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“De rêves et de papiers” : une plongée au cœur d’un service d’accueil pour mineurs exilés

Publié le vendredi 20 janvier 2017 , mis à jour le lundi 23 janvier 2017

Source : www.lesinrocks.com

Auteur : Adrien Pontet

« Rozenn Le Berre a passé un an et demi à recueillir les témoignages de mineurs exilés. Elle en a tiré un récit poignant et précieux qui raconte la folie des parcours migratoires et brise le huis-clos de l’administration française.

Cinq cent quarante sept. C’est le nombre de jours que Rozenn Le Berre a passé, quelque part en France, à travailler dans un service d’accueil pour mineurs étrangers isolés. Cinq cent quarante sept jours d’immersion dans la vie de ces jeunes exilés, qui défilent dans son bureau pour tenter d’obtenir le statut de mineur non accompagné, garantissant hébergement et scolarité. Car pour obtenir ce précieux statut, il faut d’abord passer par une évaluation sociale du service d’aide à l’enfance. Alors Rozenn interroge, creuse, et parfois effraie en cherchant la vérité sur les âges et les situations familiales de ceux qui, pour beaucoup, viennent de traverser l’enfer des parcours migratoires.

De ces rencontres, Rozenn Le Berre a tiré De rêves et de papiers, un récit littéraire à deux voix. La première, la sienne, se fait l’écho de ces vies mutilées qui ont défilé dans son bureau pendant un an et demi, souvent noyées dans le labyrinthe administratif français. Elle se fait aussi discrètement l’écho de sa propre conscience, des tourments et des dilemmes qui l’ont traversée. La seconde, relate l’éprouvant voyage de Souley – un personnage fictif librement inspiré de plusieurs jeunes que Rozenn Le Berre a rencontrés – qui a décidé de faire l’aventure depuis le Mali et doit arriver en France avant ses dix-huit ans. Avec elle, c’est la folie des parcours migratoires qui est explorée. Un voyage marqué par la peur, la vulnérabilité, la violence, mais aussi l’espoir et la fureur de vivre qui anime ce jeune exilé. A travers cette double voix, la jeune auteure livre un témoignage précieux et bouleversant, aux antipodes des clichés misérabilistes, mais aussi de la vision froide et désincarnée que l’on peut se faire de l’administration française, qu’elle a choisi de quitter à la fin de cette mission.

Vous dites que la peur de l’oubli vous a motivée pour écrire ce livre. Quelle ont été les autres raisons ?

Au moment où j’ai su que je quittais ce travail, j’ai en effet commencé à écrire par peur que ma mémoire me fasse défaut. Mais c’est aussi le désir de faire connaître la vie de ces jeunes migrants isolés qui se retrouvent en France qui m’a poussée à écrire. On parle beaucoup des migrants et des parcours migratoires, mais beaucoup moins de ce qui se passe une fois qu’ils sont arrivés en France. De plus, la très grande majorité des discours sur les migrants est donnée par des journalistes, qui pour certains sont allés un ou deux jours à Calais mais n’ont pas fait un travail de fond. Un an et demi de matière entre les mains m’ont donné envie de m’en servir pour proposer une autre forme de discours. Je souhaitais simplement ouvrir la porte du huis-clos administratif en témoignant de ce que j’avais vécu à ce moment précis, dans cette administration précise.

“Batman et Superman sont minables, ces jeunes sont des super héros.” On sent aussi un désir de sortir d’une certaine forme de misérabilisme et de montrer la force et le courage qui animent ces jeunes.

La question du misérabilisme dans le témoignage ne s’est pas vraiment posée puisque ce n’est pas l’image que les jeunes m’ont renvoyée pendant cette période. Oui ils sont en très grande précarité et en très grande vulnérabilité. C’est une évidence. Mais c’est très rare de les voir abandonner ou chercher à s’apitoyer. Je trouve par ailleurs que c’est nier l’humanité des gens que de ne voir que le côté misérable de leur situation et de leur parcours. La force de l’être humain c’est aussi de savoir se battre, et il fallait donner toute sa place à cette force vitale qui anime ces jeunes.

