devait porter sur « La protection de l‘enfance et l’adoption » à l’initiative de la sénatrice Mme Michelle Meunier qui s’appuyerait non seulement sur le travail impulsé par Mme Bertinotti, mais aussi tout logiquement sur le rapport rédigé avec sa collègue Mme Muguette Dini.
C’est donc au Sénat que la loi « Protection de l’enfance » engagea son parcours pour être rapidement détricotée par l’institution de palais du Luxembourg, spécialement sur les dispositions portant sur la gouvernance.
Il fallut l’opiniâtreté de Laurence Rossignol, nouvelle secrétaire d’Etat, succédant à Mme Bertinotti et promue ministre de plein exercice en 2016, pour que le texte trace sa route avec le soutien des députés et finalement parvenir vaincre les résistances sénatoriales.
Ce texte est donc d’origine et d’écriture parlementaire. Le gouvernement a entendu y introduire des novations, mais il a été contraint par les termes même de l’exercice. D’où ses limites.

Quels étaient les principaux enjeux ?
Au cœur de ce texte le souci de sécuriser le parcours des enfants accueillis par l’aide sociale à l’enfance en prenant en compte leurs besoins par-delà les droits des parents et donc rééquilibrer un dispositif jugé trop pro-famille. Mais par-delà ces enjeux « techniques » non négligeables, l’intérêt de cette loi est d’abord politique : créer les conditions d’un débat public régulier et efficient sur les politiques suivies en matière de protection de l’enfance. (Conf. le commentaire sur www.rosenczveig). C’est sur ce point que le Sénat c’est systématiquement opposé durant tout le parcours parlementaire.

Pourquoi ?
On sait qu’en 1982-1984 la compétence sur l’aide sociale à l‘enfance - avec la PMI, et l‘action sociale - a été déléguée aux conseils alors généraux. Pour autant l’Etat n’a pas été dépossédé de sa compétence en matière de protection de l’enfance.
Le transfert des compétences n’a pas été total. On est dans un régime de coresponsabilité. Si on a affirmé la primauté de l’administratif sur le judiciaire, donc du conseil départemental et de son président sur l’Etat loi du 5 mars, ce dernier n’est pas dépossédé. Il lui revient ainsi de fixer les règles du jeu générales valables pour tous, y compris pour les autorités décentralisées. Il assume le contrôle de l’égalité et s’il le fallait, on l’oublierait, à travers le préfet, il pourrait inscrire au budget départemental les financements nécessaires aux dépenses obligatoires si le département avait un oubli.
Surtout la protection de l’enfance reste au sens large une compétence conjointe dans laquelle l’Etat a notamment conservé le service social scolaire et la santé scolaire sans compter la psychiatrie infantile, la police et la justice de mineurs. Et puis qui rend des comptes à l’international sur le dispositif de protection de l’enfance, sinon l’Etat ?
Bref, l’Etat n’est pas illégitime à souhaiter qu’il y ait au plan national une démarche d’évaluation, de réflexion et pourquoi pas de définition d’objectifs, démarche valable pour l’ensemble du pays dans le respect des politiques territoriales spécifiques et des efforts particuliers qui peuvent y être faits dans le cadre de la liberté d’agir dont disposent les collectivités locales. Les départements sont libres de s’organiser et de mettre l’accent sur tel plan, mais l’Etat est tout aussi légitime à avoir le souci des actions développées ; il peut suggérer et inciter, il peut évaluer.
C’est au final ce point de vue que l’Assemblée nationale a pu faire prévaloir dans le processus parlementaire, la commission mixte paritaire ayant échoué, en rétablissant régulièrement les dispositions que le Sénat supprimait de la proposition de loi Meunier. On s’en réjouira.
L’article L. 112-3 du code de l’action sociale et des familles est donc ainsi enrichi :
« Il est institué auprès du Premier ministre un Conseil national de la protection de l’enfance, chargé de proposer au Gouvernement les orientations nationales de la politique de protection de l’enfance, de formuler des avis sur toute question s’y rattachant et d’en évaluer la mise en œuvre. Ce conseil promeut la convergence des politiques menées au niveau local, dans le respect de la libre administration des collectivités territoriales. Ses missions, sa composition et ses modalités de fonctionnement sont définies par décret. »
D’autres secteurs ont su se doter de cette organisation qui respecte les missions des uns et des autres, mais conduit dans l’intérêt de l’objectif à s’asseoir régulièrement autour d’une même table. C’est déjà le cas pour l’exclusion avec le conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE) et le secteur du handicap avec le Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNDPH).
Le dispositif adopté par la loi du 14 mar 2016 répond aux attentes du secteur associatif habilité et professionnalisé - le SAH -, mais aussi des associations militant pour les droits de l’enfant - et encore du Comité des droits de l’enfant de Genève. Reste à voir comment ce dispositif se mettra en place et l’influence qu’il jouera sur l’évolution concrète de notre dispositif de protection de l’enfance.

