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Prise en charge des mineurs non accompagnés : une consolidation législative et jurisprudentielle en faveur d’un déclenchement successif de la protection des art. 375 et 411 c. civ. – Cour d’appel de Dijon 9 mars 2017

Publié le lundi 18 septembre 2017 , mis à jour le lundi 18 septembre 2017

Source : AJ fam. 2017. 361

Auteurs :
- Eva Flamigni, Magistrat
- Pierre Pedron, Magistrat

Extraits :

« Sommaire :

[...]

L’intérêt de l’arrêt de la cour d’appel de Dijon du 9 mars 2017 est double. Au plan juridique, il s’inscrit dans la jurisprudence constante dégagée par la Cour de cassation en la matière : rappel de la présomption de validité des documents administratifs produits par les requérants posée par l’art. 47 c. civ., d’une part, et de la compétence des juges du fond à statuer au vu des éléments de faits sur la minorité (ou non) des requérants, d’autre part. Au plan de la compétence juridictionnelle, l’arrêt du 9 mars 2017 illustre, dans un contexte de production législative soutenu, les interventions complémentaires et chronologiques du juge des enfants, juge du danger, et du juge des tutelles, juge de l’exercice de l’autorité parentale, dans la prise en charge des MNA.

L’arrêt du 9 mars s’inscrit dans la jurisprudence constante de la Cour de cassation - Un double moyen est invoqué par l’ASE afin d’obtenir la mainlevée de la tutelle prononcée au bénéfice de M. M... S... En premier lieu, il existe un doute sur la validité de l’acte administratif étranger établissant sa minorité ; en second lieu, des « réserves qui ne convainquent pas de la totalité du récit » apparaissent dans l’évaluation de sa situation. Au vu de ces éléments, l’ASE sollicite que la cour d’appel dise « que la présomption de minorité à l’égard de M. M... S... est renversée » et ordonne la mainlevée de la tutelle.

Dans l’arrêt du 9 mars 2017, la cour d’appel de Dijon, après vérification souveraine des mentions portées sur l’acte, mais sans faire état des investigations conduites par la PAF sur les documents d’identité produits, rejette ce premier moyen. Aucun élément n’était en effet apporté aux débats de nature à renverser la présomption que pose l’art. 47 c. civ., au sujet de laquelle la jurisprudence de la Chambre civile de la Cour de cassation est constante : est présumé authentique un acte d’état civil établi en pays étranger, dès lors qu’il est conforme aux formes requises par la loi étrangère (Civ. 1re, 17 déc. 2008, n° 07-20.293, D. 2009. 168 ; Rev. crit. DIP 2009. 740, note C. Bidaud-Garon).

Le second moyen avancé par l’ASE, tendant à remettre en cause la minorité de M. M... S... et obtenir de ce fait la mainlevée de sa tutelle, repose sur le contenu de l’évaluation qui, bien que concluant « que les indices recueillis au cours des différents entretiens ne remettent aucunement en cause la minorité et l’isolement sur le territoire français du jeune », laisserait apparaître « diverses réserves qui ne convainquent pas de la totale sincérité du récit » (ex : repères spatiaux approximatifs, conditions de traversée de la Méditerranée « peu crédible », ...). Dans son arrêt du 9 mars 2017, la cour d’appel rappelle les termes de la circulaire originelle du 31 mai 2013 qui prévoit qu’en cas de doute sur la minorité « l’évaluation s’appuie sur la combinaison d’un faisceau d’indices : entretien avec le jeune [...] dans le cadre d’une approche pluridisciplinaire » pouvant, le cas échéant, déboucher sur une expertise médicale sur réquisition du parquet. De cette évaluation, la cour d’appel, juridiction du fond, conformément là encore à la jurisprudence constante de la Cour de cassation (Civ. 1re, 11 mai 2016 n° 15-18-731 ; Civ. 1re, 4 janv. 2017, n° 15-18.468, AJ fam. 2017. 137, obs. P. Pedron ; D. 2017. 110, et les obs. ; ibid. 1011, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke), apprécie souverainement la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments de preuve qui lui sont soumis. Elle en déduit « que, en l’espèce, les résultats [...] permettent de conclure à la minorité de l’intéressé ». Qu’ainsi, M. M... S... « remplissait les conditions requises pour bénéficier de l’ouverture d’une tutelle d’État déferrée à l’ASE [...] par application de l’art. 411 c. civ. ».

