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Décision n°2021-244 du Défenseur des droits du 6 septembre 2021 rappelle la présomption d’authenticité des actes d’état civil, les conditions portées par l’article 388 du Code civil relatives à l’expertise médicale osseuse le droit à l’identité, et les conditions de recueil du consentement de l’intéressé.

Publié le vendredi 28 janvier 2022 , mis à jour le vendredi 28 janvier 2022

Extraits :

I. Rappel des faits

1. La Défenseure des droits a été saisie le 27 juillet dernier de la situation du mineur X, de nationalité malienne, né le 15 février 2005 à Yaguiné, au Mali, se déclarant mineur et isolé sur le territoire français.

2. Des éléments transmis, il ressort que X, muni d’un extrait d’acte de naissance, du volet n° 3 d’extrait d’acte de naissance et d’un extrait conforme de jugement supplétif d’acte de naissance, s’est déclaré mineur non accompagné auprès des services habilités du conseil départemental de B et a sollicité à ce titre une prise en charge à l’aide sociale à l’enfance. Le 22 avril 2021, Monsieur X a bénéficié d’un accueil provisoire d’urgence. Le 27 avril 2021, Monsieur X a été orienté vers la préfecture de B dans le cadre de la procédure AEM (appui à l’évaluation de minorité) aux fins de procéder au relevé de données biométriques puis a bénéficié d’un entretien d’évaluation de minorité et d’isolement le 5 mai 2021.

3. Le 7 mai 2021, une décision du président du conseil départemental de fin de prise en charge lui est notifiée et ainsi motivée : « Vous (…) présentez des documents d’état civil. En effet, votre demande de protection liée à la qualité de mineur nécessite que vous puissiez apporter la preuve de la minorité. Le parfait état des documents produits datant de 2008 et 2009 apparait surprenant. (…) Votre récit demeure évasif et vous n’êtes pas en mesure d’étayer votre histoire ni votre parcours migratoire, concluant le plus souvent par « je ne sais pas » Vous n’apportez aucun repère temporel à votre récit (…) Votre attitude désinvolte et amusée des réponses que vous apportez lors de votre entretien questionne. Votre posture et la façon de vous exprimer laissent penser que vous êtes un adulte ».

4. Monsieur X a saisi le juge des enfants de A le 14 juin 2021. Une audience s’est tenue le 30 juin 2021. Lors de celle-ci, Monsieur X a remis au juge les documents d’état civil originaux susmentionnés et le juge des enfants a questionné Monsieur X sur son consentement à se soumettre à une expertise médicale d’âge osseux, lui expliquant qu’il s’agissait d’une radiographie du poignet et de la main et d’un scanner de la clavicule.

5. Une ordonnance d’examen osseux datée du 30 juin 2021 lui est notifiée et ainsi motivée « en l’espèce, les documents d’état civil présentés ne comportent pas d’anomalie manifeste décelable au premier examen. Toutefois, l’âge allégué de 16 ans est peu vraisemblable compte tenu de l’apparence physique de X qui est effectivement davantage celle d’un jeune adulte, ce qui a été relevée par l’unité MNA (…) et par le SEMNA. Par ailleurs son discours ne comporte aucun élément temporel, ce qui pourrait s’expliquer par l’absence complète d’instruction dont il fait état, mais ne permet aucunement de vérifier plus avant la concordance des éléments qu’il allègue. Lors de l’audience, X consent à ce qu’un examen osseux soit réalisé ».

6. En application de l’article 272 du code de procédure civile, Monsieur X a sollicité de la Première présidente de la cour d’appel de A d’être autorisé à relever immédiatement appel de l’ordonnance d’expertise du 30 juin 2021.

7. C’est dans ce cadre que ce dossier est examiné à l’audience fixée le 8 septembre 2021 devant la cour d’appel de A.

(...)