Demain ?
On doit attendre de ce dispositif qu’enfin on parle de la protection de l’enfance autrement qu’à travers ses dysfonctionnements qui réels ne la résument pas.
Qui sait que l’ASE suit quelques 300 000 enfants chaque année : 140 000 environ sont accueillis physiquement – dont 110 000 à un instant T – et 150 000 vivant avec leurs parents sont accompagnés par les travailleurs joviaux dit de milieu ouvert. Ajoutons – même s’il peut y avoir des recoupements - les 150 000 enfants qui bénéficient d’aides financières (secours d’urgence ou allocations mensuelle).
Le budget consolidé consacré par les départements – eux-mêmes bénéficiaires de la dotation globale de fonctionnement versée par l‘Etat – est de 7,3 milliards d’euros l’an. Une paille ! Jusqu’à peu ces budgets étaient non seulement sanctuarisés, mais en augmentation. Il faut bien évidemment y ajouter le financement de la PMI, soit un peu moins d’un milliard d’euros
Effort majeur de la collectivité nationale qui n’empêche pas l’image négative que trop souvent ces services sociaux ont. On se représente encore trop souvent l’aide sociale à l’enfance à travers la DDASS d’avant décentralisation, sinon derrière l‘image de l’Assistance publique de Saint Vincent de Paul avec ses foyers-châteaux dissimulés derrière des hauts murs et ses enfants en capotes bleues à boutons dorés.
Pourtant on est loin aujourd’hui de ces représentations. Avec la loi de 2007 on voit même des enfants confiés juridiquement à l’ASE désormais responsable de leur protection et de leur éducation demeurer à plein temps dans leur famille ! D’autres enfants sont pris en charge dans des lieux d’accueil collectifs comme des appartements ou pavillons fondus dans le milieu urbain. La plupart sont accueillis dans des familles d’accueil professionnalisées à 100 000 lieues des Tenardier. Demain, avec la nouvelle loi, ils pourront être confiés par président du CD à des tiers digne de confiance comme le juge des enfants le pratiquent déjà.
On imagine toujours que l’ASE regorge d’enfants abandonnés en attente d’être adoptés. Les pupilles de l’Etat étaient 150 000 en 1900 pour 26 millions d’habitants ; ils sont aujourd’hui 2300 pour une population passée à 68 millions.
Plus que jamais la loi de 2016 entend veiller à ce qu’un projet personnalisé soit formé pour chaque enfant pris en charge par l’ASE avec le souci si l’enfant ne peut pas rejoindre le domicile de ses parents qui légalement est aussi le sien, de voir sa situation clarifiée à travers un projet de vie formé pour lui et avec lui qui passe peut être par une adoption mais peut prendre d’autres formes.
Bref on se réjouira qu’avec le futur Conseil national de protection de l’enfance on puisse 1) avoir des bilans régulièrement dressés de notre dispositif, 2) dégager des objectifs prioritaires dégagés et 3) évaluer les actions menées au regard des objectifs précédents dégagés.
On devra en arriver à définir le standard de base des politiques publiques de protection de l’enfance. Des recherches et des travaux alimenteront cette démarche ; les formations des professionnels seront adaptées par les instituts spécialisés et les universités. Les médias en seront informés et pourront suivre régulièrement ces évolutions et remettre en perspective les défaillances qui pourront survenir.

Une visibilité pour un regard critique, mais ensuite ?

