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“Un tiers des sans-abri sont des jeunes”

Publié le mardi 26 février 2019 , mis à jour le mardi 26 février 2019

Source : ASH n°3099 p.34

Date : 22 février 2019

Auteure : Brigitte Bègue

Extraits :

«  Dans son livre Je ne dors pas à la maison, l’ex-éducateur spécialisé Julien Billion, aujourd’hui sociologue, donne la parole à 20 jeunes sans domicile fixe vivant à Paris et à New York. Une visibilité qui invite à les considérer autrement que sous l’angle des statistiques.

Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre sur les jeunes en errance ?

Ce livre est issu de ma thèse sur des jeunes sans domicile fixe que j’ai rencontrés à Paris et à New York. J’ai été éducateur en foyer de l’aide sociale à l’enfance [ASE] et je me suis toujours demandé ce qu’allaient devenir les adolescents suivis dans ces dispositifs. J’ai eu des nouvelles de quelques-uns, et elles n’étaient pas très bonnes. On estime aujourd’hui que 35 % des personnes sans abri sont d’anciens enfants placés. (...)

Combien de jeunes vivent à la rue en France, et pourquoi ?

Difficile de répondre, faute d’avoir des chiffres précis. En 2012, l’Insee estimait à 20 000 le nombre de jeunes sans domicile. Sans généraliser sur les causes, ceux que j’ai suivis ont en commun des histoires familiales chaotiques, des cas flagrants de négligence, de maltraitance physique et/ou psychologique, des séparations parentales compliquées… (...) Le décrochage et l’échec scolaires consécutifs à un manque de concentration lié à leurs problèmes familiaux représentent également une constante dans leur trajectoire.

Y a-t-il des différences entre Paris et New York ?

Je note surtout des ressemblances. Les deux villes vivent jour et nuit et attirent des jeunes en rupture familiale qui viennent de province et, parfois, des DOM-TOM pour Paris et des Etats du Sud pour New York. Il y a peut-être plus de problématique de genre à New York, avec une liberté plus grande d’être LGBT dans cette ville. Le système de protection de l’enfance est à peu près identique sauf que, par souci d’économies, le recours à des tiers familiaux – oncle, tante, grands-parents, frères et sœurs – est privilégié aux Etats-Unis par rapport au placement en famille d’accueil ou en institution ici. (...)

De quoi vivent ces jeunes ?

Certains ont recours à la solidarité, aux travailleurs sociaux, d’autres font la manche, les plus âgés perçoivent les minima sociaux… D’autres essaient de s’en sortir seuls. Il y a autant de possibilités que de profils. A Paris, des groupes errent à la station Châtelet, ils se connaissent et se refilent les bons plans. Ceux qui fréquentent les associations ont une vraie connaissance de l’aide sociale, ils savent où aller pour prendre une douche, comment avoir à manger… Ils ont une vraie expertise de la rue et du territoire associatif, c’est essentiel pour optimiser les chances de survie. La prostitution, sous sa forme classique ou apparentée, peut être un autre moyen de subsistance. A New York, par exemple, on parle de sugar daddies à propos d’hommes adultes qui hébergent des jeunes en échange de relations sexuelles. A Paris, certains m’ont dit de manière explicite chercher un ou une partenaire avec hébergement. C’est un moyen de ne plus dormir dehors. Le plus dur, pour eux, est l’indifférence des passants et, en même temps, certains font tout pour ne pas être perçus comme sans domicile ou, quand ils recourent à la petite délinquance, pour ne pas être repérés par la police.

Arrivent-ils à sortir de la rue ?

C’est très difficile de le savoir sur la durée car ceux qui s’en sortent ne donnent plus forcément de nouvelles. Les leviers sont très différents mais, souvent, la rencontre amoureuse en est un. (...) C’est plus compliqué quand les jeunes ont cinq ou six ans de rue derrière eux, ce qui arrive quand ils ont été exclus de l’ASE ou qu’ils s’en sont échappés. Il y en a aussi qui sortent de la rue à chaque fois qu’ils ont une histoire amoureuse et qui y reviennent quand elle est terminée, parfois au bout de trois ans. Il y a beaucoup d’allers et venues de cette sorte. L’impact d’une personne qui peut les héberger chez elle ou dans sa famille est souvent déterminant. La rencontre avec un travailleur social peut aussi être une clé. A condition de tomber sur un professionnel en qui ils ont confiance, compétent et disponible. Car, souvent, ils ne croient plus aux adultes, qu’ils associent à leurs parents défaillants.

Faut-il revoir les modalités d’accompagnement de ces jeunes ?

On pourrait peut-être s’inspirer davantage de l’exemple américain. Ce que je trouve intéressant là-bas est le fait d’apporter des réponses à des problématiques très précises. Parfois, il faut généraliser, on n’a pas le choix, mais penser les solutions en fonction des subtilités de trajectoires permet peut-être de trouver des solutions mieux adaptées. Il faudrait donc développer des accompagnements particuliers et une expertise appropriée des travailleurs sociaux. Les particularités des jeunes à la rue ne sont sans doute pas assez connues. Par exemple, beaucoup d’entre eux ont des chiens, que les centres d’hébergement n’accueillent pas. Ces structures pourraient-elles être plus tolérantes ? De même, les couples y sont séparés, donc chaque partenaire fait une demande, mais il y a très peu de chances qu’ils se retrouvent dans le même établissement. Il y a sûrement des choses à repenser. Le problème est que, depuis mon enquête, le financement des associations a diminué, alors que l’accompagnement professionnel devrait monter en gamme.

Quels sont leurs rêves ?

Les mêmes que ceux de tout le monde : avoir un logement, un travail, être en couple, devenir parents… Rêver est vital pour échapper à ses souffrances, même s’il est difficile de mettre en place les changements souhaités.  »

Voir en ligne : https://www.ash.tm.fr/hebdo/3099/re...


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