L’arrêt du 9 mars 2017 se situe à la « croisée des chemins » des compétences des juges des enfants et des juges des tutelles et d’une évolution législative soutenue - Les MNA se voient offrir une protection judiciaire à double titre. Par le juge des enfants au titre de l’art. 375 c. civ. (« si la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur[...] sont en danger [...] des mesures d’assistance éducative peuvent être ordonnées par justice »). Le mineur peut alors être confié à l’ASE (C. civ., art. 375-3, 3°, loi n° 2017-258 du 28 févr. 2017). Par le juge des tutelles sur le fondement de l’art. 411 c. civ. « Si la tutelle [d’un mineur] reste vacante, le juge des tutelles la défère à la collectivité publique compétente en matière d’aide sociale à l’enfance ». Ces procédures, reposant sur des fondements juridiques distincts (danger/défaut de titulaire de l’autorité parentale) aboutissent cependant, in fine, à une prise en charge effective et économique des MNA par l’ASE. Ces décisions judiciaires et la jurisprudence ont un impact sur les budgets des conseils départementaux.

[...]

Dès avant l’adoption d’une loi, c’est de nouveau par circulaire interministérielle, (JUSF1602101C) du 25 janv. 2016, relative à la mobilisation des services de l’État auprès des conseils départementaux concernant les mineurs privés temporairement ou définitivement de la protection de leur famille et les personnes se présentant comme tels, qui a instauré un dispositif d’orientation national. Le critère de répartition des MNA repose sur l’intérêt de l’enfant. Ce dispositif de réorientation nationale a enfin été entériné par la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant et le décret d’application n° 2016-840 du 24 juin 2016 organisant la temporalité de la prise en charge résultant du dispositif.

L’arrêté du 17 nov. 2016 (NOR : JUSF1628271A) précise les modalités d’évaluation des deux conditions de déclenchement de la protection des MNA (minorité/isolement).

[...].

Vers une systématisation de la compétence du juge des tutelles ? Dans ce contexte législatif et réglementaire évolutif, face à des pratiques discordantes des parquets, des ASE, des juges des enfants et des juges des tutelles dans la prise en charge des MNA, il importe de relever que, en l’espèce, le juge, déclaré in fine compétent pour connaître de la situation de M. N... S..., est le juge des tutelles des mineurs, les conditions de la tutelle étant considérées comme remplies. Ainsi, si le juge des enfants, saisi d’abord par le mineur lui-même comme il en a la possibilité, a pu s’estimer compétent et ordonner une mesure de protection, sur le fondement des art. 375 s. c. civ., c’est, en définitive, la compétence du juge des tutelles des mineurs, juge de l’exercice de l’autorité parentale, qui a primé dans le cas d’espèce.

Cet enseignement mérite d’être souligné, tant le juge naturel des MNA est apparu, dans un premier temps, et consécutivement à la publication de la « circulaire Taubira », comme étant le juge des enfants. Or, si, comme le souligne le Défenseur des droits (Décision MDE-2016-052 du 26 févr. 2016 relative à l’accès aux droits et à la justice des MEI), « un mineur seul et étranger, arrivant en France sans responsable légal sur le territoire, et sans proche pour l’accueillir, doit être considéré comme un enfant en danger » - ce qui justifie la compétence du JE -, c’est la situation du jeune de manière globale et, à plus long terme, qui doit être envisagée. C’est d’ailleurs le sens de sa décision précitée, qui souligne que la mesure d’assistance éducative assure imparfaitement la protection juridique du mineur, obligation pourtant essentielle pesant sur la France, au titre de ses engagements internationaux en matière de droits de l’enfant. La tutelle d’État, au contraire, en ce qu’elle défère à l’ASE la possibilité de prendre les décisions et de décider des actes usuels relatifs à l’exercice de l’autorité parentale, permet une protection optimale du mineur arrivé sur le territoire sans proche, repère ou personne pouvant constituer pour lui une figure... tutélaire.

En résumé

Dès lors que la minorité est établie au moyen de l’évaluation sociale et de la production de documents d’état civil étranger (« sauf si [...] des données extérieures [...] établissent [...] que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité », C. civ., art. 47), les conditions relatives à l’ouverture d’une tutelle d’État sur le fondement de l’art. 411 c. civ. sont remplies au bénéfice d’un mineur non accompagné. L’arrêt pose également « la question de la systématisation du passage d’un statut de protection temporaire (assistance éducative) à celui, plus pérenne, de la tutelle » (rapport ONED 2017, suscité). En effet, l’organisation de la protection via le juge des tutelles s’accompagnant d’une organisation de l’exercice de l’autorité parentale vacante (tutelle dite « d’État »), il n’y a plus en principe de raison de maintenir un statut de protection en assistance éducative fondé sur le danger. »

Voir en ligne : http://www.dalloz.fr/documentation/...


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