“Il est fatigué, Jamshid. Fatigué de ne pas avoir de mots. Fatigué aussi de sa peau qui le démange. Il se gratte jusqu’au sang. La gale le dévore. Et quand les petites bêtes cessent de mordre sa peau, quand elles lui offrent un répit, ce sont d’autres bêtes qui prennent le relais. Des bêtes fantomatiques qui peuplent ses souvenirs. (…) Mais aujourd’hui, il est fier, Jamshid. (…) Il rentre de l’école avec un sourire, inconnu jusqu’à présent sur son visage aux traits sombres. Il s’installe en face de moi, debout, droit comme un piquet, les mains jointes, le menton relevé. Il inspire un grand coup puis, d’un seul souffle, lâche :
– Un, deux, trois, cinq, quatre, sept, six, huit, neuf, dix !” (p. 94)

Vous dites aussi “les gens m’énervent parce qu’ils ne savent pas“…

Ce sentiment dont je parle à un moment du livre est lié au décalage qu’il peut y avoir entre les situations que je traversais durant mes journées de travail – qui étaient à la fois insupportables et absurdes -, et la vie qui continuait une fois sortie du bureau. Il y a quelque chose de très violent dans le fait de voir que les gens continuent à vivre normalement, alors que nous, travailleurs sociaux, on sait ce qui se passe dans les bureaux d’accueil. Mon idée était donc de témoigner, de donner à voir et à réfléchir, bien plus que de dénoncer ou de déplorer l’ignorance des gens.

“Personne ne sait qu’aujourd’hui j’ai dit à plusieurs jeunes qu’ils dormiraient dehors ce soir, car le Conseil départemental refuse de débloquer des places d’hébergement supplémentaires pour les jeunes en attente de décision. Je l’ai dit à Ali, par exemple, le diable triste. (…) Moi aussi, j’y ai laissé un peu de moi-même.” (p. 67)

La violence de ce décalage a-t-elle participé à votre décision de quitter ce poste ?

Ce qui m’a vraiment poussée à arrêter ce sont les problématiques éthiques par lesquelles j’étais traversée depuis le début mais qui devenaient de plus en plus dures à gérer. Le fait de participer à la décision sur la vie des gens dans cette logique de distinction entre mineur est majeur me posait trop de problèmes. J’avais aussi peur de vriller quand je voyais une sorte d’habitude à la précarité et à la détresse qui s’installait. C’est très important d’avoir un gros turn-over dans ces milieux. Nous passions notre temps à remettre en question nos pratiques, à revenir sur nos attitudes, à essayer d’identifier ce qui ne marchait pas etc. et je pense qu’il faut partir lorsque l’on sent que c’est le moment.

Votre livre se compose d’une série de courts témoignages, entrecoupés par l’histoire de Souley qui nous transporte dans la tête d’un jeune homme qui décide de quitter son pays pour rejoindre la France. Pouvez-vous nous parler du processus d’écriture

J’ai commencé à écrire les histoires de bureau quand j’ai su que j’allais partir. Je me suis vite retrouvée avec pas mal de matière mais il manquait un squelette, une articulation entre toutes ces histoires. Il y avait aussi un problème de temporalité car les entretiens et donc les histoires sont très courtes, alors que le parcours de ces jeunes est très long. Pour en rendre compte, j’ai donc construit ce personnage de Souley, inspiré par plusieurs jeunes rencontrés pendant et après mon contrat. J’ai aussi travaillé avec des exilés qui sont passés par le parcours migratoire dont je parle pour m’assurer de la véracité de ce que j’avais pu entendre. Ils m’ont aidée à ne pas tomber dans le misérabilisme en insistant notamment sur les sursauts d’humanité qu’il peut y avoir dans ces situations là, l’importance de l’humour et de la dérision dans des situations extrêmement dramatiques que l’on ne soupçonne pas…

Comment fait-on pour garder la bonne distance ?

Pour traiter les gens de manière identique, ce qui est indispensable dans ces métiers, il faut faire preuve de recul vis-à-vis de nos émotions car sinon, on finit par donner à manger à celui qui est plus mignon que l’autre ou donner un pull à celui qui est plus gentil. Celui qui est moche et méchant a pourtant tout autant le droit de manger et de s’habiller que les autres. C’est une rigueur personnelle que je m’imposais, de ne pas paraître plus ou moins émue selon les cas. Mais ça reste inévitable. On est humain et il y a des gens qui touchent plus que d’autres, c’est comme ça. Mais c’est motivé par un souci d’équité tout simplement, même si on voit tout au long du livre que je n’y arrive finalement pas. On est toujours sur le fil au niveau des émotions, trop sensible ou pas assez, et si on bascule d’un côté ou de l’autre, on fait mal notre travail. Il faut donc tout faire pour réussir à tenir sur ce fil, et les processus de blindage et de mise à distance sont très importants pour ça.