Pour reprendre l’objectif de Laurence Rossignol la protection de l’enfance a enfin une chance de « sortir de l’angle mort des politiques publiques » là où personne ne regarde faute de s’intéresser réellement à ces enfants.
En se réjouissant de ce travail parlementaire de nombreux sujets n’ont été qu’abordés dans ce texte qui doivent demain être traités.
Par exemples,
- la situation des 18-21 ans issue de l’abaissement de la majorité civile de 21 à 18 ans par le président Giscard d’Estaing appelle à abroger les textes de 1975 pour adopter un dispositif vidant 18-…. 25 ans ;
- la remise à plat du dispositif de prise en charge des mineurs étrangers non accompagnés (MEMA) après la circulaire Taubira de mai 2013 ;
- l’adoption doit être revisitée pour à la fois créer un lien sécure pour l‘enfant qui entre dans une famille sans pour autant gomme son histoire ; l
- la question du partage d’informations après les deux lois de 2007 partiellement contradictoires doit être clarifiée quand les éducateurs de la Prévention spécialisée – par ailleurs menacée dans son existence - appelés à se rendre aller de l’autre côté de la fracture sociale sont interpellés par les maires et les policiers sur ce qu’ils y ont vu. (Arrive bientôt le texte sur la commununication par la justice à l’education nationale des informaitons sur enseignants mis en cause dans des affaires pénales sur enfants.
- la condamnation des châtiments corporels
A peine effleurés par la loi nouvelle les sujets doivent être traités au fond ne manquent pas.
On peut y ajouter la nécessité de sortir de l’ornière le texte adopté le 27 juin 2014 sur « autorité parentale et intérêt de l’enfant » qui tente de clarifie les responsabilités entre parents et beaux-parents - 6 millions de personnes dont concernées –

Reste l’essentiel : ne pas perdre les acteurs professionnels de la société civile
La puissance publique d’Etat et territoriale est démunie sans troupes sociales.
Il lui faut déjà restaurer aux yeux de l’opinion et des politiques l’image des travailleurs sociaux, ces nouveaux fantassins de la République. Leur travail est méconnu. Ils y sont certes pour quelques chose rn ne communiquant pas comme il le faudrait. Il faut déjà mieux les prendre en compte notamment par leur statut pour qu’ils s’inscrivent pleinement et sur la durée dans leurs responsabilités.
Il faut encore s’attacher à créer les conditions de survie du secteur associatif habilité qui gère l’essentiel de la mission de service public sur délégation. Or elles sont souvent étranglées et asphyxiées financièrement ; elles ne trouvent pas toujours les volontaires pour les gérer surtout quand elles deviennent de petites PME avec de dizaines et des centaines de salariées et des millions de budget. Ce secteur civil est essentiel au ciment social auquel nous aspirons et à la paix sociale. Le négliger serait une erreur massive.

On le voit le chantier est important mais aussi vital quand l’enjeu politique – plus encore depuis 2015 – est b ien d’éviter qu’une partie de la jeunesse de France bascule vers les mafieux ou les djihadistes qui le exploiteront. Dans le temps où il faut répondre en terme de sécurité à tous les dangers que présentent ceux qui ne sont embrigadés avec les uns ou les autres ou sont en passe de le faire, il faut – c’est une démarche de prévention primaire – ne pas laisser décrocher les plus jeunes qui demain pourraient nourrir ces réseaux qui se constituent devant nos yeux.
Si une mesure s’imposait ce serait plus que jamais que mettre du social à l’école quand nul n’ignore que le secteur de la santé scolaire et le service social scolaire sont sinistrés et que la situation de la PMI et de la Prévention spécialisée est aujourd’hui menacée. Ouvrons les yeux. Tous les services sociaux de première proximité avec les populations fragilisées ou en doute avec la République sont en difficulté quand on attend plus d’eux. Réveillons-nous. A défaut le risque est majeur d’un immense apartheid qui nous sera fatal.

1 - http://social-sante.gouv.fr/IMG/pdf/feuille de route protection enfance 2015-2017-3pdf
2 - Dès l’intitulé étaient affichées les limites politiques du texte incapable de concevoir qu’il faut désormais parler de responsabilités parentales et non plus d’autorité parentale - l’autorité est inhérente à la responsabilité et sa condition.– et en se refusant à parler des droits de l’enfant, thème préempté par la manifestation anti mariage homosexuel pour lui préférer ce concept régressif sur le plan juridique d’intérêt de l’enfant !
3 - L’improvisation était d’autant plus réelle que les parlementaires ne disposaient pas officiellement des quatre rapports remis à Mme Bertinotti. 1) A. Gouttenoire « 40 propositions pour adapter la protection de l’enfance et adoption », 2) I. Théry sur La filiation, 3) C. Brisset sur La médiation, 4) JP Rosenczveig-Diouf sur « Les nouveaux droits des enfants », janvier 2014
4 - Rapport n° 655 du 25 juin 2014
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Voir en ligne : http://jprosen.blog.lemonde.fr/2016...


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