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La jungle démantelée, mais l’état de droit aussi (655)

Publié le lundi 7 novembre 2016 , mis à jour le mardi 8 novembre 2016

Source : http://jprosen.blog.lemonde.fr

Auteur : Jean-Pierre Rosenzweig

« Le sort fait aux enfants – c‘est à dire aux personnes âgés de moins de 18 ans – présents à Calais interpelle singulièrement notre société qui se targue de prendre en compte les droit des personnes. Si nous n’avons pas de pétrole nous aurions au moins le respect des droits e la personne chevillée au corps. À voir !

Sans nier la difficulté de l’exercice auquel les autorités françaises sont confrontées, les zones d’ombre, sinon les sujets d’interpellations, ne manquent pas sur ce qui n’a pas été fait et surtout sur ce qui se fait aujourd’hui. Indéniablement même un sort spécifique leur est réservé, les enfants étrangers sont avant tout des étrangers avant d’être des sujets de droit.

Déjà chaque jour on nous annonce un nouveau décompte. Les pouvoirs publics et les associations étaient quasiment d’accord avant l’été pour les chiffrer à 350 ; il y a peu on parlait de 600. Depuis quelques jours on est sur 1 300 et aujourd’hui on annonce 1 600. On peut penser que la perspective de pouvoir passer en Angleterre à drainer vers Calais des nouveaux mineurs isolés – désormais appelés « mineurs non accompagnés » (MNA) – et bien évidemment des adultes qui cherchent- et c’est compréhensible – à s’infiltrer dans le dispositif mis en place.

Cela ne peut pas justifier un traitement au faciès comme nombre de témoins peuvent en attester que ce fut pratiqué dans cette semaine fatidique où il a fallu faire le partage en entre majeurs et mineurs. Mais pourquoi justement a-t-on tant attendu pour identifier une grande partie[1] des personnes présentes dans la Jungle et rester sans mettre en place la protection administrative, puis judiciaire qui leur était due comme le demandait notamment le Defenseur des droits ?

La question de l’identification va désormais très vite être posée puisqu’à l’instar des départements destinataires de personnes présentées comme mineures, les autorités anglaises entendent appliquées leurs critères. Là encore un examen des cartilages… Avec quelle fiabilité ? Déjà les garanties à l’évaluation par les services ASE ou leurs sous-traitants (France Terre d’Asile, Croix rouge français) laissent souvent à désirer, mais là on atteint un sommet puisque ce sont des personnels peu formés sur la problématique qui sont chargés de faire le tri. Qui et avec quelles compétences dans les 30 et quelques centres d’accueil qui viennent d’être créées va être en charge du suivi de ces jeunes ?

En tout cas, depuis trois ans des équipes tentent de substituer aux examens osseux controversés[2] une démarche plus rationnelle avec des interlocuteurs issus de la culture revendiquée par les jeunes.

Dans ces centres vers lesquels sont orientés les jeunes, outre le gîte et le couvert – avancées incontestables par rapport à ce qu’ils ont pu supporter à Calais – trouveront-ils la chaleur, l’accompagnement humain et le soutien psychologique – on a quand même affaire à des enfants précipités hors de la communauté familiale sans précautions particulière, mais aussi juridique qui leur est nécessaire pour plaider leur cause au regard de la minorité contestée, mais aussi sur procédure de regroupement familial ou le droit d’asile ?

En d’autres termes, il devrait aussi être question, par-delà la démarche humanitaire indispensable, pratiquée avec un succès incontestable qu’il faut saluer, ici à grande échelle, avec une mobilisation sans précédent , de se mettre dans les rails juridiques. Il serait peut être temps de mobiliser, non seulement les associations humanitaires, mais encore en nombre et en qualité les avocats dont c’est la mission.

Prenons un peu de recul pour approfondir ce qui se joue depuis des mois et des mois (conf. mes différents papiers sur ce blog, notamment le 650) pour les mineurs étrangers non accompagnés et ce qui se développe devant nos yeux.

Quels qu’aient été les efforts déployés par la puissance publique territoriale ou d’État (administration sociale, tribunaux pour enfants, etc.) et le réseau associatif habilité ou caritatif, nous sommes largement sortis des clous.

Ces enfants relèvent légalement de la protection administrative – développée par le Conseil départemental – qui doit mobiliser les moyens nécessaires quitte, sur une situation aussi exceptionnelle que celle de la jungle de Calais – ou d’autres mini jungles -, à mobiliser des moyens publics exceptionnels dégagés par l’État. La circulaire Taubira du 13 mai 2013[3], mais aussi les lois de 2007 et 2016 sont là qui sont claires. Le département doit mettre à l’abri avec un financement de l’État pour les 5 premiers jours[4]. Dans un deuxième temps – qui peut être aussi le premier – l’institution judiciaire doit intervenir en confiant la personne tenue pour mineure à l’Aide sociale à l’enfance ou à une institution privée habilitée, voire à un tiers digne de confiance. Le juge de l’enfant peut aussi s’autosaisir des situations qu’il repérerait ou être saisi par des jeunes qui se présenteraient à son cabinet…s’ils peuvent y accéder[5].

La contestation de l’identité du jeune doit obéir à certaines règles. Des papiers font foi jusqu’à être contestés par les autorités du pays ou les policiers spécialisés français. L’expertise osseuse fort contestée a certes été légalisée par la loi du 14 mars 2016, mais doit faire l’objet d’un usage modéré. Et en tout état de cause le doute doit profiter à la jeune personne. Ces règles seront-elles prises en comptes pour les jeunes de Calais ?

