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Jeunes isolés à la rue

Publié le jeudi 23 juin 2016 , mis à jour le jeudi 23 juin 2016

Source : Mediapart

Auteur : Yves Faucoup

« Suite à la décision du Conseil départemental de Haute-Garonne de restreindre les prises en charge des jeunes majeurs, en particulier étrangers, une centaine d’entre eux ainsi que des mères isolées avec enfants sont à la rue. Des actions de soutien sont menées à Toulouse à l’initiative de professionnels du secteur éducatif et social. Ils accusent la collectivité d’être dans l’illégalité.

Par délibération du 12 avril et sur demande du président Georges Méric, l’assemblée du Conseil départemental (CD) de Haute-Garonne a décidé de ne plus accueillir à l’hôtel aucune femme enceinte ni mère isolée avec un enfant de moins de trois ans, ni non plus aucun étranger isolé. Par ailleurs, tout jeune majeur, qu’il soit français ou étranger, dès qu’il atteint 19 ans, doit quitter l’hébergement dont il bénéficie (que ce soit dans un établissement spécialisé ou un hôtel). Faisant constat de l’augmentation du nombre de prises en charge au cours des années récentes, de l’explosion des coûts et de la saturation des structures d’accueil, le Conseil départemental renvoie aux calendes grecques la solution, du moins "à l’horizon 2020" où 450 "places" devraient être créées.

Il s’agirait de 130 "places d’hébergement", de 230 à 300 "places d’accompagnements à domicile" et de 40 places d’hébergement pour jeunes majeurs (18-21 ans) transformées en places pour mineurs. Donc, il faudra attendre trois ans pour que cette solution (à budget constant) soit mise en œuvre : d’ici là, les nouveaux cas de mères isolées avec enfants n’auront pas de solution, les mineurs isolés étrangers ne seront plus hébergés à l’hôtel, et enfin tous les jeunes de plus de 19 ans ne seront plus accueillis et ceux qui le sont devront quitter l’établissement dès qu’ils atteindront l’âge de 19 ans. La mesure est effective depuis le 2 mai.

Le bunker

Cette décision aux conséquences graves n’a pas été débattue en interne et elle a été prise à huis-clos alors que l’Hôtel du Département était transformé en bunker : 400 travailleurs sociaux manifestaient à l’extérieur (moitié provenant des maisons d’enfants, moitié du Conseil Départemental), la Brigade Anti-Criminalité veillait, et 200 CRS effectuaient dans les locaux un exercice anti-terroriste.
Bien sûr, la collectivité s’engage à assurer à ces mineurs "une autonomisation et une insertion plus rapide" et "donc un meilleur accompagnement [des] jeunes majeurs". Et elle se réfère à la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfance qui incite à améliorer l’accompagnement des jeunes quittant les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance. Ça ne mange pas de pain, d’autant plus qu’un des objectifs est de ne plus accueillir les mineurs étrangers isolés, que cette loi décide désormais d’appeler mineurs non accompagnés (MNA). Cette formule permet de ne plus évoquer le fait qu’ils sont étrangers, tout en créant une confusion sur la notion d’accompagnement (puisque celui-ci renvoie habituellement à l’accompagnement social et/ou éducatif assuré par un professionnel) ou en utilisant un terme déjà en vigueur pour désigner les enfants de moins de 12 ans voyageant seul sur une compagnie aérienne.

Il se trouve aussi que cette loi du 14 mars a introduit dans l’article 388 du Code civil la possibilité de recourir à des tests osseux pour déterminer l’âge d’un mineur, lorsqu’il y a un doute. Cependant, la loi précise que ces tests doivent être réalisés sur décision judiciaire, et après avoir recueilli l’accord de l’intéressé : elle reconnaît qu’ils sont peu fiables, puisque les conclusions des tests doivent préciser la marge d’erreur et il est affirmé que "le doute profite à l’intéressé". C’est dire si l’on est peu sûr de la méthode. C’est bien pourquoi de nombreuses associations s’opposent à l’utilisation de ces tests considérés comme moyen de contourner le respect des papiers d’identité dont ces jeunes sont porteurs.
Or à Toulouse, les jeunes étrangers à la rue (une centaine actuellement) se présentent au Conseil départemental et ont un premier entretien avec du personnel qui tente d’évaluer leur âge. Certains fonctionnaires refusent car ils n’ont effectivement pas compétence pour effectuer cette évaluation. Par ailleurs, les jeunes ignorent qu’ils peuvent se soustraire à ce contrôle. Ils ont des papiers qui doivent servir de preuve et dont la validité ne peut être contestée que devant les services consulaires des pays d’origine. Des médecins légistes, qui procèdent à des tests osseux, techniques, nous l’avons vu, très controversées, car incertaines, vont jusqu’à tester des poils pubiens et la dentition (ce que la loi interdit : "il ne peut être procédé à une évaluation de son âge à partir d’un examen du développement pubertaire des caractères sexuels primaires et secondaires").

