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De l’autre côté du guichet

Publié le vendredi 8 mars 2019 , mis à jour le mardi 12 mars 2019

Source : Les jours

Auteur : Arnaud Aubry et Karine Le Loët

Extraits :

Ils se tiennent de l’autre côté du guichet, face aux migrants. Évaluateurs, officiers de protection, juges étudient des dossiers denses ou très minces, écoutent des histoires de violence et de pauvreté extrêmes. Parfois, aussi, des bobards appris par cœur, vendus par des passeurs. Leur responsabilité est immense : gérer l’une des plus grosses vagues migratoires que la France ait connue ces cinquante dernières années.

  • Episode n°1, 21 janvier 2019 : « Tu avais quel âge quand tu as quitté le Mali ? »

«  Marion doit déterminer si les migrants qu’elle reçoit sont bien mineurs. L’enjeu est crucial. Aujourd’hui, elle « évalue » Ousmane.

« Tu as quel âge ? » « J’ai 16 ans. » La pièce, sans fenêtres, est exiguë. En haut des murs, de larges interstices laissent entrer la rumeur du lieu : éclats de voix, portes claquées, au fond, le ronflement d’une photocopieuse. D’un côté de la petite table, Ousmane, grand échalas en sweat à capuche, encaisse la salve de questions et répond dans un français hésitant. Face à lui, Marion, chignon châtain tenu par un crayon rouge et gilet de laine à grosse maille, tape bruyamment sur son clavier à chacune de ses réponses. Marion n’est pas flic. Elle est évaluatrice au Demie, le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers, géré par la Croix-Rouge dans le XIe arrondissement de Paris.

Ce long entretien au Demie a pour objectif de déterminer si Ousmane est mineur, comme il le déclare, ou majeur. Beaucoup de choses en dépendent

Les Jours ont pu pénétrer les murs de cet organisme peu connu, le seul habilité à recevoir des migrants mineurs à Paris, afin d’assister à des évaluations dans leur intégralité. Ces longs entretiens ont pour objectif de déterminer si Ousmane – et les autres jeunes qui défilent dans le bureau de Marion et de ses quinze collègues évaluateurs – est mineur ou majeur. L’enjeu est crucial. S’il est reconnu mineur, Ousmane sera hébergé dans un hôtel ou un foyer, recevra des tickets à échanger contre un repas, pourra être suivi par un psychologue, aura le droit d’aller à l’école. S’il est déclaré majeur, il risque de se retrouver à la rue, voire, à terme, d’être expulsé de France.

Marion : « Tu avais quel âge quand tu as quitté le Mali ?

- Ousmane : 14 ans.

- Où est-ce que tu es né ?

- En 2002.

- Non, je veux dire, dans quelle ville, quel village ?

- À Bamako.

- Tu as toujours habité à Bamako ?

- Oui, toujours j’habite à Bamako. Ma mère aussi habite à Bamako.

- Tu vivais dans quel quartier ?

- À Sébénikoro.

- Est-ce que tu peux m’écrire le nom de ton quartier ici ?

- En arabe ?

- Euh… en français ?

- J’y arrive pas.

- Alors en arabe. [Ousmane souffle] C’est pas un test. C’est juste pour être sûre que je l’écrive bien.

- Et… toi-même tu vas écrire. C’est possible ?

- Est-ce que tu peux essayer d’écrire le nom de ton quartier ? »

Ousmane tient maladroitement le crayon de papier dans son poing fermé. Sur le Post-it violet que lui a tendu Marion, il trace lentement quelques lettres, de droite à gauche (...)  »

Episode intégral à retrouver ici.

  • Episode n°2, 25 janvier 2019 : « Je vais pas avoir des très bonnes nouvelles à t’annoncer »

«  Après deux heures d’entretien avec Ousmane, qui assure être mineur, Marion s’apprête à dire au jeune Malien si elle le croit.

Bon, on va faire un bilan, là, de tout ce qu’on s’est dit. » Dans la petite pièce sans fenêtres et surchauffée, cela fait deux heures qu’Ousmane répond aux questions de Marion. Où est-il né ? Comment est-il arrivé en France ? Pourquoi a-t-il quitté son pays ? À chacune de ses réponses, l’évaluatrice du Demie, le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers, plateforme gérée par la Croix-Rouge dans le XIe arrondissement de Paris, fige son histoire dans l’ordinateur. Le jeune migrant a conté son enfance malienne à Bamako, quatrième enfant mal-aimé d’un homme aux trois femmes et aux dix enfants. Son départ, les petits boulots de peintre au Ghana, au Nigeria, et jusqu’au Congo. Et puis finalement, la route vers la France, objectif initial de son voyage, où il dit être arrivé en août.

