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Gros Journal - Williams Kemadjou Tchatchoua, Itinéraire d’un sans-papier, sacré meilleur ouvrier de France

Publié le mardi 17 janvier 2017 , mis à jour le vendredi 20 janvier 2017

Source  : www.canalplus.fr

Auteurs :

  • Mouloud Achour
  • Témoignage de Williams Kemadjou Tchatchoua
  • Témoignage de Samuel, éducateur au DDAMIE (dispositif d’accompagnement des mineurs isolés étrangers)

Date : 17 janvier 2017

« Le Gros Journal avec Williams Kemadjou Tchatchoua : « Les migrants sont des gens qui veulent bosser pour la France »

Ce soir dans le Gros Journal, Mouloud Achour rencontre Williams Kemadjou Tchatchoua, un jeune sans-papiers à l’itinéraire exceptionnel qui a traversé seul six pays dans des conditions très difficiles avant de devenir meilleur ouvrier en métallerie de Bretagne.

Récemment, la préfecture a validé sa demande de carte de séjour, mais il nous raconte son itinéraire à travers l’Afrique et l’Europe et comment il a dû se battre à son arrivée en France pour prouver qu’il était mineur.

Williams Kemadjou Tchatchoua représentera bientôt la France à Dubaï dans sa spécialité. En attendant, il représente la Bretagne et défend sa météo et sa langue… à laquelle il tente même d’initier Mouloud Achour !

Mouloud Achour : Comment ça va Williams ?
Williams KT : Ça va très bien !

On est ici dans un endroit qui t’est familier : un atelier de métallurgie. Mais il faut d’abord que l’on vous raconte son parcours incroyable… Ça pourrait être l’histoire d’un film, donc on va faire comme quand on raconte un film : un gros pitch… Alors, où est-ce que tu es né ?
Williams KT : Je suis né en Banga (au Cameroun), le 17 août 1998.

En 1998, quand la France était championne du Monde. Donc tu as bientôt 19 ans.
Oui, c’est ça.

Tu as combien de frères et sœurs ?

J’ai une sœur et trois frères.

Ton père était paysan, planteur et cultivateur, donc tu as quitté ton père pour aller à Douala…
Mon papa nous a abandonnés quand j’avais 7 ans, et notre maman est restée avec nous, c’est elle qui nous a élevés. Et comme je suis fils d’un planteur mais que je n’aime pas les champs, à ouze ans elle a décidé de quitter Loum pour Douala chez mon oncle, et j’ai été obligé de faire de petits commerces ambulants : les oranges, les pamplemousses…

Tu fais ça de quel âge à quel âge ?
De douze ans jusqu’à quinze ans.

Alors pourquoi tu as décidé de quitter le Cameroun ?
Parce que mon papa nous a abandonnés chez mon oncle, et que quand lui-même décède en novembre 2013, tout change dans ma tête. C’est là que je décide de tout quitter sans rien dire à personne…

Tu ne dis rien à personne, et à l’âge de seize ans, avec 150 euros en poche, tu quittes ton pays. Qu’est-ce qui se passe à partir de ce moment-là ? Tu prends quel moyen de transport ?
Le car. J’ai pris la moto une fois pour traverser la frontière du Nigéria vers le Niger, et après le Niger j’ai continué jusqu’en Algérie. Je me suis arrêté à Tamanrasset parce que je n’avais plus d’argent.

Donc là tu travailles un mois, tu fais des petits boulots là-bas, dans des restaurants… Tu gagnes un petit peu d’argent. Après l’Algérie, tu décides d’aller où ?
Après l’Algérie c’est le Maroc, et cette frontière est aussi très difficile. Il y a les policiers marocains à gauche, et les policiers algériens à droite…

Comment tu fais pour passer ?
J’ai essayé d’entrer au Maroc trois fois. C’est la troisième fois que j’ai réussi.

Raconte-moi quand tu es rentré au Maroc. Qu’est-ce qui s’est passé après ?
Quand on est arrivés au Nord du Maroc, il y a une forêt là-bas que l’on appelle Gourougou. Il y a plusieurs communautés noires, il y a les Maliens, les Camerounais… Moi comme je suis Camerounais, je suis allé du côté des Camerounais, et là tu ne paies rien à personne… Pour traverser, c’est pas facile non plus, parce qu’il y a les policiers du côté marocain et du côté espagnol…

Donc c’est quoi la solution ?
Il y a ceux qui partent regarder la position des policiers en journée, souvent la nuit. Là-bas aussi, il y a une personne qui dirige : quand il dit “allez-y”, on se lève et on court tous vers la barrière.

Là, tu arrives en Espagne, tu es en Europe : quel est ton but ?
Mon objectif réel, c’était l’Europe. Moi je n’ai jamais parlé espagnol, donc c’était difficile, et c’est ce qui m’a fait quitter l’Espagne.

Donc tu arrives en France ?
J’arrive à Paris, ici (NDLR : l’entretien a eu lieu à Romainville, en région parisienne). Après une semaine, comme Paris est trop grand, et que je vois les policiers monter et descendre à tout moment, je me suis dirigé vers la gare. Je vois “Rennes”, et j’entre. Puis je dors deux jours à la gare de Rennes. Le troisième jour, je me retrouve à Quimper, je vois que c’est écrit dans une autre langue, moi je ne pensais pas qu’en France il y a une langue qu’on appelle le breton ! C’est ça le problème !

