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Avis n° 21-12 de la Défenseure des droits sur le projet de loi relatif à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure

Publié le jeudi 30 septembre 2021 , mis à jour le jeudi 30 septembre 2021

Source : Défenseure des droits

Date : 20 septembre 2021

Extraits :

I. Dispositions relatives à la création d’un délit autonome réprimant certaines violences commises sur des gendarmes, des militaires, des policiers et des agents de l’administration pénitentiaire (article 4)

II. Dispositions relatives à la captation d’images

1. Dans les cellules de garde à vue (article 7)

Sur le champ d’application et l’opportunité du dispositif

Sur l’application du dispositif aux mineurs

Sur les restrictions au droit au respect de la vie privée

2. Au moyen de dispositifs de captation installés sur des aéronefs (article 8)

Sur le droit au respect de la vie privée

Sur les restrictions au droit de manifester

III. Dispositions relatives aux procédures de jugement des mineurs (article 12)

Ce que prévoit le projet de loi

L’article 12 vise à permettre à une juridiction, qui se déclare incompétente pour juger une personne déférée à raison de son âge, de statuer au préalable sur le placement ou le maintien en détention provisoire de celle-ci. Il prévoit ainsi que si la personne mineure apparaît au tribunal pour enfant comme majeure, le juge des enfants ou le juge des libertés et de la détention renvoie au Procureur le dossier, mais statue au préalable sur la détention provisoire jusqu’à comparution le jour même ou sous 24h (5 jours si la compétence pôle d’instruction n’existe pas dans le tribunal). Il en est de même lorsqu’une personne majeure apparait mineure au tribunal correctionnel.

L’analyse de la Défenseure des droits

La Cour de cassation a affirmé dans une décision du 11 décembre 2019 ( Cour de cassation, Crim., 11 décembre 2019, n° 18-84.938) que le doute quant à la minorité de l’intéressé lui profite et que « les mineurs auxquels est imputé un délit ne peuvent être déférés aux juridictions pénales de droit commun et ne sont justiciables que des tribunaux pour enfants ». Ces nouvelles dispositions viennent renverser ces principes cardinaux de la justice des mineurs. Par ailleurs, il revient au parquet de s’assurer que le dossier sur lequel statue le tribunal a pris soin d’étayer la minorité/majorité de l’individu en amont de l’audience. Permettre que la minorité soit discutée dans le cadre d’une procédure rapide est dangereux, ne permet pas à la personne concernée de préparer utilement et efficacement sa défense, d’autant que les conséquences de cette question sont non négligeables, concernant la détention provisoire de potentiels mineurs, ainsi que pour le reste de la procédure concernant la détermination de la minorité.

La Défenseure des droits alerte à ce titre sur les conséquences de cet article dont les dispositions demeurent imprécises au regard du principe du contradictoire et du droit au recours effectif. En effet, alors que la détermination de la minorité sera au cœur du débat, la rédaction retenue : « s’il apparait au juge », n’offre pas les garanties d’un débat contradictoire permettant au mineur de discuter en fait et en droit les éléments notamment liés à son état civil et son identité. Cette formulation ne respecte pas de surcroit le droit au recours effectif et au procès équitable du mineur en vertu duquel il devrait pouvoir contester à ce stade, par une voie de recours effective, l’appréciation portée par la juridiction sur son âge. Cette appréciation devrait pour ce faire prendre la forme d’une décision motivée en fait et en droit. A défaut et en l’état actuel de la rédaction, la cour d’appel amenée à statuer sur le recours contre la décision de placement ou de maintien en détention provisoire dans le cadre de ce dispositif n’aura aucune compétence pour statuer également sur le contentieux de la minorité.

A ce titre, la Défenseure des droits s’interroge sur le régime de la détention provisoire pour des personnes pour lesquelles existe un doute sur la minorité, ce doute devant leur profiter, et alerte, par conséquent, sur le risque de placer ou de maintenir en détention provisoire des mineurs avec des personnes majeures.

