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L’histoire d’A., enfant afghan abandonné par les services sociaux, par A. Nadimi

Publié le lundi 19 septembre 2016 , mis à jour le lundi 19 septembre 2016

Source : Mediapart

Auteur : La Chapelle en Lutte

« Voici l’histoire d’A.,12 ans, qui faute de prise en charge à Paris, est parti à Calais avec l’espoir de rejoindre son frère de 17 ans en Angleterre. Elle n’est qu’un exemple parmi de nombreuses autres histoires de mineurs isolés, que nous ne connaissons pas, pour qui nous n’avons pas pris assez de temps. Je la relaye pour l’aider, lui et les autres, à obtenir leur droit... la protection.

Au nom de tous ses petits camarades d’infortune, je vais vous raconter une partie de l’histoire d’A., 12 ans, qui a cherché à différentes reprises aide et protection à Paris, mais qui a eu bien du mal à se faire écouter et entendre… Peut être que de l’écrire lui portera chance et c’est bien de chance dont il a besoin à ce stade… Inchallah !

Le 11 aout, je reçois un signalement d’un enfant de 12 ans qui est arrivé à Jaurès. Le matin même une rafle a encore eu lieu, le peu de soutiens présents en ce mois terrible se relaie matin et soir. Le signalement d’une amie soutien dit :

« Mineur afghan de 12 ans (prénom et nom) et son oncle (prénom et nom) 42 ans joignable au (numéro de téléphone). Ils parlent pachtou. La famille du petit a été kidnappée par les talibans donc l’oncle a pris en charge le petit depuis qu’il est âgé de 4 ans. Ils se sont fait jeter de la CAFDA parce que pas de taskera (papiers d’identité afghans). »

Je sais que quand Laure fait un signalement elle le fait avec soin, sérieux et qu’elle prend le temps pour comprendre la situation des signalés.

Nous sommes peu nombreux, les rafles sont quasi quotidiennes et le 17 aout marquera le début de la suspension des maraudes des équipes Emmaus et de France terre d’asile (FTDA) en protestation des opérations policières qui les empêchent de faire leur travail dans des conditions « normales ».

Les jours qui suivent, je passe du temps à leurs côtés à Jaurès.
Le petit semble perdu, l’oncle distant, j’essaie de comprendre ce comportement mais j’ai bien du mal à comprendre. Malgré les nombreux essais de traduction, on ne veut pas passer à leurs yeux pour des agents de la police en insistant avec nos questions. Malgré des confusions et des suspicions, l’oncle se veut rassurant mais je sens A. très distant, fermé, fuyant et en souffrance… je ne comprendrai que plusieurs semaines plus tard pourquoi… difficile d’aller au fond des choses sur un camp d’infortune dans ce climat de menace permanente, entre deux rafles, où s’entassent malades, mineurs isolés, enfants et bébés, où les urgences et les demandes sont sans interruption…

