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Malik, jeune majeur seul au monde

Publié le vendredi 2 juin 2017 , mis à jour le mercredi 7 juin 2017

Source : https://sante688.wordpress.com

Date : 2 juin 2017

« Malik avait été un mineur étranger isolé, pris en charge par l’aide sociale à l ‘enfance. A 18 ans il avait fait sa demande d’asile et avait été reconnu réfugié – ou presque ( Il avait eu la protection subsidiaire *) Je ne connaissais pas son récit de vie, je ne le connaissais pas vraiment non plus. Il était passé une fois pour un certificat de course à pied, ne comprenant pas, comme tant d’autres étrangers ayant parcouru la moitié du monde dans des conditions de fortune, pourquoi il faut un papier du médecin pour courir dans des conditions tellement plus sécures.

Cette consultation l’agaçait, il avait été vu par l’équipe de la Pass * et celle de la vaccination. J’avais acté sa capacité à courir, maintenant qu’il était logé et nourri. J’avais béni intérieurement les clubs de sport de la ville, lieux d’amitié, de restauration physique et d’estime de soi, lieux d’intégration. Bref, un #Certifalacon (voir Twitter) mais au final, je ne connaissais pas vraiment Malik.

J’en entendais parler de temps en temps par les associations de solidarité, avec lesquelles je travaille. Puis un jour, Sylvain, militant hors catégorie, m’a appelé sur mon portable pendant le week-end, parce qu’il avait croisé Malik en ville, que son discours n’était pas cohérent, il le trouvait bizarre, vraiment bizarre.

J’ai conseillé à Sylvain de l’emmener aux urgences somatiques pour faire le point et l’interner si besoin. La négociation avait été rude, mais il y était allé. Cependant, une fois là-bas, attendant sur un brancard, il s’était sauvé de l’hôpital.

Retour à la case départ .

Retour au lycée où il est interne. Propos bizarres au lycée. Il se lève, se prépare, puis va dans l’atrium, et là, il attend. Le soir, il rentre se coucher. Il ne va pas en cours, mais il ne dérange personne. L’assistant social s’en inquiète. Que faire ? Il fait un signalement au procureur qui envoie un psychiatre pendant les vacances scolaires. Malik loge pendant ces vacances dans un petit logement. Il n’ouvre pas, le psychiatre ne peut pas conclure. Le procureur ne peux pas décider.

Retour à la case départ

Retour au lycée.

Retour à l’atrium où il attend.

Inquiétude de l’assistant social. Mais Malik est adulte, ne cause pas de trouble à l’ordre public, n’a pas de famille pour l’hospitaliser sous contrainte. Que faire pour soigner ce tout jeune adulte qui semble malade mais refuse les soins. Quatre mois que ça dure quand même.

Il prévient une collègue assistante sociale, à la Direction de la Cohésion Sociale, à la préfecture. Et celle-ci m’appelle.

Je peux difficilement me dérober à la demande de cette assistante sociale, car je l’ai moi-même sollicitée à plusieurs reprises pour des situations de détresse de migrants à la rue, plus improbables les unes que les autres. Le plus souvent nous avons trouvé ensemble des solutions.

Appel téléphonique (longue durée) à l’assistant social qui me décrit par le menu le comportement de Malik . Appel téléphonique (longue durée) aux infirmiers scolaires. Je n’ai pas beaucoup de doute sur la maladie de Malik à ce moment là. Il décompense une psychose. Est-ce post traumatique ? Je ne le sais pas. Mais je sais qu’il a besoin de soins et qu’il vaudrait mieux ne pas traîner.

Appel téléphonique ( longue durée) au secteur hospitalier dont il dépend. Il faut passer par les urgences somatiques me dit le cadre. J’explique, je ne m’énerve pas, (Enfin j’essaie !) ça fait bien deux heures que je suis sur l’affaire maintenant. J’explique doucement l’immense solitude de ce garçon, qui depuis 4 mois est livré à son vide mental, dans lequel se trouvent aussi probablement des idées délirantes. J’ai la trouille à ce moment-là, parce que Malik, je ne l’ai toujours pas vu depuis son foutu certificat de sport fait trop vite. ( Comme je m’en veux maintenant !) Tout cet échaffaudage diagnostique s’est fait par oui-dire, par personne interposée. Et si je me trompais ? Et si j’ameutais tout le monde pour rien ? Et si j’étais totalement en dehors de la déontologie ? En dehors des clous sûrement, mais ça ce n’est pas nouveau, mais plus encore dans l’erreur et l’affolement inutiles. Je respire un grand coup. J’ai parfaitement confiance en toutes les personnes inquiètes du comportement de Malik. On ne peux pas le laisser comme ça. Il faut bien que quelqu’un prenne le taureau par les cornes et aille jusqu’au bout.

J’ai la trouille mais j’argumente, le plus gentiment possible, j’insiste, longtemps, et la cadre accepte de le recevoir directement dans le service. Je prévois l’ambulance : nom prénom adresse numéro de sécu, service de destination , heure approximative où j’aurais besoin d’eux, mais je leur demande d’attendre un feu vert, une confirmation de l’hospitalisation pour démarrer. Quant à l’internat du lycée, l’équipe m’y m’attend. Ils sont prêts.

Je rencontre dans la vraie vie les infirmiers du lycée, et nous parlons longuement. Il est prévu qu’ils appelleront l’ambulance dès que j’aurais réussi à convaincre Malik ou à le sédater.

Ils vont le chercher dans sa chambre. Pour engager un acte si lourd qu’ une hospitalisation sous contrainte, j’ai besoin de temps pour l’évaluer et confirmer tout ce que j’ai entendu sur lui, et je reste donc seule avec lui. C’est un beau garçon longiligne , (peut être Peul ?), très doux et plutôt mutique, ça va être compliqué. Puis il se détend et il m’explique que depuis qu’on l’a vacciné, tout va mal pour lui . Il est perdu. Il me raconte son errance intérieure et les idées bizarres qui le traversent, idées de persécution notamment. Il est très angoissé, je lui propose une hospitalisation et je préviens l’infirmière.

J’ai, serré dans ma poche, une seringue d’Haloperidol**** prête à l’emploi, mais je voudrais tellement pouvoir m’en passer. Tout d’abord parce que ce serait très violent pour lui, et aussi parce que cela suffirait, peut être, à faire disparaître une partie des symptômes, et que, du coup, l’hôpital psychiatrique ne pourrait plus faire de diagnostic (et le laisserait partir dans la nature une deuxième fois ?)

L’ambulance est venue, j’ai expliqué à Malik qu’on allait l’emmener à l’hôpital. Au dernier moment il a tenté de refuser de monter dans l’ambulance. Mais nous étions 5 autour de lui. Je lui ai dit qu’il n’avait pas le choix, et il a cédé, sans cris, sans cédation, sans violence.

Je ne l’ai jamais revu.

L’hôpital m’a juste dit que c’était un garçon très agréable mais qu’il avait vraiment besoin de soins, il y est resté plusieurs semaines.

Six heures de travail totalement hors protocole pour faire hospitaliser un jeune adulte seul au monde, que les structures d’état n’arrivaient pas à protéger. Je me demande quand même pourquoi le médecin scolaire n’a pas fait le job, pourquoi le psychiatre n’est pas repassé au lycée, pourquoi le porcureur n’a pas plus pris en compte l’alerte du personnel du lycée.

Les assistants sociaux me renverront l’ascenseur en cas de détresse sociale urgente, je le sais, et Malik est pris en soin. Enfin. »

Voir en ligne : https://sante688.wordpress.com/2017...


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