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Source : Mediapart

Date : 21 juin 2019

Auteur : Eric111

Présentation :

«  En Moselle, les choix politiques de l’État et du département réduisent de jeunes mineurs isolés à la misère et aux traitements dégradants. Les conditions ignobles de l’accueil ne résultent ni d’un manque de moyens, ni d’une quelconque incompétence. Elles constituent un choix délibéré et concerté entre différentes instances, comme nous le montrerons plus loin.

Le Collectif Mosellan de Lutte contre la Misère s’est organisé pour enquêter sur ces conditions de vie. Un reportage vidéo est en cours de réalisation, et dès à présent, à partir des témoignages collectés, je publie quelques billets destinés à alerter l’opinion et mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités.  »

Extraits :

Premier épisode : David dort par terre

« Quand David est arrivé au Centre Départemental de l’Enfance (CDE) à seize ans, on lui a attribué une couchette dans le réfectoire. Selon les jours, ils sont entre vingt et trente jeunes à dormir ainsi au sol. Le soir, ils posent leurs matelas sur le carrelage et à six heures du matin, ils les retirent pour les entasser dans un sous-sol.

(...)

David a dormi ainsi dix jours d’affilée avant d’être mis dehors pour avoir perdu son passeport. Une bénévole qui maraudait pour venir en aide aux personnes à la rue a négocié puis obtenu son retour au CDE où il a retrouvé son rectangle de mousse. Il ne dort plus sur le carrelage du réfectoire mais, toujours sur le sol, au pied de lits superposés dans une chambre prévue pour deux et qui accueille quatre jeunes. Dans d’autres chambres aménagées pour quatre personnes, il peut s’en trouver sept ou huit. Les plus chanceux disposent d’une armoire pour deux, sans clef. Les vols et les bagarres sont monnaie courante.

Référent·es ASE inaccessibles

Les jeunes placés dans les structures de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) sont, en théorie, pris en charge par une équipe éducative interdisciplinaire qui veille au développement de leur personnalité et leur socialisation, les suit dans leur vie quotidienne et dans la réalisation de leur projet personnalisé d’accompagnement, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’établissement, et ceci également au début de leur vie adulte. Pour chaque jeune est désigné, au sein de cette équipe, un·e référent·e ASE garant·e de l’effectivité de ces missions (Article D312-59-10 du Code de l’Action Sociale et des Familles).

Eddy, par exemple, apprécie les rencontres avec son éducateur référent, mais se plaint de leur rareté : « Ça fait un mois que je demande parce que bientôt je dois passer au tribunal pour une demande de nationalité française, ils me disent qu’il y a des urgences, des trucs comme ça. » David, quant à lui, connaît depuis trois mois le nom de sa référente, mais pas encore son visage. Il demande des rendez-vous pour l’interpeller sur ses conditions de vie et les difficultés qui en résultent sur son travail scolaire. Il est inscrit au Lycée du Bâtiment de Montigny-lès-Metz. « Je vais à l’école, et je dors par terre », voudrait-il lui faire savoir.

La nourriture est, selon lui, insuffisante en quantité et en qualité (...)

« Pour prendre la douche, c’est trop difficile. Il y a quatre douches et on est soixante personnes. (...) »

Mineur ou pas ?

Un jour, on convoque David pour lui signifier la fin de sa prise en charge, ou ce qui en tient lieu : « On sait que tu n’as pas 17 ans, mais 22 ans et des enfants dans ton pays natal, ta place n’est donc pas ici. » Il se rend à son ambassade et obtient son passeport biométrique en bonne et due forme. Il réussit de la sorte à se rétablir dans ses droits de jeune mineur. Il est ensuite hébergé au Foyer du Jeune Travailleur (FJT) Pilâtre de Rozier dans un autre quartier de Metz. C’est là qu’il fait la connaissance d’Eddy qui est passé deux années auparavant par les mêmes galères.