Quels qu’aient été les efforts déployés depuis plus d’un an sur la jungle de Calais, force est d’observer que la mobilisation qui s’imposait n’a pas été engagée en temps utile. Jamais le département n’a mis en place une aide sociale d’urgence sur le site de la Jungle. Tout reposait sur des associations qui, d’ailleurs, connaissaient bien peu de choses sur le dispositif de protection de l’enfance. Pourquoi avoir négligé d’accorder les renforts nécessaires aux services départementaux débordés et aux juridictions de l’enfance par l’envoi de magistrats ? On aurait dû dénoncer chaque situation au procureur de la République qui se devait de prendre une mesure protection en urgence avant de saisir le juge ou de mobiliser la cellule nationale de recherche de places d’accueil.

Avec le dispositif mis en place avec le démantèlement de la jungle de Calais ne demeure-ton dans la considération d’un flux migratoire qui doit être contenu et géré par des opérations de police et un hébergement type SAMU alors que l’on a affaire à des enfants qui appellent à une prise en charge spécifique au regard du droit interne et de nos engagements internationaux ?

Les équipes de ces centres devront procéder à une évaluation sociale de l’isolement et de la minorité en dehors de tout cadre légal puisque ces jeunes ne seront, à ce stade, ni confiés aux services de l’aide sociale à l’enfance d’un département ni signalés à l’autorité judiciaire. On peut craindre que ceux déclarés majeurs seront renvoyés dans des centres pour adultes, sans autre forme de procès. Disposeront-ils de recours à l’encontre d’une décision qui leur fait grief ? Le leur expliquera-t-on dans une langue intelligible ?

Ces interpellations s’imposent d’autant plus que l’opération de ces deniers jours pour évacués la Jungle de Calais est loin de clore le dossier. Personne ne peut en douter.

On peut penser que nombre de jeunes ne trouveront pas leur compte dans ce qui leur est proposé aujourd’hui tout simplement du fait que les autorités anglaises veulent avoir la preuve qu’ils ont de la famille en Angleterre. Magnanimes elles accepteront les très jeunes enfants sans attache Outre-manche, mais on peut penser qu’il y a en aura très peu. Le bras de fer ne fait que commencer entre les Anglais et les Français[6]. La France entend que tous les enfants qui souhaitent aller en Angleterre puissent y aller tout simplement au nom du pragmatisme C’est la seule démarche de nature à les mettre en sécurité.

On peut penser aussi que la « réponse » apportée à ces situations attirera de nouveaux jeunes mineurs ou majeurs vers la France. Tout simplement une partie de jeunes ne trouveront pas leur compte dans ce départ vers les régions françaises, mais là on peut avoir es surprises agréables.

En d’autres termes on doit saluer la mobilisation engagée en ce mois d’octobre et d’autres pays européens qui doivent être intéressés au règlement du problème par l’État en relais du travail déjà mené par les conseils départementaux et le secteur associatif. Il s’agit maintenant de quitter l’opération humanitaire pour faire du droit et de la politique.

N’oublions pas que ces mineurs, d’aucune manière, ne repartiront vers leur pays. Ils ont fui les combats meurtriers ou ont été mandatés pour aller travailler en Europe ; ils ne reviendront pas. Nous devons leur faire la place qu’ils méritent comme enfants. Nous nous devons d’être en cohérence avec nos discours mais il nous faut pragmatiquement apporter une réponse à ces situations. Notre intérêt bien compris est de les sortir de l’illégalité, or nous-mêmes sommes dans l’illégalité.

Avec les départs en bus vers les centres d’accueil on a fait le plus facile – même si indéniablement l’exercice n’a pas été évident et si on doit saluer l’absence d’incidents - ; encore faut-il maintenant traiter réellement et au mieux ces jeunes.

Doit on rappeler, pour nous remettre les pieds sur terre que, tout compte fait, on parle de 1 600 mineurs sur Calais et de quelques 6 à 8000 au plan national. Peanuts au regard de ce que l’Espagne, l’Italie ou la Grèce supportent ! L’Etat ne devait-il pas décider et annoncer un programme original avec un financement spécifique pour ces jeunes ?

PS Une circulaire Justice signée par M. Urvoas le 1er novembre 2016 s’attache à organiser l’accueil et l’orientation des jeunes sortis de Calais à travers un dispositif dérogatoire et transitoire

[1] On sait que cette population était à la fois stable et volatile, en difficulté et défiante, empêchant un « inventaire » précis et opérationnel

[2] Au point où le Défenseur des Droits demandait son abandon en 2016.

[3] Pour la première fois l’Etat admet explicitement avoir une part de responsabilité à assumer à l’égard des MNA. Il consacre aussi une solidarité inter départementale dont le dispositif a été annulé par le Conseil d’Etat faute de base légale et qui a été repris par la loi du 14 mardi 2016 et son récent décret d’application. Le dispositif Taubira déroge à la loi puisqu’elle amène les juges à ne plus intervenir alors même qu’ils sont valablement saisis par les jeunes (articles 375 et s du code civil) pour laisser les parquets gérer les dossiers en les adressant avec une ordonnance de placement dans d’autres départements.

[4] Ces 5 fois 250 euros peuvent être tenus pour une aumone quand nombre de jeunes vont être accueillis des mois, sinon des annees !

[5] Ce qui suppose qu’ils connaissent cette faculté offerte par la loi de saisir valablement un juge et que des obstacles physiques ne soient pas mis à l’accès au cabinet du juge comme il est difficile d’accéder à certains services spécialises pour les MNA

[6] Les autres pays européens suivront avec intérêt ce rapport de force sur fond de Brexit pour être confronté à un problème identique. »

Voir en ligne : http://jprosen.blog.lemonde.fr/2016...


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