Le boulot de Marion consiste à déterminer si Ousmane est bien mineur comme il le prétend (lire l’épisode précédent, « “Tu avais quel âge quand tu as quitté le Mali ?” »). « J’ai 16 ans », maintient-il. Depuis 1990, la loi française, en application de l’article 22 de la Convention internationale des droits de l’enfant, stipule que les mineurs étrangers partagent les mêmes droits que les enfants français en danger. En clair, elle oblige l’État à mettre les mineurs à l’abri lorsqu’ils se retrouvent seuls sur le territoire, sans la présence et l’assistance d’un adulte de leur famille, même élargie.

“Je pense pas que tu aies 16 ans.
– Et pourquoi ?
– Pour beaucoup de raisons.
– Ah oui ?”

Dans la petite pièce, Marion a épuisé toutes ses questions. Elle a réexpliqué patiemment, quand le français d’Ousmane freinait sa compréhension. Elle n’a jamais haussé la voix. L’entretien s’achève (...) »

Episode intégral à retrouver ici.

  • Episode n°3, 04 février 2019 : « Tu lui aurais donné quel âge, toi ? »

«  Le Demie est chargé d’évaluer si les migrants reçus sont bien mineurs. Une responsabilité énorme et un système critiqué par les associations.

« Tu lui aurais donné quel âge, toi ? » « Ouh, mais je pense qu’il a au moins 25 ans, lui. » Devant les larges portes vitrées du Demie – le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés, dans le XIe arrondissement de Paris –, Marion et Aminata fument une cigarette. Les deux évaluatrices décompressent après leurs entretiens de l’après-midi. Il est bientôt 17 heures, l’heure de fermeture. Dans les couloirs étroits du centre opéré par la Croix-Rouge, le flot des jeunes se tarit. En route vers la sortie, la longue silhouette d’Ousmane file devant les jeunes femmes. Marion baisse le ton. Puis reprend : sur le cas du jeune homme qu’elle a interrogé deux heures durant (lire les épisodes 1 et 2), elle n’a « aucun doute. »

Lors d’un premier entretien, les évaluateurs écartent ceux qu’ils jugent majeurs sans discussion possible. Les autres décrochent un rendez-vous pour un entretien de « second niveau »

Pourtant, dans la petite salle surchauffée, il avait posé devant elle deux extraits d’acte de naissance indiquant qu’il avait 16 ans. Pour Marion, impossible de conclure à la véracité des papiers. D’ailleurs, ce n’est pas son rôle, tranche-t-elle : « Les documents, nous, on ne s’y fie pas. On ne fait pas d’authentification de documents. » Face à l’évaluatrice, seule la cohérence de l’histoire racontée, la posture, comptent. L’apparence aussi. « On ne va pas se voiler la face, quand on a quelqu’un face à nous, bien sûr que son allure va jouer, admet Marion. Même si on sait qu’on reçoit beaucoup de jeunes qui sont marqués physiquement par des parcours migratoires ou des vies difficiles au pays. » (...)  »

Episode intégral à retrouver ici.

Extraits de l’article en version pdf ci-dessous :

De_lautre_côté_du_guichet_n°3
  • Episode n°4, 13 février 2019 : « On modère notre empathie mais on n’est pas des robots »

«  Aminata et Marion racontent le quotidien au Dispositif d’évaluation des mineurs étrangers, les parcours des jeunes qui y sont reçus et les leurs.

C’est un petit groupe bien silencieux qui s’est rassemblé devant la grille du Demie, le Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers, en ce matin d’octobre. L’atmosphère est pesante. On échange à peine trois mots. Parmi la trentaine de jeunes migrants qui sont déjà là, bien en avance sur les heures d’ouvertures du lieu, certains ont même dormi dehors, juste à côté, pour être sûrs de pouvoir se frayer un chemin vers l’une des sept salles d’évaluation. Depuis le début du mois, ils sont beaucoup trop nombreux pour le petit Demie.