« Pilâtre de Rozier, c’est bien. On mange au restaurant, on a les chambres seul. » Une sinécure, comparé à ce qu’il subissait au CDE qu’il réintégrera ensuite, pour une chambre à deux où ils résident à quatre. Il mettra trois mois à être scolarisé. L’Armée du Salut s’en chargera, agissant en délégation de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale (DDCS) de Moselle dont elle perçoit des fonds pour assurer l’hébergement, la scolarisation et les soins médicaux de ces jeunes. (...)

Rester ou partir ?

(...)

Les motifs pour lesquels ces jeunes s’arrachent de leur pays et restent ici, malgré les avanies qu’ils subissent et les offres incitatives d’aide au retour, sont divers. Eddy et David ne cachent pas les raisons essentiellement matérielles de leur départ à l’aventure : « C’est des motifs économiques, parce que dans notre pays, il n’y a pas trop de travail, même s’il y a du travail, nous on travaille là-bas comme des chiens pour cent balles. C’est pour ça, on est venus. Moi, déjà, je fais un apprentissage en maçonnerie, je gagne plus qu’un professeur là-bas. »

(...)

Leur parcours intégrant formation et emploi leur donnera de meilleures chances de réussite. C’est ce que nous leur souhaitons, nous les Français qui aurons besoin du travail des jeunes, d’où qu’ils viennent, pour financer notre protection sociale.

A suivre… »

Deuxième épisode : Arthur, mourir ici

«  Second volet de notre enquête sur la politique mosellane d’aide sociale à l’enfance, la situation d’Arthur, jeune garçon meurtri physiquement et psychiquement.

Fuir…

Il a passé quelques nuits sur le pavé de la gare de Metz en 2017, seul, un billet de cent euros en poche et la tête encore farcie de souvenirs atroces qu’il évoque d’abord sur un ton vague : la complication… la catastrophe… ce que j’ai vécu… des trucs comme ça… des histoires bizness… avant de préciser : « J’ai été utilisé, c’est pour ça que je suis ici… à cause des blessures ».

(...)

Arthur n’a pas la moindre idée de ce qui lui reste à faire une fois arrivé à Metz. Quelqu’un lui conseille de déposer une demande d’asile au dispositif de premier accueil tenu par l’Association d’Information et d’Entraide Mosellane (AIEM). Il est onze heures, les guichets sont fermés, il y retourne le lendemain après une nuit à la rue pour s’entendre dire que sa demande n’est pas recevable. Il est mineur, il doit se présenter directement à l’hôtel de police. Il s’y rend aussitôt.

Trouver refuge

Ses documents sont en règle mais on prend ses empreintes biométriques. La police recoupe les informations avec celles qui avaient été collectées dans le pays par lequel il avait transité et conclut que c’est de là qu’il est originaire, ce pays dont il ignore la langue. On lui concocte une nouvelle identité qu’il réfute. Il se retrouve en garde à vue avant d’être transféré au Centre de Rétention Administrative (CRA). Il n’y voit pas trop d’inconvénient : plutôt les barbelés du CRA que les pavés de la gare. (...)

De tribunaux en hôpitaux

Il dort mal, toutes les positions, assis, couché sur le dos ou le côté, lui sont pénibles. Il rencontre son avocat qui n’obtiendra pas sa libération. Nouvel examen médical, le médecin du CRA mesure la gravité de son état, mais l’officier de police judiciaire objecte qu’une audience étant prévue le lendemain au tribunal administratif de Nancy, il devra rester ici cette nuit encore.

(...)

Arthur a dix-sept ans, il n’est pas sérieux, il est grave, perclus de douleurs physiques et morales. À Metz, ville « des cafés tapageurs aux lustres éclatants ! », la jeunesse s’éclate et aurait tort de s’en priver. Arthur, lui, dans sa chambrette de dix mètres carrés, répare patiemment ses déchirures.

A suivre…  »

Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/eric111/...


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