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Référé-liberté et mineurs isolés

Publié le jeudi 25 août 2016 , mis à jour le jeudi 25 août 2016

Source : Esquisse du Droit Administratif

« Par quatre décisions du même jour (CE 27 juillet 2016 Département du Nord, req. n° 400055, 400056, 400057 et 400058), le Conseil d’État s’est penché sur les modalités d’intervention du juge du référé-liberté en matière d’aide sociale à l’enfance.

L’affaire « pilote » (CE 27 juillet 2016 Département du Nord, req. n° 400055) est relative à la situation de M. B..., né le 15 août 1999, de nationalité malienne, qui, depuis son entrée en France, se trouve seul, sans famille connue, dépourvu de toute ressource et vit, dans des conditions très précaires, dans le jardin des Olieux, situé dans le quartier des Moulins à Lille (Nord).

Par un jugement en assistance éducative du juge des enfants près le Tribunal de Grande Instance de Lille, il a été confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE) du département du Nord.

Malgré une ordonnance du 7 avril 2016, le juge des référés du tribunal administratif de Lille, saisi par M. B... sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, le département n’a pas exécuté cette décision.

M. B... a de nouveau saisi, sur le fondement des mêmes dispositions, le juge des référés du tribunal administratif de Lille d’une demande tendant à ce qu’il soit enjoint au département du Nord, à l’Etat et à la ville de Lille de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées, selon lui, à plusieurs libertés fondamentales.

Par une seconde ordonnance le tribunal administratif de Lille a,
- d’une part, enjoint au département du Nord de proposer à M. B... une solution d’hébergement, incluant le logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires quotidiens, dans un délai de trois jours, sous astreinte jusqu’à ce que M. B... ait été effectivement pris en charge par le département et,
- d’autre part, prononcé la même injonction à l’encontre du préfet du Nord, en cas de carence du département à l’issue d’un délai de dix-sept jours.

Le département du Nord a donc fait appel de cette ordonnance.

Le Conseil d’État vient ici préciser la compétence et les pouvoirs du juge du référé-liberté en matière de mineurs isolés placé à l’ASE à travers plusieurs questions :

1) Quelle autorité est compétente pour prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance ?

Tout d’abord, la Haute juridiction expose qu’il revient incombe, à titre principal, aux autorités du département de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l’aide sociale à l’enfance, et ce, tout particulièrement lorsque ces mineurs sont privés sans abri et que leur santé, leur sécurité ou leur moralité est en danger.

En outre, le juge précise qu’il appartient, à titre supplétif, aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti.

Toutefois, la compétence des autorités titulaires du pouvoir de police générale ne saurait avoir pour effet de dispenser le département de ses obligations en matière de prise en charge des mineurs confiés au service de l’ASE.

Cette décision contraste manifestement avec deux décisions rendues quinze jours plus tôt, aux termes desquelles « l’intervention du département ne revêt qu’un caractère supplétif, dans l’hypothèse où l’État n’aurait pas accompli les diligences qui lui reviennent, et ne saurait entraîner une quelconque obligation à la charge du département dans le cadre d’une procédure d’urgence qui a précisément pour objet de prescrire, à l’autorité principalement compétente, les diligences qui s’avéreraient nécessaires ; » (CE Section 13 juillet 2016 Ministre des affaires sociales et de la santé c/ M. et Mme B…, req. n° 400074, à publier au Recueil ; CE Section 13 juillet 2016 Département de la Seine-Saint-Denis, req. n° 388317, à publier au Recueil)

2) Le juge du référé-liberté est-il compétent pour connaître d’une demande d’injonction d’un mineur placé à l’ASE par décision du juge des enfants, à l’encontre du département et des autorités de police générale, relative à son hébergement et à sa prise en charge ?

A travers la présente décision le Conseil d’État rappelle implicitement sa décision CE, Juge des référés, 12 mars 2014 M. A…, req. n° 375956, en vertu de laquelle il avait admis que « si un mineur non émancipé ne dispose pas, en principe, de la capacité pour agir en justice, il peut cependant être recevable à saisir le juge des référés, lorsque des circonstances particulières justifient que, eu égard à son office, ce dernier ordonne une mesure urgente sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (…) notamment (…) lorsque, comme en l’espèce, le mineur étranger isolé sollicite un hébergement d’urgence qui lui est refusé par le département, auquel le juge judiciaire l’a confié ».

Ainsi, le juge du référé-liberté est compétent, lorsque la carence caractérisée du département dans l’accomplissement de cette mission d’hébergement et de prise en charge du mineur isolé porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé.

L’intervention du juge des référés est cependant subordonnée au constat que la situation litigieuse permet de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires, dans l’attente d’un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d’accueil ou une famille d’accueil si celui-ci n’est pas matériellement possible à très bref délai.

3) Quelles mesures le juge du référé-liberté peut-il prescrire ?

Pour la Haute juridiction le juge peut prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de la carence des autorités publiques.

Si l’accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d’accueil ou une famille d’accueil n’est pas matériellement possible à très bref délai, le juge pourra alors prononcer, dans cette attente, toute mesure pouvant revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale.

Néanmoins, la compétence des autorités titulaires du pouvoir de police générale n’étant que supplétive, le juge des référés ne peut prononcer une injonction à leur égard que dans l’hypothèse où les mesures de sauvegarde à prendre excéderaient les capacités d’action du département.

En l’espèce, le juge relève que si le département du Nord a consenti des efforts importants pour la prise en charge des mineurs isolés étrangers, en nombre croissant, il ne résulte toutefois pas de l’instruction :
qu’aucune solution ne pourrait être trouvée pour mettre à l’abri M. B...et assurer ses besoins quotidiens dans l’attente d’une prise en charge plus durable conformément aux prévisions du code de l’action sociale et des familles
que M. B...aurait, par son attitude, fait obstacle à sa mise à l’abri ou à son hébergement par le département du Nord.

Ainsi, eu égard aux conditions de vie de M. B…, l’abstention du département à prendre en compte les besoins élémentaires de ce mineur en ce qui concerne l’hébergement, l’alimentation, l’accès à l’eau potable et à l’hygiène, malgré son placement à l’ASE, fait apparaître une carence caractérisée, qui est de nature à exposer ce mineur à des traitements inhumains ou dégradants et porte ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Pour le Conseil d’État, le département n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Lille lui a enjoint de proposer à M.B..., dans un délai de trois jours, une solution d’hébergement incluant le logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires quotidiens. »

Voir en ligne : http://esquisse-droit-administratif...


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