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Un poème de Victor Hugo dans la mémoire d’enfants migrants

Publié le 18-01-2016

Source : http://www.la-croix.com

Auteur : Paula Pinto Gomes

«  REPORTAGE Arrivés d’Afghanistan, d’Ukraine ou de Guinée, des mineurs ayant émigré seuls ou avec un parent sont pris en charge dans des établissements scolaires, comme au lycée professionnel Dorian, à Paris

Ils attendent dans le couloir l’arrivée de l’enseignante. Certains discutent, d’autres regardent leur portable ou écoutent de la musique. À leurs tenues – jeans, survêtements, baskets, doudounes –, rien ne les distingue des autres élèves du lycée professionnel Dorian, dans le 11e arrondissement de Paris. Il faut les accompagner en cours pour comprendre qu’ils ne font pas partie d’une classe comme les autres. D’ailleurs, l’éducation nationale ne parle pas de classe, dans leur cas, mais d’unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPE2A), c’est-à-dire ne parlant pas français.

« Ils se battent pour prendre la parole »

Venus des quatre coins du monde, 22 adolescents, officiellement âgés de 16 à 18 ans, apprennent la langue de Molière avec une motivation manifeste. Ce matin de janvier, ils planchent sur le passé composé. Chacun lit une phrase et doit trouver le verbe au temps étudié. Les doigts se lèvent. Tous veulent participer. « C’est une classe très dynamique, ils se battent pour prendre la parole », se réjouit l’enseignante, Vanda Derkac.

Haroon, 18 ans, en France depuis quatre mois, est scolarisé dans cet établissement depuis novembre. Il parle encore avec difficulté, mais son implication est citée en exemple par la professeur. « Il est en mode accéléré, il progresse vraiment très vite, dit-elle. Lorsqu’on est découragés, on fait parler Haroon et tout redémarre ! » Le jeune homme, aux yeux et aux cheveux assortis à sa doudoune noire, qu’il garde fermée jusqu’au cou, est devenu une mascotte malgré lui. Sérieux et appliqué en classe, il semble soudain inquiet et craintif lorsqu’il raconte son parcours.

« L’objectif est de les intégrer dans une classe »

Venu d’Afghanistan rejoindre sa mère, avec sa sœur et son cousin, Mustafa (également dans la classe), dont il s’occupait là-bas, le jeune homme a fui un pays en guerre contre les talibans après la mort de son père dans un accident de voiture. Après des difficultés administratives au Pakistan, où il a été retenu, le jeune homme est arrivé à Paris où il a été pris en charge par le Centre académique pour la scolarisation des enfants allophones nouvellement arrivés et des enfants issus de familles itinérantes et de voyageurs (Casnav).

« Dans cette structure, nous évaluons les élèves du secondaire en français et en mathématiques, avant de les orienter vers le collège ou le lycée, explique Vanda Derkac, également membre de l’équipe d’évaluation. L’objectif est de les intégrer dans une classe. Mais en lycée professionnel, c’est un peu compliqué parce que les élèves suivent déjà un parcours spécifique. » Les lycéens d’UPE2A ne se mélangent donc pas beaucoup aux autres adolescents de l’établissement, mais entre eux, le courant passe bien, malgré « les différences culturelles ».

Assis côte à côte, Oleksii, 16 ans, et Lev­ko, un peu plus de 18 ans, deux Ukrainiens, suivent, eux aussi, le cours avec attention. Le plus jeune est arrivé en France avec sa mère en février 2015, mais n’a pas pu être scolarisé avant septembre, « faute de place ». Déjà bien à l’aise à l’oral, il envisage désormais de passer un baccalauréat professionnel. « En Ukraine, c’était compliqué à cause de la guerre, il n’y avait pas de perspectives », raconte-t-il, avec un sourire affable.

Levko, lui, semble quelque peu tendu. Plus âgé que les autres, ce grand gaillard en long manteau de cuir manie l’ironie, autant que son niveau de langue le lui permet, pour raconter un parcours chaotique. Arrivé seul il y a deux ans, le jeune homme aux traits slaves a été pris en charge par l’association Aurore grâce à laquelle il a pu être scolarisé, malgré son âge. « Levko est inscrit dans la classe à titre exceptionnel car, au-delà de 18 ans, il n’y a plus d’obligation de scolarité »,explique Vanda Derkac, enseignante dans ces unités depuis 2002.

« Je suis triste tout le temps, même si ça va mieux aujourd’hui, confie le jeune homme à la fin du cours. Parfois j’ai envie de mourir », ajoute-il en baissant les yeux. Remotivé par l’enseignante, il finit tout de même par sourire et par évoquer ses rêves qui le conduisent au Canada ou en Australie. Un peu perdu, il dit aussi vouloir retourner dans son pays… pour des vacances.

[...]

Tous semblent heureux d’apprendre la langue de Victor Hugo

Outre le français, ces jeunes suivent les enseignements en mathématiques, anglais, histoire-géographie, sport et dessin avec les autres classes lorsque cela est possible. Leur implication et leur dynamisme sont de puissants moteurs pour l’enseignante qui trouve ces cours « gratifiants et les élèves très attachants ». Mis à part deux jeunes filles chinoises qui « posent problème » parce qu’elles viennent en classe « de manière épisodique », tous les élèves semblent heureux d’apprendre la langue de Victor Hugo dont ils connaissent déjà un poème : Vanda Derkac a choisi d’illustrer le futur avec l’un des célèbres textes des Contemplations, mis en scène sous forme de BD pour le rendre plus accessible.

« Demain, dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m’attends. J’irai par la forêt, j’irai par la montagne. Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps. » Étudié il y a quelques jours, on ne sait si le poème leur a plu, mais certains sont déjà incollables sur les dates du poète. »

Voir en ligne : http://www.la-croix.com/France/Un-p...