“Parfois, on fait du zèle dans l’utilisation outrancière du vocabulaire administratif. On voile nos émotions sous des ok, des RAS (rien à signaler), des symboles +, voire ++, des points d’exclamation dans des triangles ou des ronds barrés de traits obliques. On supprime le sujet de la phrase, surtout quand il s’agit de la première personne du singulier. “Lui ai donné son document de fin de prise en charge.” Ça permet d’éviter de dire qu’on avait mal au bide quand on a récupéré les clefs d’un jeune et qu’on l’a vu s’éloigner avec son sac à dos, un papier A4 avec quelques adresses d’associations dans la main droite, un sachet plastique avec des biscuits secs et des mono-doses de confiture et de miel dans la main gauche. Ça met de la distance. Ça prouve aux collègues et aux chefs qu’on est fort, blindé, qu’on ne se laisse pas émouvoir et qu’on traite deux situations identiques de manière identique.” (p.33)

Vous décrivez aussi les rapports de confrontation dans lesquels vous pouvez vous retrouver avec certains jeunes...

Je ne suis pas une sainte et il y a des journées où l’on est particulièrement fatigué et exaspéré. Ça aurait été tricher de faire abstraction de ça. Il fallait montrer que parfois ça dérape. Il y avait aussi l’idée que lorsqu’on parle de personnes extrêmement vulnérables, on s’attend à ce que tout le monde soit très gentil et respectueux envers l’autre etc. Que ce sont des gentils migrants et nous des gentils travailleurs sociaux. Or c’est aussi nier l’humanité des gens que de croire qu’ils n’ont pas le droit d’être en colère ou d’être con. Je trouvais donc important de témoigner que, comme n’importe qui, deux êtres humains peuvent s’énerver et que le mépris peut parfois primer.

Dans un passage appelé Sabotage, vous parlez du “délit de solidarité” et admettez être parfois sortie des rails de l’administration. Avez-vous hésité avant d’aborder cette question ?

Je prends bien sûr un certain nombre de risques en abordant cette question dans mon livre. Mais il fallait selon moi casser l’image du fonctionnaire froid et de son attitude extrêmement machinale que l’on peut notamment retrouver dans les critiques militantes. Image qui est majoritairement fausse d’après ce que j’ai vu. En tant que travailleurs sociaux, on fait partie du rouage administratif, mais c’est nous qui accueillons les jeunes lorsqu’ils arrivent, c’est nous qui décidons quel visage d’eux nous voulons montrer, c’est nous qui portons la responsabilité de bien ou mal les informer sur leurs droits etc. On jouit donc d’une certaine marge de manœuvre vis-à-vis des procédures, c’est une évidence. Donc oui, j’ai parfois choisi d’user de cette marge de manœuvre.

“L’homme qui se tient entre les trois policiers est Adama. (…) Adama est déjà passé dans notre circuit ; il s’est présenté comme mineur isolé étranger, a eu son rendez-vous d’évaluation, a eu une réponse négative du département. Pas considéré comme mineur, il est donc expulsable. Mais les policiers ne le savent pas. Ils escortent Adama chez nous, probablement suite à un contrôle d’identité, comme s’il venait d’arriver sur le territoire en tant que mineur. Donc inexpulsable le temps de la procédure visant à savoir s’il est vraiment mineur et isolé.Nos regards se croisent. Ses yeux dessinent les mots :
— S’il te plaît, fais semblant.
Je lui demande son nom, comme s’il m’était inconnu. Je dis aux policiers que je m’occupe d’ouvrir la procédure pour Adama, qu’ils peuvent s’en aller. Serrage de mains. Au revoir. Clac. On sourit. Je lui sers un thé.
— Comme tu le sais, je ne peux pas t’aider davantage. Tu as eu une réponse négative la semaine dernière. Je peux simplement te souhaiter bonne chance, et fais attention à la police.
— Oui, je sais. Merci. Au revoir.
Un petit boulon saute sur les rails de l’expulsion. En réalité, je sais que je répare un morceau de ma conscience en aidant Adama à échapper à la police.” (p.93)