Le jeudi 25 aout, la canicule est là, bien installée et avec elle est envoyée une assistante sociale de secteur pour assurer pendant quelques jours quelques maraudes. Elle ne connait pas la problématique des migrants et les rouages de leur parcours mais elle est là. Comme chaque jeudi matin du mois d’aout, je donne un cours de français aux mineurs isolés quelques stations de métro plus loin, ce qui fait que je ne peux pas répondre à mon portable. Elle passe le matin et trouve A. seul. Son oncle s’est fait renverser par une voiture la veille et est hospitalisé. A. souhaite cette prise en charge, elle le dépose au DEMIE (dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers- Croix Rouge). Une amie soutien me prévient et nous nous inquiétons sur le devenir du petit et de l’oncle qui pourraient ne jamais se retrouver. Que pourrait imaginer l’oncle s’il ne le retrouve pas en revenant ? J’apprends cela en fin de matinée, j’essaie de comprendre ce qui a été dit au DEMIE et ce que souhaite A., est-ce une mise à l’abri d’urgence, une demande de prise en charge ? Est-ce que le fait que l’oncle ne soit plus dans les parages le libère d’une emprise et lui permet de demander une protection institutionnelle ?
L’assistante sociale me dit que le petit ne semble pas bien, qu’elle n’avait pas les éléments mais qu’elle a demandé une prise en charge par l’aide sociale à l’enfance, qu’elle pense qu’il souhaite se déclarer isolé, bien qu’elle n’en soit pas certaine, qu’elle n’ait pas pris assez le temps, qu’elle ne sache pas ce qui a été demandé à A. lors du premier contact au DEMIE. Elle rappelle le DEMIE, et dit ensuite que tout est clair, qu’il sera en mesure de retrouver son oncle à tout moment une fois sorti de l’hôpital s’il le souhaite, et qu’il sera pris en charge par l’aide sociale à l’enfance s’il le souhaite, qu’il est habilité à faire son choix lui-même… Il est évident qu’ elle a pris le personnel du DEMIE pour un personnel humain, non arbitraire, conciliant, à l’écoute et bienveillant… pas de sa faute, elle qui n’a jamais eu affaire à eux avant… je prendrai le temps de lui expliquer leurs pratiques plus tard, elle dit pouvoir en parler dans ses rapports, pourquoi pas … Pour le DEMIE, le petit n’est donc plus officiellement isolé. Et malgré leur promesse de prise en charge, après deux nuits de « mise à l’abri » dans un hôtel insalubre, il est remis dehors. Remettre dehors c’est ce qu’ils savent mieux faire, sans ménagement ni précaution.

Je retrouve A. à Jaurès, il ne semble pas tout avoir compris. Grâce à l’aide d’un afghan qui traduit, je lui demande ce qu’il souhaite faire, s’il souhaite rester avec son oncle dehors, s’il souhaite retourner en hôtel, si je peux faire quelque chose pour lui. Il ne sait pas, il ne comprend rien et est de toute évidence sous la pression de cet homme qui un coup joue l’attachement, un coup la distance. Il décide de rester à ses côtés. On parle avec l’oncle qui dit aussi vouloir le garder. A. ne bénéficie de rien, il ne peut plus rien attendre, sur ces trottoirs qui se rétrécissent de jour en jour comme l’espoir qu’il avait eu en arrivant.

Un soir, il vient me voir, il me demande une maison, il n’en peut plus de la rue, il n’en peut plus de cet oncle qui ne prend rien en charge, et on finit tous par se demander si c’est vraiment son oncle. Quand on connait l’importance de la famille pour les afghans, tout cela est louche et il dit qu’il ne veut finalement pas rester auprès de lui. D’ailleurs, son oncle ne contredit pas. A. comprend que les choses seront surement plus simples pour lui s’il peut avancer librement, seul avec ses droits. Je lui donne rendez-vous le lendemain matin pour le déposer au DEMIE.

Jeudi 8 septembre à 9 h, il m’attend au rendez-vous fixé pour que je l’accompagne là où on est censé s’occuper de lui et le prendre en charge. Il a confiance en moi, il sait que depuis 4 semaines, à chaque fois que le croise, je tente de prendre de ses nouvelles, de m’assurer qu’il va bien et que j’ai même réussi à lui faire livrer une paire de Stan Smith le jour où il avait perdu ses chaussures (merci Christine de les avoir trouvées immédiatement et à notre livreur Helmi !)

C’est donc avec ses belles chaussures qu’il me suit confiant mais malgré tout anxieux sur le chemin du DEMIE (en 4 semaines, il a eu le temps d’en voir défiler des mineurs avec les bras piqués par les punaises de lit des hébergements du DEMIE quand ce n’est pas leurs déceptions lorsqu’ils sont refusés…) Je sais que le dossier est compliqué pour des abrutis comme eux et que je dois l’expliquer pour éviter toute confusion. S’ils tapent son nom et son prénom, ils vont retrouver son ancien statut et le remettre une seconde fois à la rue faute d’isolement.
J’ai sonné à la grille, on ne m’a pas ouvert malgré l’importance de ce que j’avais à dire. L’interlocuteur qu’on m’envoie est un individu fermé au regard fuyant qui se dit "psychologue". Pourtant il s’en moque bien de l’histoire de A. et répond simplement : « on va voir » …

Puis, j’ai attendu longtemps au café du coin sans le voir sortir. Je n’ai pas pu imaginer qu’ils pourraient le remettre à la rue, du haut de ses 12 ans. Son histoire avait été expliquée clairement cette fois et inutile d’être psychologue pour voir sa souffrance, son isolement et son besoin de protection. A moi, il avait su le demander clairement. Ce soir-là, comme les trois soirs suivants, j’ai essayé de le joindre pour lui demander sa date d’entretien pour son évaluation et pour lui souhaiter le meilleur qui soit entre les mains de l’aide sociale à l’enfance... mais il était sur messagerie. J’ai eu espoir que son cas avait enfin été réglé à force d’insister.