Elle constate d’ailleurs une augmentation des saisines dans lesquelles des mineurs non accompagnés, confiés comme mineurs sur décisions de justice antérieures, font l’objet de poursuites pénales et de placement en détention provisoire ou incarcération en tant que majeurs, faute d’avoir pu, avec leurs conseils, produire en temps utile les éléments relatifs aux procédures pénales ou d’assistance éducative antérieures.

Enfin, comment une juridiction qui se dit incompétente pour juger une personne au regard de sa minorité/majorité peut-elle être compétente pour statuer sur des mesures coercitives, sans que ne soient atteints les principes fondamentaux de notre droit ?

La Défenseure des droits estime que ce texte ne respecte pas l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant qui impose, comme l’a souligné le Conseil constitutionnel (Conseil constitutionnel, décision n° 2018-768 QPC du 21 mars 2019), que les mineurs présents sur le territoire national bénéficient de la protection légale attachée à leur âge et qui induit que les règles relatives à la détermination de l’âge d’un individu doivent être entourées des garanties nécessaires afin que des personnes mineures ne soient pas indûment considérées comme majeures.

IV. Sur le relevé signalétique sans consentement et par la contrainte (article 16)

Cet article vise à permettre le relevé signalétique sans consentement d’une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou délit puni d’un emprisonnement supérieur ou égal à 3 ans, ou supérieur ou égal à 5 ans s’agissant d’un mineur, dans le cas où la personne « refuse de justifier de son identité ou fournit des éléments d’identité manifestement inexacts », lorsque ce relevé est le seul moyen d’identifier celle-ci et sur autorisation écrite du procureur de la République saisi d’une demande motivée par l’officier de police judiciaire. Alors que jusqu’à présent le refus d’une personne de se faire signaliser est constitutif d’une infraction autonome, celui-ci justifierait, avec la nouvelle disposition, une atteinte à l’intégrité physique de celle-ci.

Cette nouvelle disposition appelle plusieurs observations.

D’une part, l’usage même de la contrainte sur une personne est très contestable, et aucune disposition pénale ne la prévoit à ce jour en droit interne en matière de réalisation de relevés signalétiques, y compris pour les personnes majeures.

Deux articles du code de procédure pénale permettent, concernant les prélèvements génétiques, de recourir de manière limitative et exceptionnelle, à de tels prélèvements sans l’accord de l’intéressé, sans toutefois viser précisément le recours à la contrainte :

  • L’article 706-56-I alinéa 5 du code de procédure pénale dispose que « Lorsqu’il s’agit d’une personne condamnée pour crime ou déclarée coupable d’un délit puni de dix ans d’emprisonnement, le prélèvement peut être effectuée sans l’accord de l’intéressé sur réquisitions écrites du procureur de la République. Il en va de même pour les personnes poursuivies pour un crime ou un délit puni de dix ans d’emprisonnement ayant fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale […]
  • L’article 706-47-2 autorise l’OPJ à procéder à des examens médicaux et des prises de sang sur toute personne soupçonnée d’avoir commis un viol, une agression sexuelle ou une atteinte sexuelle « afin de déterminer si cette personne n’est pas atteinte d’une maladie sexuellement transmissible », ceci à la demande de la victime, sur instruction du procureur ou du juge d’instruction saisi.

La Défenseure des droits s’alarme donc de la modification substantielle du cadre juridique existant en raison, d’une part du public susceptible d’être visé par l’article 16 : des mineurs/majeurs non condamnés ni poursuivis et, d’autre part, de l’extension de la possibilité de recourir à la contrainte pour les relevés signalétiques, bien plus fréquemment réalisés que les prélèvements génétiques, examens médicaux ou prises de sang.

Par ailleurs, la Défenseure des droits s’inquiète de la formulation imprécise retenue concernant l’appréciation du caractère « manifestement inexact[s] » des éléments d’identité fournis. En effet, les « importantes difficultés d’identification de personnes […] dépourvues de titre d’identité et se présentant souvent comme des mineurs non accompagnés » ne sauraient justifier le recours à la contrainte pour des personnes susceptibles d’être mineures, au seul motif que ces derniers s’opposeraient aux relevés signalétiques et que la pénalisation de ce refus s’avérerait insuffisante, ce qui n’est pas démontré. D’autant plus que, comme relevé précédemment, la Défenseure des droits note une augmentation de saisines liées à des procédures expéditives conduisant à identifier des mineurs non accompagnés comme majeurs et les poursuivre pénalement comme tels alors que l’autorité judiciaire s’était déjà prononcée sur leur minorité.