1. Présence de documents d’état civil et d’identité valables et droit à l’identité du mineur et ses composantes

20. L’article 388 du code civil précise en premier lieu que l’expertise médicale d’âge osseux ne peut être ordonnée que si la personne en cause n’a pas de documents d’identité valables, comme l’a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt en date du 11 décembre 201911. Cette première condition posée par le législateur s’inscrit dans le droit à l’identité d’un mineur, droit garanti conventionnellement.

21. L’article 8 de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont l’effet direct a été reconnu par la Cour de cassation12, consacre le droit de l’enfant de préserver son identité. Le Comité des droits de l’enfant a éclairé les composantes de ce droit à l’identité dans ses différentes observations en affirmant à plusieurs reprises que la date de naissance constitue un élément fondamental de l’identité et est protégée à ce titre par l’article 8, concluant « que les États parties sont tenus de respecter le droit de l’enfant de préserver son identité sans le priver d’aucun des éléments qui la constituent ».

22. Le Comité des droits de l’enfant a eu l’occasion de rappeler en outre que la charge de la preuve ne repose pas uniquement sur le mineur. En effet, concernant l’argument de l’Etat espagnol selon lequel l’acte de naissance de l’intéressé ne comportait pas de données biométriques et que les données qui y figuraient ne pouvaient être recoupées avec les renseignements donnés par l’auteur, le Comité a rappelé que « la charge de la preuve n’incombe pas exclusivement à l’auteur de la communication, d’autant plus que l’auteur et l’Etat partie n’ont pas toujours un accès égal aux éléments de preuve et que, très souvent, seul l’Etat partie dispose des informations pertinentes(…) ». Dans une autre affaire, le Comité a noté « (…) qu’en l’espèce, bien que l’auteur ait présenté aux autorités espagnoles une copie de son acte de naissance, l’État partie n’a pas respecté son identité car il a refusé d’accorder toute valeur probante à ce document, sans avoir fait examiner au préalable les informations figurant sur l’acte par les autorités compétentes et sans avoir cherché à vérifier ces informations auprès des autorités du pays d’origine de l’auteur. En conséquence, le Comité conclut que l’État partie a violé l’article 8 de la Convention ».

23. Le droit à l’identité d’un mineur est également garanti conventionnellement par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme, éclairé par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La Cour a ainsi rappelé que « le respect de la vie privée exige que chacun puisse établir les détails de son identité d’être humain ».

24. Il sera en outre rappelé qu’un intérêt d’ordre public s’attache à ce que toute personne vivant habituellement en France, même si elle est née à l’étranger et possède une nationalité étrangère, soit pourvue d’un état civil.

25. L’article 47 du code civil dispose que « tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. »

26. En matière d’état civil, la loi nationale est compétente pour déterminer la forme et le contenu des actes d’état civil18. Par conséquent la forme des actes d’état civil ainsi que le nombre et les catégories de mentions que contiennent ces derniers sont figés par la loi du pays au nom duquel ils sont établis. Il incombe au juge français qui reconnait applicable un droit étranger d’en rechercher, soit d’office soit à la demande d’une partie qui l’invoque, la teneur, avec le concours des parties et personnellement s’il y a lieu et de donner à la question litigieuse une solution conforme au droit positif étranger.

27. La Cour de cassation a rappelé à cet égard l’impossibilité pour le juge de conclure à l’absence d’authenticité d’un acte sans préciser la nature exacte des anomalies affectant ce dernier.

28. Il existe ainsi une présomption d’authenticité des actes d’état civil étrangers produits, même si cette présomption n’est pas irréfragable. En cas de doute sur l’authenticité ou l’exactitude des documents produits, l’article 1 du décret n° 2015-1740 du 24 décembre 2015 relatif aux modalités de vérification d’un acte de l’état civil étranger prévoit que « … l’autorité administrative saisie d’une demande d’établissement ou de délivrance d’un acte ou de titre procède ou fait procéder, en application de l’article 47 du code civil, aux vérifications utiles auprès de l’autorité étrangère compétente, le silence gardé pendant huit mois vaut décision de rejet. Dans le délai prévu à l’article L. 231-4 du code des relations entre le public et l’administration, l’autorité administrative informe par tout moyen l’intéressé de l’engagement de ces vérifications ».