Trois jours plus tard, quelqu’un m’a dit l’avoir rapidement aperçu en journée sur le campement. Mais comme les pensionnaires ne mangent pas à leur faim dans les hôtels du DEMIE où un seul repas par jour leur est donné, j’ai espéré que c’était là la raison de son passage.

Le lendemain, en le retrouvant sur le campement, il m’a appris que le DEMIE l’avait en fait rejeté le jour où je le leur avais confié. Puis, il m’a subitement dit vouloir partir à Calais pour aller rejoindre un frère de 17 ans reconnu mineur isolé en Angleterre. Il n’avait jamais parlé de ce frère avant. Plus rien ne l’arrêtera mais pourtant si ce jeudi 8 septembre le DEMIE l’avait mis à l’abri et protégé, s’il avait été pris en charge par le SEMNA (secteur éducatif du mineur non accompagné de l’aide sociale à l’enfance), le désespoir et le sentiment d’abandon ne l’auraient peut-être pas poussé à prendre cette décision dangereuse.

Persuadée qu’il va être bien compliqué pour lui de rejoindre Calais et qu’il lui sera impossible de rejoindre l’Angleterre au moment où un mur se construit, je décide d’essayer encore de le dissuader. Par un intermédiaire, puis par moi-même. Le DEMIE n’aurait jamais dû le remettre à la rue ce jeudi 8 septembre mais mieux vaut se dire qu’il y a eu confusion, négligence et qu’on peut encore essayer pour ne rien regretter : y retourner, parler, expliquer, prendre le temps de bien faire les choses pour lui éviter cette folie de tenter de passer vers l’Angleterre. Ce lundi 12 septembre, je préviens l’assistante sociale de la situation pour essayer d’éclaircir le dossier. Elle me promet de me rappeler, mais ne tient pas sa promesse. De toutes façons sa mission terrain s’arrête avec la fin de la canicule. J’envoie également un mail à la mairie de Paris qui ne me répondra jamais.

Comment A. peut-il encore me faire confiance ? A chaque fois que je veux l’aider, il se retrouve dans un bureau avec des inconnus qui ne comprennent rien et qui le remettent dehors. Le lendemain, je passe un long moment avec lui et ses amis, je lui explique, lui fais expliquer les difficultés de Calais, du passage en Angleterre. Il est prêt à retourner une nouvelle fois au DEMIE, car il se rend bien compte que rien ne sera gagné là-bas non plus. L’oncle est d’accord, ne se souciant guère. Ils sont toujours d’accord tous les deux sur le fait que chacun poursuive le chemin seul. Il faut y aller maintenant avant qu’il ne reprenne peur et ne change d’avis.

Mais si le DEMIE ne m’a pas écouté quelques jours plus tôt, il n’y a pas de raison que cela marche cette fois ci. Peut-être que si les associations reconnues l’accompagnent et expliquent cela marchera mieux. Je demande donc aux maraudes Emmaus et France terre d’asile de prendre la relève après leur avoir fait un point précis de sa situation. Je leur présente A. pour ne pas rompre sa décision et sa confiance fragiles. A. est d’accord pour les suivre. La condition pour eux est de l’entendre sur ce qu’il veut (ça change du DEMIE) « prendre le temps de comprendre ». Ils partent donc avec A. dans un bureau dans les locaux de FTDA pour parler avec lui. A .ne comprend pas ce changement de cap, il connait le chemin du DEMIE, il est inquiet. Il leur dira qu’il veut aller en Angleterre pour rejoindre son frère et ressortira du bureau comme il en était sorti, sans rien, mais plus clair sur sa décision de partir pour Calais. A-t-il dit cela pour s’échapper du bureau ? A-t-il tous les éléments pour décider par lui-même ? A 12 ans, cela semble bien difficile de savoir ce qui est le mieux pour soi…

