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Conseil d’État, 1ère chambre, 30/12/2020, 438636, (réf. susp.) : Confié à l’aide sociale à l’enfance par décisions judiciaires jusqu’à sa majorité, scolarisé en classe de première en vue de l’obtention d’un baccalauréat professionnel " technicien d’études du bâtiment ", scolarité qu’il suivait de façon assidue, ne disposant ni d’un soutien familial sur le territoire français ni de ressources, un refus de poursuite de prise en charge est opposé par le département à un jeune majeur. Dans ces conditions, alors que le défaut d’accompagnement de M. risquait de compromettre la poursuite de sa scolarité jusqu’au terme de l’année scolaire engagée, le juge des référés a commis une erreur de droit en se fondant sur le pouvoir d’appréciation du président du conseil départemental pour juger que sa situation ne faisait pas apparaître de doute sérieux quant à la légalité, au regard des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, de ce défaut d’accompagnement.

Publié le : vendredi 29 janvier 2021

Source : Conseil d’État, 1ère chambre, réf. susp.

Date : Décision du 30/12/2020, 438636

« RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

M. A... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Versailles de suspendre, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, l’exécution de la décision du 10 décembre 2019 par laquelle le président du conseil départemental de l’Essonne a confirmé le rejet de sa demande de prise en charge par l’aide sociale à l’enfance en qualité de jeune majeur. Par une ordonnance n° 2000254 du 31 janvier 2020, le juge des référés a rejeté sa demande.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 13 et 25 février et le 16 décembre 2020, M. C... demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge du département de l’Essonne la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
- le code de l’action sociale et des familles ;
- le code de justice administrative et le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Eric Buge, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme B... D..., rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. C... et, à la SCP Delamarre, Jéhannin, avocat du département de l’Essonne ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Melun que M. C..., ressortissant tunisien né le 15 septembre 2001, est entré sur le territoire français le 27 décembre 2017 et a été confié au service de l’aide sociale à l’enfance du département de l’Essonne, par décisions judiciaires, du 19 janvier 2018 à sa majorité. Par un courrier du 12 juillet 2019, M. C... a demandé au département de l’Essonne le bénéfice d’une prise en charge en qualité de jeune majeur, sur le fondement de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles. Le président du conseil départemental de l’Essonne a rejeté cette demande le 13 septembre 2019 puis, le 10 décembre 2019, a rejeté le recours préalable de l’intéressé contre cette décision. Par son pourvoi en cassation, M. C... doit être regardé comme demandant l’annulation de l’article 2 de l’ordonnance du 31 décembre 2019 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Versailles, après avoir prononcé son admission provisoire à l’aide juridictionnelle, a rejeté sa demande de suspension de l’exécution de cette décision.

Sur le pourvoi :

2. Aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

3. Aux termes de l’article L. 221-1 du code de l’action sociale et des familles : " Le service de l’aide sociale à l’enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / 1° Apporter un soutien matériel, éducatif et psychologique tant aux mineurs et à leur famille ou à tout détenteur de l’autorité parentale, confrontés à des difficultés risquant de mettre en danger la santé, la sécurité, la moralité de ces mineurs ou de compromettre gravement leur éducation ou leur développement physique, affectif, intellectuel et social, qu’aux mineurs émancipés et majeurs de moins de vingt et un ans confrontés à des difficultés familiales, sociales et éducatives susceptibles de compromettre gravement leur équilibre (...) ". L’article L. 222-5 du même code détermine les personnes susceptibles, sur décision du président du conseil départemental, d’être prises en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance, parmi lesquelles, au titre du 1° de cet article, les mineurs qui ne peuvent demeurer provisoirement dans leur milieu de vie habituel et dont la situation requiert un accueil à temps complet ou partiel et, au titre de son 3°, les mineurs confiés au service par le juge des enfants parce que leur protection l’exige. Aux termes des sixième et septième alinéas de cet article : " Peuvent être également pris en charge à titre temporaire par le service chargé de l’aide sociale à l’enfance les mineurs émancipés et les majeurs âgés de moins de vingt et un ans qui éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants. / Un accompagnement est proposé aux jeunes mentionnés au 1° du présent article devenus majeurs et aux majeurs mentionnés à l’avant-dernier alinéa, au-delà du terme de la mesure, pour leur permettre de terminer l’année scolaire ou universitaire engagée ". L’article L. 222-5-1 du même code prévoit que : " Un entretien est organisé par le président du conseil départemental avec tout mineur accueilli au titre des 1°, 2° ou 3° de l’article L. 222-5, un an avant sa majorité, pour faire un bilan de son parcours et envisager les conditions de son accompagnement vers l’autonomie. Dans le cadre du projet pour l’enfant, un projet d’accès à l’autonomie est élaboré par le président du conseil départemental avec le mineur. Il y associe les institutions et organismes concourant à construire une réponse globale adaptée à ses besoins en matière éducative, sociale, de santé, de logement, de formation, d’emploi et de ressources (...) ". Enfin, aux termes du dernier alinéa de l’article R. 221-2 du même code : " S’agissant de mineurs émancipés ou de majeurs âgés de moins de vingt et un ans, le président du conseil départemental ne peut agir que sur demande des intéressés et lorsque ces derniers éprouvent des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants ".

