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Alerte danger : les réponses sociales se tendent ou s’effritent

Publié le lundi 18 septembre 2017 , mis à jour le lundi 18 septembre 2017

Source : http://jprosen.blog.lemonde.fr

Auteur : Jean-Pierre Rosenczveig

« Le signal a été allumé côté Justice, mais d’autres voyants lumineux sont tout aussi inquiétants : les réponses en direction des enfants à problème ou posant problème se durcissent et on doit y trouver matière à s’interroger sur nos défaillances en amont.

Le Monde alerte dans son édition du 13 septembre, sous la plume de J.B Jacquin : « De plus en plus de mineurs sont emprisonnés ». De fait l’augmentation des moins de 18 ans en prison est spectaculaire : plus 16,6 %. Au 1er aout 2017, ils étaient 876 (788 en Métropole et 88 en Outre Mer) pour 746 au 1 août 2014 et 743 au 1 août 2015.
A regarder de près (2) l’accélération semble se jouer en février-mars 2017 où l’on passe de 758 en janvier à 849 au 1er avril (675 M et 84 OM).
Indéniablement il se passe quelque chose, spécialement sur les mineurs. Au 16, 6 % de mineurs en plus

répond un petit 0,4% d’augmentation de détention pour les majeurs. Conséquence : on est passé de 1% de la population pénale à 1,1 % pour les mineurs.
Il faut ajouter à ces privations de liberté en détention provisoire ou sur condamnation les jeunes qui font l’objet d’un accueil singulièrement privatif de liberté dans ce que l’on appelle les Centres éducatifs fermés qui relèvent du regard du Contrôleur général des lieux privatifs de liberté. 582 places sont disponibles actuellement. Les projections laissent à penser que 1563 jeunes y auront séjournés sur l’année, soit un chiffre record

Quelle(s) explication(s) trouver ?

Une augmentation quantitative de la délinquance ? Tous les chiffres disponibles attestent du contraire. Le nombre de mineurs mis en cause chute depuis 4 ou 5 ans. Peut-être, parce que pour l’essentiel la délinquance des plus jeunes est une délinquance de rue et que la présence policière ou militaire dans les rues est singulièrement accentuée, terrorisme oblige. L’explication mériterait d’être affinée, En tous cas quand ils étaient 180 386 en 2012 les dossiers traités par les parquets sont tombés à 165 138 en 2015 (3)

La délinquance a-t-elle évolué qualitativement ?
Une première hypothèse est avancée dans Le Monde par le président de l’Association de magistrats de la jeunesse : l’incarcération de mineurs étrangers isolés faute, et pour cause, de domicile de référence, surtout si on ne les prend pas en charge. Laurent Gubler témoigne de ce que certains de ces jeunes, livrés à eux-mêmes commettraient aujourd’hui des délits de subsistance. Je peux témoigner pour avoir suivi quelques 8 à 10 000 d’entre eux entre 1994 et 2014 à Bobigny n’avoir pas eu plus d’une poignée présentée pour actes de délinquance.

Deuxième explication : la radicalisation de jeunes conduits à passer à l’acte monte en puissance. Une soixantaine de mineurs sont concernés par des poursuites engagées par le parquet anti-terroriste. (4) Indéniablement ces jeunes au moment de leur interpellation peuvent être remontés comme des coucous, particulièrement inaccessibles à tout échange et à tout projet alternatif. On entend comme l’avance Catherine Champrenault, procureure générale près la cour d’appel de Paris que le souci soit d enjoue la sécurité par l’incarcération avant envisager la liberté sous contrôle judiciaire avec un suivi par la PJJ.

Reste que ces chiffres ne trahissent pas une augmentation si spectaculaire de jeunes poursuivis et incarcérés pour radicalisation, soit en détention provisoire soit sur condamnation. Deux fois plus de mineurs poursuivis sur un an (64 pour 32) et deux fois plus de mandats de dépôt. (5) Pour autant ces situations n’expliquent à elles seules pas la tendance lourde trahie par les chiffres-clé.

C’est apparemment plus la délinquance de droit commun pourrait-on dire qui, non pas a explosé, mais appelle plus fréquemment que par le passé des réponses privatives de liberté.

Reste à observer une donnée essentielle et très préoccupante : la durée moyenne de détention s’allonge. On est passé de 2 mois à 3 mois et une semaine. Faute sans doute là encore d’une capacité de prise en charge en institutions. Tout ne date pas d’aujourd’hui, mais somme toute perdure

Il y a bien 52 CEF avec cette capacité d’accueil théorique de 552 places (6). Les postures restent inchangées : le ministère estime que le taux de remplissage est insuffisant quand juges et éducateurs se plaignent de se heurter trop souvent à des refus de prise en charge ! Un détail à mes yeux est révélateur de la difficulté de l’exercice et de ses limites : la directive de la PJJ admet elle-même que 5 de ces structures – 17 publiques, 35 privées – sont fermées pour être en crise – il faudrait y ajouter les Centres éducatifs renforcés eux-mêmes en difficulté-, soit quasiment 10% de l’effectif. Ce n’est quand même pas rien et révélateur de la difficulté de faire fonctionner ces cocottes minutes qui concentrent 10 à 12 jeunes censés être très durs voire présentant des troubles psychiatriques. Ces lieux peuvent être anxiogènes pour les jeunes, mais aussi pour les professionnels.