Double suspicion

Ces jeunes font l’objet d’une double suspicion systématique : ils sont arrivés par une filière mafieuse et sont forcément majeurs. Or, s’il est vrai qu’il existe des filières, bien sûr condamnables, le premier à en être victime c’est bien le jeune et ce n’est pas au Conseil départemental de régler ce problème des réseaux mafieux mais à la police. Par ailleurs, si leurs papiers indiquent qu’ils sont mineurs ce n’est pas à cette administration sociale de décréter d’emblée le contraire.
D’ailleurs, il arrive que le juge des enfants considère que les papiers du jeune homme suffisent, et valide de ce fait sa minorité, estimant que les tests osseux auxquels il avait été contraint n’étaient pas justifiés.
Faute de places suffisantes dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS), les autorités ont été amenées à envoyer des jeunes à l’hôtel. Ainsi 200 mineurs sont à l’hôtel, sans réel accompagnement (l’éducateur spécialisé du CD est chargé d’une centaine de suivis, tant dans les hôtels que dans les MECS) et ils ne bénéficient d’aucune formation. Pour se nourrir, ils ont droit à un ticket Flunch. Désormais, dès 18 ans, ils doivent quitter l’hôtel. C’est ainsi qu’un jeune homme m’a expliqué que c’était son cas : on lui a demandé de quitter l’hôtel et il se retrouve à la rue, venant dans le hall d’entrée du CD en espérant une solution. Et si le jeune n’est pas inscrit dans un projet scolaire, même s’il a moins de 18 ans, il doit quitter l’hôtel. Or, pour avoir une chance d’obtenir un titre de séjour, il faut être engagé dans une scolarisation ou formation depuis six mois avant sa majorité, ainsi que le prévoit la circulaire Valls pour les jeunes pris en charge par l’ASE entre 16 et 18 ans.

Les jeunes renvoyés ainsi à la rue tentent d’être accueillis au 115 : sauf que, situation ubuesque ou kafkaïenne, le 115 ne peut les prendre que s’ils sont majeurs, or le plus souvent ils sont mineurs, ont des papiers qui le prouvent, mais on ne les a pas reconnus comme tels : et désormais il leur faut prouver qu’ils sont majeurs ! Il arrive que, le procureur ayant classé sans suite la demande de reconnaissance de minorité, cela suffit à prouver au 115 que l’intéressé est bien majeur !

Collectif de travailleurs sociaux

Un collectif, composé de travailleurs sociaux des maisons d’enfants, d’agents des Maisons Départementales de la Solidarité (relevant du conseil départemental), et d’étudiants, est mobilisé en faveur de ces jeunes. Toutes ces personnes consacrent leur temps libre à venir aider ces jeunes dans leurs démarches auprès de l’administration. Dans le hall d’entrée de l’Hôtel du Département, j’ai pu échanger non seulement avec les membres de ce collectif mais aussi avec certains de ces jeunes, désemparés, se retrouvant brutalement à la rue, alors qu’ils se croyaient en sécurité encore pour quelques temps, après avoir vécu des parcours semés de graves dangers.

Le président du CD, pour expliquer sa décision, a mis en avant le coût des placements hôteliers : 5 millions d’euros, et le fait que ces dépenses ont explosé en l’espace de trois ans. Ce constat est indéniable, mais la collectivité n’hésite pas à allouer des dizaines de millions d’euros au Stadium, au Parc d’expositions, et aux transports. Pour la ligne LGV (Paris-Toulouse), en avril dernier on parlait de 480 millions d’euros à la charge du Département, décision non prise à ce jour (la discussion a eu lieu à Paris ce 22 juin). Or la situation de mineurs ou de jeunes majeurs en danger est une mission première d’un conseil départemental, avant toute autre dépense de prestige ou relevant d’un domaine qui n’est pas de sa compétence (comme le transport). Déjà, les clubs et équipe de prévention spécialisée ont été transférées du CD à la Métropole. Les professionnels sociaux ont le sentiment que la protection de l’enfance sert de variable d’ajustement.

Des avocats ont été sollicités et les actions engagées ont abouti : le procureur a pris d’autorité 26 ordonnances de placements d’urgence s’imposant au Département, deux recours auprès du juge des enfants ont été pris en compte, 21 recours sur le refus de prise en charge hôtelière ont été gagnés.

Recours devant le tribunal

Le Groupe d’information et de soutien des immigrés (GISTI) et l’association des Avocats des jeunes de Toulouse ont déposé un recours devant le tribunal administratif pour faire annuler la délibération du 12 avril. La Ligue des Droits de l’Homme a demandé au CD31 d’organiser, avec l’État, des états généraux de l’enfance, de la santé, de la justice : des magistrats auraient relevé que des mineurs victimes de violences familiales, ayant fait l’objet de mesures de protection par la justice, n’ont pas été pris en charge par l’administration (contrairement aux procédures en vigueur) et ont fini par poser des actes pénalement répréhensibles. Un avocat m’a confié que, selon lui, quelles que soient les suspicions sur les passeurs et les âges, la collectivité n’a pas à faire sa police elle-même, ni non plus à décréter que tous ces jeunes sont majeurs et du coup se permettre de les délaisser. De ce fait, "la question même d’une plainte au pénal pourrait se poser : pour non-assistance à personne en danger". »

Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/yves-fau...


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