4. Il résulte de ces dispositions que s’il incombe au président du conseil départemental de préparer l’accompagnement vers l’autonomie de tout mineur pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance dans l’année précédant sa majorité, il dispose, sous le contrôle du juge, d’un large pouvoir d’appréciation pour accorder ou maintenir la prise en charge par ce service d’un jeune majeur de moins de vingt et un ans éprouvant des difficultés d’insertion sociale faute de ressources ou d’un soutien familial suffisants. Toutefois, lorsqu’une mesure de prise en charge d’un mineur parvenant à sa majorité, quel qu’en soit le fondement, arrive à son terme en cours d’année scolaire ou universitaire, il doit proposer à ce jeune un accompagnement, qui peut prendre la forme de toute mesure adaptée à ses besoins et à son âge, pour lui permettre de ne pas interrompre l’année scolaire ou universitaire engagée.

5. Lorsqu’il statue sur un recours dirigé contre une décision refusant une prise en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance ou mettant fin à une telle prise en charge, il appartient au juge administratif, eu égard tant à la finalité de son intervention qu’à sa qualité de juge de plein contentieux, non de se prononcer sur les éventuels vices propres de la décision attaquée, mais d’examiner la situation de l’intéressé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui résultent de l’instruction et, notamment, du dossier qui lui est communiqué en application de l’article R. 772-8 du code de justice administrative. Au vu de ces éléments, il lui appartient d’annuler, s’il y a lieu, cette décision en accueillant lui-même la demande de l’intéressé s’il apparaît, à la date à laquelle il statue, eu égard à la marge d’appréciation dont dispose le président du conseil départemental dans leur mise en œuvre, qu’un défaut de prise en charge conduirait à une méconnaissance des dispositions du code de l’action sociale et des familles relatives à la protection de l’enfance et en renvoyant l’intéressé devant l’administration afin qu’elle précise les modalités de cette prise en charge sur la base des motifs de son jugement. Saisi d’une demande de suspension de l’exécution d’une telle décision, il appartient ainsi au juge des référés de rechercher si, à la date à laquelle il se prononce, ces éléments font apparaître, en dépit de cette marge d’appréciation, un doute sérieux quant à la légalité d’un défaut de prise en charge.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que M. C..., confié à l’aide sociale à l’enfance par décisions judiciaires jusqu’à sa majorité, avait commencé, à la date de son dix-huitième anniversaire, une année de scolarité en classe de première au lycée des métiers Jean Monnet, à Montrouge, en vue de l’obtention d’un baccalauréat professionnel " technicien d’études du bâtiment ", scolarité qu’il suivait de façon assidue, qu’il ne disposait ni d’un soutien familial sur le territoire français ni de ressources et que si le département de l’Essonne faisait valoir, dans les motifs de sa décision du 10 décembre 2019, la possibilité pour M. C... de bénéficier d’une bourse d’études départementale, il n’avait pas fait connaître cette possibilité à l’intéressé avant l’interruption de sa prise en charge au titre de l’aide sociale à l’enfance, dans le cadre de l’accompagnement qu’il devait lui proposer. Dans ces conditions, alors que le défaut d’accompagnement de M. C... risquait de compromettre la poursuite de sa scolarité jusqu’au terme de l’année scolaire engagée, le juge des référés a commis une erreur de droit en se fondant sur le pouvoir d’appréciation du président du conseil départemental pour juger que sa situation ne faisait pas apparaître de doute sérieux quant à la légalité, au regard des dispositions du dernier alinéa de l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, de ce défaut d’accompagnement.

7. Il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à demander l’annulation de l’article 2 de l’ordonnance qu’il attaque. Le moyen retenu suffisant à entraîner cette annulation, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres moyens du pourvoi.

8. Il y a lieu, en application du premier alinéa de l’article L. 8212 du code de justice administrative, de régler l’affaire, dans la mesure de la cassation prononcée, au titre de la procédure de référé engagée par M. C....

Sur la demande de suspension :

9. En premier lieu, il résulte de l’instruction qu’à la date de la présente décision, M. C..., qui a obtenu en juin 2020 le brevet d’études professionnelles " études du bâtiment " avec une moyenne de 15,90 sur 20, poursuit sa scolarité en terminale au lycée des métiers Jean Monnet. Il en résulte également qu’il s’est vu délivrer le 16 mars 2020 une carte de séjour temporaire d’une durée d’un an en qualité de salarié, est suivi par l’association ADEPAPE 91, qui le soutient dans ses démarches administratives, est logé dans un appartement partagé à Evry, pour lequel il perçoit une allocation de logement, et bénéficie d’une bourse d’un montant de 650 euros par mois, qui lui a été accordée le 28 septembre 2020 par le président du conseil départemental de l’Essonne pour la période du 1er septembre 2020 au 30 juin 2021. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 221-1, L. 222-5 et L. 222-5-1 du code de l’action sociale et des familles n’est pas propre à créer, à la date de la présente décision, un doute sérieux quant à la légalité d’un défaut de prise en charge ou d’accompagnement de M. C....

10. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 5 que M. C... ne peut utilement invoquer les vices propres qui affecteraient la légalité de la décision du 13 septembre 2019.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de sa demande ni sur la condition d’urgence, les conclusions de la demande présentée par M. C... devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du département de l’Essonne une somme de 2 000 euros à verser à M. C....

D E C I D E :


Article 1er : L’article 2 de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Versailles du 31 janvier 2020 est annulée.
Article 2 : La demande présentée par M. C... devant le juge des référés du tribunal administratif de Versailles est rejetée.
Article 3 : Le département de l’Essonne versera une somme de 2 000 euros à M. C... au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. A... C... et au département de l’Essonne.
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