Je pense qu’il y a parfois des défaillances de l’institution. La loi prévoit par exemple que les jeunes soient hébergés pendant la période d’évaluation de leur dossier de cinq jours or ils ne l’étaient pas. C’est donc le département qui est dans l’illégalité et certains citoyens peuvent décider de prendre le relais. Dans ce cas, les citoyens aussi sont dans l’illégalité car il est illégal d’accueillir un mineur chez soi sans le déclarer. Mais c’est aussi illégal de le laisser à la rue. Bref, je pense que s’il y a un défaut de l’institution, il est absurde que les forces de l’ordre aillent emmerder les citoyens qui prennent le relais. A partir du moment où ce sont des mômes qui devraient être hébergés selon la loi et qu’ils ne le sont pas… D’autres solutions apparaissent et il est absurde de vouloir empêcher et punir ça.

Vous abordez aussi la question de la légitimité à rester sur le sol français. Pensez-vous qu’à partir du moment où l’on est, comme vous dites, “assez fou pour entreprendre une telle aventure”, on est légitime ?

Oui, je le pense. Ce n’est pas du tout un choix anodin de quitter son pays, d’affronter la mort, de tout abandonner et de vouloir tout reconstruire une fois arrivé ici. Quelqu’un qui est parti et qui a fait un choix aussi difficile est forcément légitime selon moi. Cette question de la légitimité est très glissante, j’en suis consciente. Elle repose sur la distinction entre migrant économique et réfugié politique qui a été mise en avant avec le conflit syrien, où les Syriens sont tout à coup devenus les seuls légitimes qu’il fallait accueillir, ce qui a eu pour effet de rejeter tous les autres jugés illégitimes. C’est une distinction extrêmement réductrice car les raisons qui peuvent motiver un départ sont très variées.

Cette question de la légitimité fait écho à la distinction entre migrants et expatriés sur laquelle peu de gens semblent se questionner. J’ai voulu témoigner du décalage entre l’image réifiée des migrants ou des réfugiés et ce qu’ils sont en réalité. En dehors du parcours migratoire, il peut y avoir une proximité des parcours entre “migrants” et “expatriés” extrêmement frappante. Enfants issus de la classe moyenne, études supérieures, etc. Pourtant, les voyages et les années d’études à l’étranger sont valorisées seulement chez nous. Pourtant, tous les Français qui partent au Canada ou en Australie par exemple par manque d’opportunités économiques, c’est exactement la même chose que n’importe quel jeune étudiant d’Afrique de l’Ouest qui va venir en France pour avoir plus d’opportunités. Sur quoi est alors fondée cette distinction ? Le risque évoqué, c’est bien sûr qu’ils restent après leurs études et qu’ils “volent le travail des français”. Donc on distingue par les mots, pour rendre différentes des réalités qui sont les mêmes. Une catégorie devient alors légitime, l’autre non. Alors que ces catégories ont été créées artificiellement, par le langage.

En réalité, des sociologues ont montré que plus le parcours pour arriver jusqu’en France est long et compliqué, plus on a tendance à rester longtemps. Encore plus si on n’a pas de papiers puisqu’on ne peut tout simplement pas repartir. Verrouiller les visas, empêcher les étudiants de venir un an ou deux ne fait donc que favoriser les alternatives clandestines et toutes les stratégies qui poussent les gens à essayer de se faire passer pour mineurs pour obtenir un hébergement et le droit à la scolarité. Tout ceci coûte bien sûr énormément d’argent à la France. Donc de manière purement économique et financière, sans parler des problématiques éthiques que cela soulève, notre système n’est pas viable. MOBGLOB par exemple, a simulé l’ouverture totale des frontières et montre que non seulement il n’y aurait pas d’afflux massif, car quelqu’un qui veut partir partira quoi qu’il arrive, mais aussi que le système serait beaucoup plus pendulaire, les gens viendraient et repartiraient, alors que la plupart sont coincés ici. Mais aucun politique ne serait prêt à assumer une telle position, même avec de tels arguments économiques.

Quel constat aujourd’hui peut-on dresser des politiques de service d’aides aux mineurs isolés en France ?

