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Le transculturel au secours du lien éducatif

Publié le mercredi 1er février 2017 , mis à jour le mercredi 1er février 2017

Source : www.ash.tm.fr

Auteur : F. R.

« De 2012 à 2015, la recherche-action « Namie » s’est penchée sur la relation entre les mineurs isolés étrangers et leur éducateur référent. Dans le cadre d’une approche interculturelle, elle visait à permettre à chacun d’accéder à la représentation de l’autre et à favoriser l’alliance éducative.

« J’ai la tête lourde, j’ai l’impression de devenir fou […], je veux quitter le foyer, je ne supporte pas ce groupe, ni les éducateurs présents… » Tels étaient les propos d’un jeune suivi par le secteur éducatif auprès des mineurs non accompagnés (SEMNA) de l’aide sociale à l’enfance (ASE) de Paris. « A un moment, on sent qu’il y a quelque chose à comprendre au niveau culturel qui pourrait débloquer la situation », explique Solange Tonga, éducatrice spécialisée. Pour répondre à de telles difficultés, le Centre Babel a mené la recherche-action « Nouvel accueil des mineurs isolés étrangers » (Namie)(1) à la Maison de Solenn-maison des adolescents de Cochin-Paris de 2012 à 2015, qui repose sur une approche transculturelle. « La clinique nous a montré la nécessité d’accueillir, dans un dispositif innovant, le MIE avec son référent éducatif pour apaiser et renforcer la relation éducative », résume Fatiha Touhami, psychologue et coresponsable de Namie. Comment un jeune peut-il, en effet, « accepter d’être éduqué, accompagné, orienté quand les représentations du monde divergent, que la manière de le penser s’oppose aux attentes du village, de la communauté…, quand la barrière de la langue éloigne » ? Mais aussi quand son parcours est émaillé de ruptures et de traumatismes et que la confiance en l’adulte a été émoussée.

Pour les professionnels, il s’agissait de mieux comprendre ces jeunes pour les accueillir autrement mais également d’éviter le surinvestissement, voire le burn-out. L’étude visait ainsi, résume Marie-Rose Moro, responsable de l’équipe de recherche, « à analyser les trajectoires de ces jeunes, la relation qu’ils établissent avec leur travailleur social et à définir ce qui permet de construire un projet cohérent et réalisable pour tous ». A cette fin, il fallait « interroger les liens étroits et complexes entre filiation et affiliation, comprendre comment s’effectue la rencontre, interroger des implicites », complète Fatiha Touhami. Et faire en sorte que chacun ait accès à la représentation de l’autre et fasse tomber ses préjugés par l’analyse des mécanismes en jeu, le décentrement et le refus des généralisations culturelles.

Recours à la médiation

La recherche-action, qui portait sur 26 situations, a consisté en une rencontre en trois temps de chaque binône éducateur-jeune dans un cadre chaleureux. Pour faire émerger la parole et dans une logique de coconstruction du récit, les chercheurs ont recouru à des outils de médiation. Les jeunes ont notamment été invités à apporter, en vrai ou en pensée, un objet du passé, un du présent et un du futur. La recherche s’est également appuyée sur des médiateurs-interprètes transculturels. « Ces personnes appartiennent au même monde que le jeune et maîtrisent les mêmes langues. Au-delà de l’interprétariat, elles sont capables de traduire les non-dits culturels. Elles permettent de nous faire entrer dans le monde de l’autre », précise Serge Bouznah, directeur du Centre Babel. Leur présence auprès des jeunes a favorisé leur expression. « Le médiateur figure un adulte de confiance, car c’est celui qui représente le passeur, celui qui a réussi dans les deux mondes, qui n’a pas renoncé à son identité d’origine », analyse Rahmet Radjack, pédopsychiatre responsable de Namie. Pouvoir évoquer sa culture dans un climat de confiance permet notamment de dissiper des malentendus. Par exemple, le langage visuel n’est pas universel : ne pas regarder dans les yeux peut ainsi être ressenti en France comme un signe d’hypocrisie, alors qu’ailleurs cela peut manifester le respect. Les représentations des métiers divergent aussi d’une culture à l’autre et peuvent éventuellement entraîner le rejet d’une formation par le jeune. De même, l’adolescence n’est pas vécue de la même façon partout. Enfin, le recours à leur langue maternelle a facilité la spontanéité et l’expression des émotions chez les jeunes et autorisé la traduction de certains concepts.

La recherche-action a eu de nombreux impacts. Tout d’abord, les retours sur l’évolution des jeunes ont été positifs. Elle leur aurait permis souvent d’avoir une autre image d’eux-mêmes, d’échapper aux représentations liées à leur statut. « Le fait qu’on s’intéresse à lui, à sa culture, à son identité, à la manière dont il se pense transforme le jeune. Cela a favorisé aussi une logique de coconstruction de solutions », se réjouit Rahmet Radjack. Namie a également permis « à des jeunes d’oser entrer dans des soins qu’ils refusaient jusque-là », constate Marine Pouthier, psychologue au SEMNA. Les éducateurs ont eu le sentiment, quant à eux, que leur travail était mieux reconnu, qu’ils ont pu renforcer le lien avec le jeune et que s’approprier son récit de vie a redonné du sens à leur intervention. « Cette recherche a été très importante pour les travailleurs sociaux. Elle leur a permis de développer leurs compétences transculturelles de façon à mieux pouvoir faire face aux problématiques de ces jeunes », résume Marine Pouthier. La médiation apporte un « support riche » et utile à l’accompagnement éducatif en permettant au jeune « de parler de lui, de son authenticité, de sa singularité, de son vécu, de l’éducation qu’il a reçue, de ses repères », confirme Solange Tonga.

Au-delà de la compréhension, Namie avait vocation, explique Marie-Rose Moro, à « traduire les acquis en modalités d’intervention : actions de formation mais aussi création de lieux ressources pour les professionnels, ce qui est en cours ».

Notes

(1) En collaboration avec la Ville de Paris et avec un cofinancement de la Fondation de France. »

Voir en ligne : http://www.ash.tm.fr/consultation/c...


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