29. La présomption de validité des actes d’état civil étrangers ne peut cependant être renversée qu’en rapportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité de l’acte en question. « La possibilité de contredire la présomption d’authenticité des actes de l’état civil doit s’opérer à travers la mise en oeuvre d’une procédure légale de vérification, avec les garanties qui s’y rattachent », notamment celle pour la personne qui produit l’acte d’état civil d’apporter tout élément complémentaire à l’appui de ses déclarations. C’est ce qu’a rappelé, en ces termes, la chambre spéciale des mineurs de la cour d’appel d’Amiens dans un arrêt du 5 février 201521.

30. La circulaire du 19 avril 2017 relative à la protection judiciaire de l’enfant22 précise d’ailleurs, concernant le recours aux examens d’âge osseux, que « le terme « valable » fait référence à l’authenticité du document, plus qu’à sa validité temporelle. Il s’agit là d’exclure les faux documents d’identité ou ceux dont l’authenticité est douteuse. L’existence d’un document d’identité valable est une condition objective. L’absence de photographie sur le document, dès lors qu’elle correspond aux règles applicables dans le pays concerné, ne peut donc être retenue pour refuser la validité d’un document » et souligne que la jurisprudence a pu retenir par exemple au titre des documents d’identité valables un acte de naissance, un jugement supplétif.

31. En l’espèce, Monsieur X présente à l’appui de sa demande de protection un extrait conforme de jugement supplétif d’acte de naissance, le volet n° 3 de l’extrait d’acte de naissance ainsi qu’un extrait d’acte de naissance. L’ordonnance d’examen osseux du 30 juin 2021 précise que « les documents d’état civil présentés ne comportent pas d’anomalie manifeste décelable au simple examen ». Aucune analyse documentaire n’a été portée à la connaissance du Défenseur des droits. L’authenticité des actes présentés par Monsieur X n’a donc pas été écartée. L’absence de documents d’identité valables n’est donc pas caractérisée.

2. La condition de l’âge non vraisemblable n’a pas été dûment caractérisée par le premier juge au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant

32. L’article 388 du code civil pose en deuxième condition un âge allégué non vraisemblable. La Cour de cassation a rappelé qu’il incombe au juge de rechercher si l’âge allégué par l’intéressé n’est pas vraisemblable.

33. La circulaire du 19 avril 2017 relative à la protection judiciaire de l’enfant24 indique « L’appréciation du caractère vraisemblable de l’âge allégué sera nécessairement subjective et réalisée in concreto, mais devra être motivée pour fonder la décision de recourir aux examens radiologiques osseux. »

34. Il convient tout d’abord de souligner le caractère éminemment subjectif de l’appréciation physique. Dans une décision rendue le 4 mars 2014, la cour d’appel de Douai relevait que « l’apparence physique est un élément subjectif qui ne peut servir à justifier ni de la minorité ni de la majorité ». Dans un arrêt du 02 avril 201926, la cour d’appel de Rouen rappelait également que l’apparence physique ne pouvait suffire à disjoindre le faisceau d’indices étayé notamment par un acte de naissance dont l’authenticité n’était pas discutée.