Il y a un manque de moyens puisque la loi n’est pas respectée. Pendant les cinq jours que dure l’évaluation qui permet de déterminer si un jeune est mineur ou non, le droit nous oblige à les héberger et les prendre en charge et ce n’est pas fait par faute de place. Les délais non plus ne sont pas respectés du fait du manque de travailleurs sociaux. De plus, théoriquement il n’y a pas de logique spécifique pour les mineurs isolés étrangers. C’est l’aide sociale à l’enfance qui les prend en charge en tant qu’enfant et la nationalité ne doit pas compter. Mais dans les faits certains mineurs étrangers sont placés à l’hôtel sans accompagnements alors que les mineurs français ne le sont pas, donc ça pose bien sûr question sur cette supposée absence de distinction entre nationaux et étrangers.

Le jour de la sortie de votre livre, le 12 janvier, Médecins du Monde a publié un communiqué de presse dénonçant “des violences policières intolérables et répétées à l’encontre des personnes migrantes encore à la rue à Paris”. Dans votre livre, vous dressez un rapport clément du pouvoir policier dans cette situation. Qu’en est-il ?

Les rapports avec la police sont particuliers dans ce travail puisqu’on est dans une logique de protection de l’enfance et non de contrôle. Les policiers, s’ils contrôlent un mineur étranger ou si le mineur se présente spontanément au commissariat, doivent nous le confier pour entamer la procédure de protection. On n’est donc pas dans une logique répressive. Je n’ai fait que témoigner de la manière dont ça se passe avec eux au quotidien et il faut admettre que nos rapports sont très courtois. Par ailleurs, j’ai travaillé avec Médecins sans frontière sur la question des violences policières à Calais où je recueillais les témoignages des victimes de violence. La situation est totalement inadmissible. J’ai par exemple recueilli le témoignage d’un simulacre d’exécution sur un gamin de 15 ans, ainsi que tout un tas de formes de violence et de harcèlements policiers. Les migrants subissent tout au long de la journée une accumulation de violence qui est hallucinante. Pourtant, avec le harcèlement policier quotidien et la précarité physique et morale dans laquelle ils se trouvent, je trouve qu’ils font force d’un calme et d’une zénitude extraordinaire.

Médecins du Monde appelait aussi à la mise en place de nouveaux dispositifs d’accueil sur l’ensemble du territoire. Votre livre a-t-il pour objectif de participer à la construction d’avancées politiques à ce sujet ?

Mon opinion politique n’est impulsée que de manière marginale dans mon livre. Sauf à la fin, où j’affirme qu’il est impératif de trouver des solutions pour l’accueil des adultes. Car s’il existait des solutions d’accueil adaptées pour les adultes qui arrivent sur le sol français, ces derniers ne tenteraient pas de se faire passer pour mineurs, et l’accueil des mineurs serait donc beaucoup plus simple car débarrassé de la présomption de majorité constante… Mais mon livre n’est ni un pamphlet ni un livre d’opinion. Mon objectif n’est autre que de fournir un témoignage riche qui, je l’espère, permettra de nourrir la réflexion. J’ai ouvert la porte, j’ai témoigné, si ça peut servir aux lecteurs pour préciser leur pensée politique tant mieux, mais je ne vais pas la façonner à leur place. Après, j’ai forcément un peu réfléchi à comment dépasser l’évaluation sociale qui, par nature, est subjective et repose sur des éléments bancals etc. Si on me sollicite pour participer aux débats et à la réflexion à ce sujet, je le ferai avec plaisir.

Vous prévoyez d’adapter De rêves et de papiers au théâtre, pouvez-vous nous en parler ?

Je travaille avec la compagnie13R3P. On fonctionne en résidence d’écriture et on a choisi de travailler sur ce qui représente le contre-champ de ce que j’ai décrit dans mon livre, c’est-à-dire l’aspect travail social que j’avais choisi pour des questions de pudeurs de ne pas aborder en profondeur. Parce que parler de la travailleuse sociale voulait dire parler de moi, et ce n’est pas évident. Au théâtre, la distance instaurée par la création d’un personnage me permet d’explorer ce qui se passe chez soi lorsqu’on rentre après une journée de travail, comment est-ce qu’on reçoit les chocs etc. Ce serait un seule-en-scène, l’actrice qui jouera ma vie, Maryse Urruty, se confiera directement au public, à la manière d’une conférence gesticulée sauf qu’il s’agit d’une comédienne.

De rêves et de papiers, de Rozenn Le Berre, La Découverte, 203 pages, 16€ »

Voir en ligne : http://www.lesinrocks.com/2017/01/2...


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