Je pose pour hypothèse que toutes ces formes de privations de liberté répondent à un durcissement sinon des faits commis, du moins de la personnalité de leur auteur, les magistrats ne trouvent pas d’autres réponses que la mise à l’écart. Et à l’expérience j’y vois le signe d’un relâchement du travail dit en milieu ouvert, le jeune demeurant dans son milieu naturel.

Je continue à me demander comment le même éducateur de la PJJ peut suivre 30 à 35 situations délicates.

Mais, je relève d’autres signes de préoccupation qui font l’originalité de ce que nous vivons actuellement.
Je crains que l’Aide sociale à l’enfance soit plus que jamais dans l’incapacité de suivre les jeunes – notamment les 8 – 13 ans – en difficulté avant qu’ils n’arrivent à entrer de plein pied dans la délinquance.
La Santé scolaire et le Service social scolaire restent sinistrés. Ne parlons pas de la psychiatrie infantile. Beaucoup de structures donnent des rendez-vous à 18 mois.
On a dit plus haut que nombre de Mineurs étrangers non accompagnés sont à la rue dans l’attente de leur évaluation ou après avoir été rejeté du dispositif de protection de l‘enfance.

Beaucoup avancent que la PMI est en grande difficulté dans nombre de départements.

A coup sûr la Prévention spécialisée est dans le collimateur de nombre d’élus territoriaux à de rares exceptions comme le Val de Marne. Le conseil départemental du Loiret avait coupé ses crédits avant d’être récemment sanctionné par le tribunal administratif de Nantes. Quand on devrait miser massivement sur les clubs et Equipes de Prévention spécialisée pour lancer une passerelle vers ces enfants et ces jeunes à la dérive happés de longue date par mafieux, et depuis quelques années par les prédicateurs, les présidents de conseils départementaux avec une approche – compréhensible mais à courte vue – réduisent leur implication et l‘Etat ne prend pas à corps le sujet en avançant un vrai plan Marshall sur la prévention socialisée. Ce qui devait arriver arrive….

Elément révélateur : pour la première fois depuis 30 ans le budget – consolidé – 7 milliards 300 millions de l’Aide sociale l’enfance baisse en 2016. Les départements se désengagent du soutien aux jeunes adultes de 18 à 21 ans qu’ils ont pu connaître, a fortiori si ce sont d’anciens mineurs étrangers isolés (conf. le département de la Seine Maritime qui refuse un soutien de plus de 4 mois). Ajoutons que les budgets de soutien aux associations investies sur l’action sociale pour les enfants et les familles baisse côté Justice et que désormais la baisse des aides – budget, emplois aidés – impact le secteur associatif de droit commun qui au quotidien contribue à entretenir le tissu social. Beaucoup d’associations vont purement fermer.
Le nombre d’enfant accueillis à l’ASE monte de 5%, sans compter les mineurs étrangers monte. Tout cela est cohérent. On laisse des situations pourrir quand il y a encore peu on tentait de les gérer au plus tôt.

Bref, trop d’informations remontent qui laissent à penser que dans des budgets publics contraints les budgets actions sociale commencent à pâtir sérieusement. La dépense sociale auprès des jeunes s’étiole. Trop de jeunes sont délaissés avec les dangers que propose la rue.

Il serait grand temps de réagir sachant qu’il ne suffira pas d’appuyer sur un bouton pour que la tendance s’inverse même par lucidité politique si décidait d’y mettre les moyens. On peut faire le pari de la relance économique, mais en souhaitant qu’il soit gagné, les effets n’en seront pas linéaires et assurés pour ces jeunes au parcours d’entrée de jeu tordu. Ils sont en danger – y compris les mineurs radicalisés pour reprendre le propos de Catherine Champrenault comme les mineurs de droit commun délinquants l’étaient et le sont toujours – et ils sont dangereux.
Nous nous tirons une belle dans le pied à désinvestir le terrain du lien social.

(1°) En 2004, M. Gil Robles, Commissaire européen au droit de de l ‘Homme, avocat espagnol, _avait pris le centre éducatif fermé qu’il venait de visiter pour une nouvelle prison pour mineurs
(2) Conf. Les Chiffres clé d l’administration pénitentiaire
(3) Chiffres clé de la justice. Mineurs Ed ; 2016, p.21. 176 256 en 2013 ?
(4) Toujours Le Monde du 13 septembre « Que faire des adolescents radicalisés ?’
(5) La loi de juillet 2016 fait passer la durée maximale de la détention provisoire des mineurs de 1 an à 2 ans pour délit terroriste et à 3 ans pour crime terroriste à travers un article 706-24-3 du code de procédure pénale nouveau modifiant article 11 de l’ordonnance du 2 février 1945
(6) On est loin de la promesse – de F. Hollande de 2012 de doubler les places de CEF quand il avait trouvé 42 CEF à son arrivée, promesse non tenue reprise par le nouveau président et stratégie mise en œuvre depuis peu par le ministère de la justice qui vise 50 nouveaux CEF d’ici 5 ans. Rappel : à raison d’un prix de journée de 600-800 euros par mineur l’accueil dans un CEF revient pour un séjour moyen de 4 mois de 81 000 à 104 000 euros pour un jeune.
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Voir en ligne : http://jprosen.blog.lemonde.fr/2017...


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