Alors, la plupart des jours, à l’entrée, les agents de la Croix-Rouge notent les noms, établissent des listes. À certains, ils donnent rendez-vous l’après-midi, à d’autres le lendemain pour un entretien. « Le flux, franchement, c’est dur à gérer, soupire Aminata, évaluatrice au Demie depuis mars 2017. Hier ou avant-hier, ces jeunes qui essayaient de rentrer et qui me regardaient comme ça… J’avais l’impression d’être à une frontière. Et ça m’a peinée. On sent dans leur regard qu’ils ont envie de rentrer, comme si c’était la délivrance, le moment où ils se disent : “C’est bon, je suis sauvé.” C’est hyper impressionnant. Et ça bouffe un peu. »

Aminata est loin d’être insensible aux personnes qu’elle traite. D’ailleurs, « bosser avec les mineurs isolés, c’était un choix, affirme-t-elle. J’ai toujours trouvé que c’était des “usagers” très particuliers, mais dans le sens positif du terme. Des jeunes arrachés à leur pays, leur famille, et qui arrivent quand même à s’intégrer, et qui ont cette force en eux. » (...)  »

Episode intégral à retrouver ici.

  • Episode n°5, 20 février 2019 : « On nous taxe de racistes qui laissons les jeunes dans la rue »

«  Autour du Demie, qui évalue si les migrants reçus sont mineurs ou pas, la violence est partout, larvée ou explicite. Parfois jusqu’au drame.

Vendredi 23 novembre 2018, 11 heures. Amen enjambe la rambarde au quatrième étage de l’atrium du nouveau tribunal de Paris, devant les avocats et les magistrats. Un policier le retient de justesse par le bras, mais le jeune homme se laisse glisser, et atterrit douze mètres plus bas. Il s’en tire avec de multiples fractures. La Croix-Rouge, elle, encaisse la tempête médiatique. Car le jeune migrant burkinabé assure avoir 15 ans. Il affirme aussi, aux médias qui l’interrogent, avoir été mis à la porte du Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (Demie) – tenu par la Croix-Rouge – sans être écouté. Après avoir déclaré à la mairie de Paris qu’il ne figurait pas dans ses fichiers, l’association finit par concéder à Mediapart qu’il est« possible et probable » que le jeune Burkinabé se soit présenté sans être évalué correctement, « compte tenu du fait que le Demie doit faire face à un afflux important en ce moment ».

Pour les avocates Isabelle Roth et Catherine Delanoë-Daoud, coresponsables du pôle MNA (« mineurs non accompagnés ») de l’antenne mineurs du barreau de Paris et jusqu’ici assez positives sur le travail du Demie, il s’agit « d’une défaillance majeure du système », « symptomatique » d’une forme de « maltraitance » plus générale, précisent-elles dans Mediapart. Le collectif Les Midis du MIE (pour « mineurs isolés étrangers ») dénonce, lui, des « rejets au faciès ». (...)  »

Episode intégral à retrouver ici.

  • Episode n°6, 8 mars 2019 : « Il y a des gens qui craquent. Et ils ne font pas semblant de craquer »

«  Serge travaille à l’Ofpra, l’organisme qui reçoit les demandes d’asile des migrants. Et décide, ou pas, de leur accorder une protection.

Ce jour-là, Serge s’est installé derrière son ordinateur pour un entretien. Il a lancé l’enregistrement, a déroulé son discours d’introduction et posé les premières questions. Devant lui, face à l’interprète, Mamadou a livré ses premières réponses. Et le brouillard s’est posé sur la petite pièce. Après avoir fui son pays et traversé la moitié du globe, Mamadou a embarqué sur un bateau il y a trois ans. Ou bien était-ce il y a cinq ? Mamadou n’est pas sûr. D’ailleurs, il n’a pas l’air de bien comprendre les questions que lui pose Serge, parfois trois ou quatre fois de suite. Quand il répond, c’est souvent à côté de la plaque. Sa vie d’adulte n’a été qu’une succession de traumatismes. Alors Mamadou ne se rappelle plus trop les détails. Son récit est décousu, sans chronologie. Serge doute. Pour lui, c’est le pire des scénarios.

Serge est officier de protection (OP), après avoir été bénévole dans des associations d’aide aux migrants pendant des années. Son métier consiste à entendre les demandeurs d’asile à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Cet établissement public est né en 1952 dans le sillage de la Convention de Genève qui définit les droits des réfugiés. S’il est placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, son indépendance est inscrite noir sur blanc dans la loi depuis 2015. (...) »

Episode intégral à retrouver ici.

Voir en ligne : https://lesjours.fr/obsessions/immi...


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