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« La loi de la jungle » : protection de la dignité et obligation des pouvoirs publics dans le camp de Calais

Publié le lundi 25 juillet 2016 , mis à jour le lundi 25 juillet 2016

Source : Revue de droit sanitaire et social

Auteurs : Diane Roman, Serge Slama

« Quelles obligations pèsent sur l’État, et accessoirement sur la commune propriétaire du terrain, en référé-liberté, lorsque les autorités publiques ont pris l’initiative de créer ou de laisser s’installer un camp de migrants ? Telle était la question à laquelle le Conseil d’État a répondu dans l’ordonnance commentée. Car le site de « la Lande » sur lequel ont été regroupés par les pouvoirs publics, depuis mars 2015, les exilés de Calais a toutes les caractéristiques d’un camp. D’origine militaire, le terme de « camp » désigne, selon lePetit Robert, des « zones d’habitations sommaires édifiées pour une population qui fait l’objet d’une ségrégation ». Le terme de « campement » désigne quant à lui une « installation provisoire et désordonnée » et cette expression renvoie davantage à « l’action de camper », c’est-à-dire d’établir provisoirement un bivouac. Or, il apparaît que « la Lande » est appelée à durer....

Elle a déjà une histoire : La fermeture du centre de Sangatte fin 2002, qui avait accueilli en trois ans plus de 60 000 migrants, correspondait à une volonté de « dispersion des migrants présents sur le territoire de la commune de Calais » afin d’éviter l’apparition d’un nouveau point de fixation. Cette stratégie s’était traduite, toujours selon les termes de l’ordonnance, « par l’apparition de squats, de campements et de bidonvilles » dans et aux abords de Calais - que des migrants afghans avaient appelés les « jungles »

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Dès le printemps 2015, plusieurs des associations présentes sur place ont alerté la Commission nationale consultative des droits de l’homme « de la situation humanitaire extrêmement préoccupante des migrants à Calais et dans le Calaisis ». Elle a rendu en juillet 2015 un avis dénonçant les « conditions inhumaines dans lesquelles les migrants tentent de survivre » et « l’impasse dans laquelle se trouvent non seulement ces exilés mais aussi les autorités publiques confrontées à des problèmes d’une particulière complexité ». Mais c’est surtout avec la publication en octobre 2015 par le Défenseur des droits du rapport « Exilés et droit fondamentaux : la situation sur le territoire de Calais », après des missions sur place, que des associations (Médecins du Monde et le Secours catholique), ont décidé d’agir en justice. Paradoxalement, alors que le rapport était passé pratiquement inaperçu lors de sa sortie, la virulente réaction du ministère de l’Intérieur et la réplique de Jacques Toubon ont ouvert une fenêtre de tir contentieuse aux associations, comparable à celle offerte par la publication du rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté dans l’affaire des Baumettes. En outre, de manière concomitante, 800 personnalités ont lancé un appel pour alerter l’opinion publique sur le sort réservé aux exilés de Calais.

C’est pour « mettre le gouvernement face à ses responsabilités, face au droit (...) et au pied du mur » que les deux ONG qui interviennent dans le camp ont initié la procédure par la voie d’un référé-liberté, présenté de concert avec six migrants et soutenues par plusieurs autres associations (Cimade, LDH, Amnesty International France, ACAT-France, etc.).

Le résultat obtenu a été (presque) à la hauteur des espérances de ces associations. En effet, dans une longue ordonnance rendue le 2 novembre 2015, le juge des référés du tribunal administratif de Lille a prononcé plusieurs injonctions visant à améliorer concrètement les conditions de vie, la sécurité ou la salubrité du site ainsi que la protection effective des mineurs isolés. Sur appel du ministère de l’Intérieur, qui prétendait dans les médias avoir d’ores et déjà mis en oeuvre toutes les mesures prescrites, le juge des référés du Conseil d’État a rendu, le 23 novembre 2015, une ordonnance confirmant en tous points l’ordonnance du premier juge.

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I - Les modalités d’appréciation de la vulnérabilité des personnes dans un camp de migrants

Comme le défendait le ministère de l’Intérieur, le Conseil d’État estime qu’il n’existe pas d’obligation générale pesant sur l’autorité publique d’hébergement de l’ensemble des occupants d’un camp, hormis pour les catégories de personnes les plus vulnérables. Toutefois, le juge des référés affine son appréciation en identifiant précisément celles-ci.

A - Le rappel de l’absence d’obligation générale de prise en charge des migrants

La vulnérabilité, notion nouvellement entrée dans la réflexion juridique mais désormais centrale, a pu être définie comme « la corrélation entre une faiblesse particulière à la personne et la réalisation d’un risque matériel ». La personne est vulnérable quand sa situation de faiblesse personnelle, liée à une cause physiologique (âge, dépendance, maladie, handicap, grossesse) ou à un environnement (situation carcérale, appartenance à un groupe social, condition économique, parcours migratoire, etc.), l’expose à un risque particulier, et notamment à celui de traitement inhumain ou dégradant.

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B - L’identification d’obligations spécifiques de protection à l’égard de catégories de migrants particulièrement vulnérables

Trois groupes sont distingués dans l’ordonnance commentée : les demandeurs d’asile, les femmes et enfants, et parmi ces derniers les mineurs isolés, le juge faisant varier la protection reconnue au regard de ces catégories et du contexte légal.

- 1 Demandeurs d’asile en instance

Le droit à des conditions matérielles d’accueil décentes a fait l’objet, ces dernières années, d’un renforcement normatif et jurisprudentiel certain même s’il peine à devenir pleinement effectif. Si l’on peut déduire de la Convention de Genève de 1951, et plus largement des instruments internationaux de protection des droits de l’homme, un droit à un niveau de vie suffisant pour les demandeurs d’asile et les réfugiés, la consolidation récente de ce droit doit beaucoup au droit de l’Union européenne.

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- 2 Les femmes, une population vulnérable surexposée à des risques dans la Jungle

Une des particularités du camp de Calais est la présence en nombre non négligeable de femmes et d’enfants, en famille ou isolés. Ces personnes constituent des groupes surexposés à certains risques. S’agissant des femmes seules, qui seraient au nombre d’environ 300, les rapports associatifs, relayés par le Défenseur des droits, évoquent ainsi des agressions sexuelles incluant également des hypothèses de traite sexuelle (prostitution forcée). A des fins de protection, un centre d’accueil, intitulé « Jules Ferry », a été ouvert pour accueillir 120 femmes et enfants. Le Conseil d’État, dans son ordonnance, relève l’intention du gouvernement d’ouvrir 100 places supplémentaires et en déduit l’absence de violation grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale les concernant (cons. 8).

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- 3 Mineurs et mineurs isolés, une avancée s’agissant de leur recensement à défaut de prise en charge réelle et spécifique

La situation des enfants présents en famille dans le campement est également à peine relevée par le Conseil d’État, hormis au titre de l’urgence lorsqu’il constate que parmi les 6 000 occupants du camp on dénombre « 300 femmes et 50 enfants », ce qui, au regard des pièces du dossier et notamment du rapport du Défenseur des droits, caractérise une « situation d’urgence caractérisée » en référé-liberté (cons. 6). Mais, malgré ce constat, il ne prononce aucune mesure concrète dans le cadre de son office de juge des référés-liberté. Pourtant, dans le prolongement de l’arrêt Tarakhel c/ Suisse, le Défenseur recommandait d’une part aux autorités de porter une attention particulière à la situation des demandeurs d’asile accompagnés d’enfants. »

Voir en ligne : http://askoria.bibli.eu/index.php?l...


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