Le sentiment qui m’envahit à ce moment est d’avoir réussi un truc compliqué, lui faire accepter d’aller une autre fois vers le DEMIE, puis de voir cette réussite sabotée. Alors je finis par me dire que s’il souhaite vraiment aller rejoindre son frère, on doit l’aider pour le faire. On doit éviter qu’il aille à Calais tout seul ou d’être dans les mains d’un passeur, il faut essayer d’organiser et d’encadrer son départ. Je retourne à FTDA avec lui pour tenter d’organiser ce départ vers l’Angleterre de manière légale. Là, il nous apprend qu’il a un cousin qui est en Angleterre, qui devrait peut « peut-être » pouvoir se porter garant pour le faire venir de légalement au nom du rapprochement familial. FTDA prend contact avec l’antenne de Calais et s’assure qu’il aura un hébergement à l’arrivée, mais à nous les soutiens de payer le billet de train, faut pas pousser…

A. va donc partir. Tout va subitement très vite... Une amie soutien lui ouvrira sa porte la veille de son départ avant le grand départ. Volontairement, il ne dira pas au revoir à son oncle. En 48 heures, son départ a été organisé. Nous sommes à la gare pour lui dire au revoir, le mettre dans le train avec du crédit téléphonique en guise de lien, pour lui donner de la force et du courage. Avant cela, on a pris le temps qui nous a manqué depuis des semaines pour parler avec lui, loin du campement, dans un endroit réconfortant. Il nous a raconté son histoire, sans question ni obligation. Il nous a dit que son père a été tué quand il avait 6 ans, que son frère et son cousin qui sont maintenant en Angleterre ont été enlevés, que lui aussi. Toute sa famille a été sous haute menace. Il nous dira aussi qu’il a été forcé sous la menace de mort de prendre les armes, enfant soldat martyrisé, qu’il est bien parti avec son oncle d’Afghanistan mais que ce dernier l’a abandonné sur la route de l’exile en Hongrie car il ne marchait pas assez vite… il nous racontera comment il s’est caché à différentes reprises pour échapper à la police et à la mort tout on long de son périple. Il nous dira aussi qu’il a retrouvé son oncle par hasard à Jaurès quand il est arrivé, qu’il n’aime pas son oncle, qui l’avait déjà abandonné et qu’il n’aurait jamais dû le retrouver. Voilà ce qu’il nous dit, loin du bout de trottoir parisien qu’il a fréquenté pendant un mois, une fois en confiance, et quelques heures avant de prendre le train et continuer son long chemin.
Ce jeudi 15 septembre lorsque nous l’avons mis dans le train, nous avons enfin vu un sourire sur son visage marqué.
Etions nous suffisamment sures qu’il pourrait rejoindre l’Angleterre, qu’il serait bien pris en charge à Calais ? On a fait confiance à l’institution FTDA.

Depuis, je l’ai eu au téléphone chaque soir, et j’ai pu lui parler grâce à un ami afghan traducteur qui n’est jamais loin. Mais ce soir il pleurait au téléphone. Il pleurait car il partage sa chambre avec 4 adultes inconnus qu’il trouve bizarres. Il se rend compte que rien n’est gagné et qu’il est possible qu’il ne puisse pas rejoindre l’Angleterre n’ayant personne pour se porter garant…lâché cette fois par son cousin... Aucun suivi de l’institution qui a organisé son départ, il n’y a pas d’astreinte pour les urgences le weekend, ça attendra lundi…
Ce soir, il m’a demandé de revenir. Probablement car on avait réussi, quelques heures, à l’écouter et gagner sa confiance.

Voilà ce qu’a raté le DEMIE et les différents acteurs sociaux : son histoire.

A suivre ….

Merci Lola, Scarlett, Laure, Delphine, Marie Laure, Florence, Panthéa, Christine, Romane, Laura, Loic, Helmi, Motjaba et ceux qui ont fait plus que le croiser. »

Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/la-chape...


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