« Kenavo » (« au revoir » en breton, NDLR), tout ça ?
Voilà, tout ça ! Et moi je me suis dit “peut-être que je suis du côté allemand” !

C’est quoi ton expression bretonne préférée ?
“Degemer mat”.

Qu’est-ce que ça veut dire ?
C’est quand tu veux aller dormir qu’on te dit “Degemer mat”, “dors bien” quoi. (NDLR : en réalité, l’expression signifie « Bienvenue »… Une heureuse confusion !)

“Bonne nuit”, c’est un mot qui doit être compliqué à attendre quand tu arrives et que tu dors à la gare, et qu’en Bretagne il fait froid ?
Là-bas, il ne fait pas trop froid, il fait plus froid ici à Paris ! Là-bas, il ne fait ni trop chaud ni trop froid !

Ça y est, tu es un vrai Breton maintenant, tu défends à 100% ! Pas critiquable ! T’es vraiment comme les Bretons : “Chez nous, il fait beau, il ne fait pas froid, l’eau est pas froide, c’est juste vous… !” (rires)
Je suis en Bretagne, je dois défendre !

Normal… Big up les Bretons ! Il y a eu un moment très dur pour toi, quand tu étais en famille d’accueil, c’est qu’on ne voulait pas croire que tu étais mineur. Donc on t’a fait tout un tas de tests osseux pour prouver que tu étais mineur… Après ça, tu vas à l’école.
Oui, c’est ça !

Et on te propose la métallurgie.
C’est la métallerie !

La métallerie.
Oui c‘est ça !

Pardon je parle moins bien français.
Non pas moins.

Non non tu parles mieux français que moi.
Ah non !

Si ! Tu parles français et breton ! (rires)
Ah non pas encore, ou breton peut être !

Donc c’est la métallerie, c’est toi qui as raison.
Voilà, c’est ça !

Tu commences la métallerie, et très vite il y a un concours de métallerie où tu attrapes la médaille d’or, en même pas un an, alors que tu viens de nous raconter ton histoire de folie…
Moi, en vrai, je ne connaissais même pas les Olympiades des métiers (NDLR : une compétition mondiale organisée par le comité WorldSkills International, qui a pour but de valoriser l’apprentissage des métiers et des savoir-faire artisanaux et de célébrer les meilleurs ouvriers du monde).

Mais t’es un tueur ! Bravo ! Respect ! On va regarder à quoi ça ressemble la remise de prix… Maintenant que tu as la médaille d’or, c’est peut-être toi qui vas représenter la France…
Oui c’est ça.

…à Dubaï, lors du prochain concours. Est-ce qu’on t’a donné les papiers français ou pas ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour toi dans l’émission ? Comment est-ce qu’on peut t’aider ?
On m’a donné un titre de séjour étudiant, donc provisoire. Après mes études, si je trouve du travail, on va me renouveler en titre de séjour salarié. L’éducateur, Samuel, va voir comment on peut faire pour me prendre dans un foyer de jeunes travailleurs.

Est-ce que ta famille au Cameroun te manque ?
Ma famille c’est ma mère. Ma maman n’a jamais connu ce qu’on appelle le téléphone, donc je n’ai pas de contacts avec elle.

Je te le dis, le Gros Journal c’est chez toi, tu as le passeport du Gros Journal. Objectif Dubaï pour toi, tu vas représenter la France dans la discipline de la métallerie et j’ai l’impression que ce sera la meilleure nouvelle de 2017, vu comme la France est partie.
Ah, peut-être ! Mais il va falloir beaucoup travailler…

Travaille bien alors ! Et merci beaucoup d’avoir été avec nous.
Merci à vous aussi.

Après vous avoir raconté l’histoire incroyable de Williams, on va vous parler de quelqu’un sans qui cette histoire ne serait pas arrivée. Comment ça va ?
Samuel : Ça va bien, très bien.

Est-ce que tu peux te présenter ?
Je m’appelle Samuel, je suis éducateur au DDAMIE, le dispositif d’accompagnement des mineurs isolés étrangers.

Ça te fait quoi à toi, éducateur, de voir tout le temps des jeunes mineurs isolés, des immigrés en train d’essayer de s’en sortir, quand aujourd’hui on est dans une société où l’immigration est clairement affichée comme un problème par quasiment tous les partis politiques ?
Ce sont des gens qui veulent s’en sortir, qui veulent bosser, qui veulent réussir, qui veulent rester vivre en France, qui veulent bosser pour la France.

Est-ce qu’ils ne viennent pas manger le pain des Français ?
Si tu veux, je n’ai même pas envie de rentrer là-dedans. Ils ne quittent pas leur pays pour rien, quoi… Que ceux qui disent « moi à leur place je serais resté, moi à leur place je défendrais mon pays, moi à leur place »… Qu’ils y aillent, quoi.

Pour toi, c’est quoi être Français ?
J’aimerais bien que ce soit justement accueillir, être Français, voilà.

Merci beaucoup, merci pour le travail, merci de nous avoir présenté Williams la légende et Kenavo.
C’est ça !

Merci ! »

Voir en ligne : http://www.canalplus.fr/emissions/p...


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