35. Il sera relevé ensuite le caractère inopérant de l’incohérence du récit. D’une part, des incohérences dans le récit migratoire et autobiographique ne sauraient suffire à écarter les documents d’état civil et d’identité dont l’authenticité n’est pas contestée ; d’autre part ce critère ne figure pas parmi les conditions énoncées par l’article 388 du code civil. La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt du 04 juillet 2017, rappelait ainsi que « les incohérences relevées dans le récit du mineur ou l’appréciation de son âge physique par [l’organisme évaluateur] ne sont pas suffisants pour mettre à néant les documents d’identification présentés par [le mineur] ». La cour d’appel de Rouen, dans un arrêt du 16 janvier 2018, a rappelé que le mineur produisant des documents d’état civil, établis notamment sur support authentique ainsi que le relevait la PAF, prouvait bien « la date de naissance dont il se prévaut puisque les considérations bien trop subjectives de l’aide sociale à l’enfance sur son apparence ou sur les inévitables imperfections de son récit autobiographique n’entament en rien la force démonstrative de ce faisceau ».

36. Enfin, la cour d’appel de Toulouse, chambre de la famille, dans un arrêt du 31 mars 2020 n° 43 a estimé que « la constatation de sa maturité, de son autonomie dans la vie en collectivité qui peuvent également être la conséquence de ses conditions de vie antérieures ou l’appréciation éminemment subjective de son apparence physique, n’ont pas en soi une incidence directe sur l’âge du sujet ».

37. En l’espèce, l’ordonnance d’expertise mentionne « l’âge allégué de 16 ans est peu vraisemblable compte tenu de l’apparence physique de X qui est effectivement davantage celle d’un jeune adulte, ce qui a été relevé par l’unité MNA qui l’a pris en charge et par le SEMNA. Par ailleurs son discours ne comporte aucun élément temporel, ce qui pourrait s’expliquer par l’absence complète d’instruction dont il fait état, mais ne permet aucunement de vérifier plus avant la concordance des éléments qu’il allègue ».

38. En retenant cette motivation qui ne caractérise pas l’âge non vraisemblable, l’autorité judiciaire n’a pas donné plein effet aux garanties posées par l’article 388 du code civil.

3. Les conditions du recueil du consentement du mineur

39. La décision du 21 mars 2019 du Conseil constitutionnel précitée affirme qu’il résulte des 10e et 11e alinéas du préambule de la Constitution de 1946, une exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant. Or, l’intérêt supérieur de l’enfant et son droit à participer à toute décision le concernant sont intrinsèquement liés et ne peuvent se concevoir séparément.

40. Ce droit à être entendu et à participer à toute décision le concernant est garanti au mineur par l’article 12 de la Convention internationale des droits de l’enfant, dont l’applicabilité directe a été reconnue tant par la Cour de cassation que par le Conseil d’Etat.

41. Tel que cela a été souligné par le Conseil constitutionnel32 ainsi que par la Cour de cassation, si et seulement si les deux conditions cumulatives (supra) sont réunies, l’expertise médicale d’âge osseux ne peut intervenir qu’une fois le consentement éclairé de l’intéressé recueilli.

42. Afin d’être en mesure de donner son consentement de manière éclairée, l’intérêt supérieur de l’enfant commande que le mineur ait accès, d’une manière adaptée et compréhensible, à une information juridique précise et complète sur l’ensemble des conditions requises selon l’article 388 du code civil pour recourir aux expertises médicales d’âge osseux, les garanties posées par l’article précité et éclairées par la décision du Conseil constitutionnel, ainsi que sur son droit de refuser de se soumettre aux expertises médicales d’âge osseux.

43. Ainsi que l’a rappelé le Conseil constitutionnel, l’autorité judiciaire doit donner plein effet aux garanties posées à l’article 388 du code civil et notamment celle du recueil du consentement éclairé de l’intéressé.

44. En l’espèce, Monsieur X et son conseil ont indiqué au Défenseur des droits que lors de l’audience, seule l’explication du procédé médical (qui consiste en une radiographie du poignet et de la main et d’un scanner de la clavicule) a été délivrée à Monsieur X.

45. Les conditions du recueil d’un consentement éclairé ne semblent pas réunies au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant et des exigences posées par l’article 388 du code civil.

46. Telles sont les observations je souhaite soumettre à l’appréciation de la cour d’appel de A."