En outre, dans les faits, ces dispositions permettraient un usage massif de la contrainte à l’égard des mineurs non accompagnés auxquels on reproche régulièrement la tentative d’obtenir indûment une qualité/un statut punie de cinq ans d’emprisonnement. Il convient par ailleurs de relever que les mineurs non accompagnés font parfois l’objet d’une garde à vue sous un régime majeur, et se voient alors bien souvent reprocher l’utilisation de faux papiers, le faux et usage de faux étant réprimés de trois ans d’emprisonnement.

Enfin, la Défenseure des droits estime que les conditions fixées par le texte et visant à restreindre l’usage de la contrainte pour les mineurs ne sont pas suffisantes au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet, la notion « d’éléments d’identité manifestement inexacts » et l’appréciation de la condition selon laquelle « 2° Le mineur apparaît âgé d’au moins treize ans » sont insuffisamment précis et objectifs pour encadrer strictement le recours à la contrainte sur des mineurs. Par ailleurs, la proportionnalité entre l’atteinte portée à l’intégrité physique d’un mineur et le seuil, très bas, de peine encourue emportant l’application de cette disposition (5 ans d’emprisonnement pour un mineur, soit par exemple un vol sans violence ni dégradation commis par deux personnes) est interrogée.

Des données personnelles concernant des personnes mineures, seraient donc recueillies et enregistrées dans les traitements automatisés FAED et TAJ après un usage de la contrainte.

La Défenseure des droits note, par ailleurs, que les éléments de droit comparé fournis par l’étude d’impact pour justifier de l’adoption de telles dispositions ne permettent pas d’appréhender de manière précise les dispositions des législations étrangères applicables aux mineurs et notamment leur impact dans le cadre de procédures pénales concernant des mineurs non accompagnés pour lesquels la question de la détermination de minorité se pose.

Enfin, concernant la comparaison avec le relevé d’empreintes des demandeurs d’asile dans le cadre du règlement européen dit Eurodac (Règlement (UE) N° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) n° 604/2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) no1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (refonte) réalisée au sein de l’étude d’impact, concernant la détermination de l’Etat européen responsable de l’examen d’une demande d’asile, il est important de souligner que l’article 3§5 dudit règlement précise :

« La procédure de relevé des empreintes digitales est déterminée et appliquée conformément à la pratique nationale de l’Etat membre concerné et dans le respect des dispositions de sauvegarde établies dans la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, la convention pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la convention des Nations unies relatives aux droits de l’enfant ».

Il est également primordial de souligner que la Commission européenne a rappelé, dans le cadre de ce relevé d’empreintes digitales Eurodac, que les États membres peuvent considérer qu’il n’est jamais approprié de recourir à la contrainte à l’égard de certaines personnes vulnérables, telles que les mineurs ou les femmes enceintes. Si un certain degré de coercition est utilisé pour les personnes vulnérables, il convient de s’assurer que la procédure utilisée est spécifiquement adaptée à ces personnes, que ce recours à la contrainte doit toujours être enregistré et qu’un enregistrement de la procédure devrait être conservé aussi longtemps que nécessaire pour permettre à la personne concernée de contester légalement cet usage (Commission européenne, COMMISSION STAFF WORKING DOCUMENT on Implementation of the Eurodac Regulation as regards the obligation to take fingerprints, 2015, §7).

En conclusion, la rédaction de l’article 16 en l’état n’est pas conforme à l’exigence constitutionnelle de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, à l’intérêt supérieur de l’enfant et au droit à l’identité de ce dernier protégé conventionnellement à l’article 8 de la Convention internationale des droits de l’enfant et à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

V. Sur les autres dispositions pénales (article 15 et 18)

Avis en format PDF :

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