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A Calais, les associations sonnent l’alarme sur la situation des mineurs isolés

Publié le 17-02-2016

Source : www.lemonde.fr

Auteur : Maryline Baumard

« Lundi 15 février au soir, les larmes ont encore coulé sur le visage de Hanna. L’adolescente irakienne a pris conscience que le moment où elle retrouverait sa mère s’éloignait une nouvelle fois, sauf à franchir la Manche, cachée dans un camion. Difficile de chasser cette obsession de sa tête et de celle de son frère Ahmed (les prénoms ont été modifiés), tant rejoindre la Grande-Bretagne par la voie légale est un parcours du combattant pour les deux jeunes Irakiens bloqués à Calais.

Hanna (13 ans) et Ahmed (17 ans) ont traversé l’Europe avec la seule motivation de rejoindre leur mère. Lundi, ils ont senti Birmingham s’éloigner encore quand elle leur a annoncé par téléphone l’éventualité d’un test ADN pour l’obtention des laissez-passer. Les enfants n’en peuvent plus de savoir leur mère à la fois si proche et inaccessible. « On est à l’arrêt », répète Hanna, anéantie.

Le règlement de Dublin III, qui régit la demande d’asile en Europe, précise pourtant que « si le demandeur d’asile est un mineur non accompagné, l’Etat responsable de sa demande est celui dans lequel un membre de la famille ou les frères et sœurs du mineur non accompagné ou un proche se trouvent ». La Grande-Bretagne devrait donc « prendre en charge les mineurs qui introduisent une demande en France en ayant un père, une mère, un frère ou un oncle dans l’île », insiste Marie-Charlotte Fabié, l’avocate de Hanna et Ahmed. Ce qui est le cas de la majorité des mineurs isolés de Calais.

Pour la sœur et le frère, la procédure s’allonge car la mère n’a pas déclaré ses enfants dans son dossier de réfugié. La France leur avait déjà fait perdre beaucoup de temps, le ministère de l’intérieur français semblant avoir découvert cet article 8 du règlement de Dublin III à l’automne 2015. « Aucune demande d’admission de mineur isolé n’avait été faite depuis cinq ans ; avant celles de Hanna, Ahmed et trois autres adolescents de la “jungle”, ces derniers jours », rappelle Lou-Salomé Sorlin, l’avocate qui a assigné l’Etat en référé le 3 février sur ce manquement, avec Marie-Charlotte Fabié, le référé-liberté étant appuyé par Médecins du monde et le Secours catholique.

La préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, explique cette lacune par « une arrivée récente des mineurs à Calais, surtout après l’été ». Quoi qu’il en soit, le phénomène est aujourd’hui massif : « plus de 400 mineurs vivraient dans la partie sud de la “jungle”, selon un comptage opéré mardi dans chaque abri de cette zone que la préfète demande d’évacuer pour la fin de la semaine », plaide Marianne Humbersot, de la permanence juridique de la « jungle ». « Plus de la moitié sont des mineurs isolés », ajoute l’avocate Orsane Broisin, qui en a vu passer « 150 en consultations juridiques depuis le 11 janvier. »

Grâce au collectif d’avocats bénévoles, une bonne partie de ces adolescents devaient déposer mercredi une lettre chez le juge pour enfants « pour demander une prise en charge immédiate par l’aide sociale à l’enfance, puisque l’éviction du bidonville où ils résident crée pour eux un état de péril imminent qui nécessite cette protection », rappelle Orsane Broisin. L’Etat devrait d’ailleurs les protéger depuis le 23 novembre 2015, puisque le Conseil d’Etat avait requis sous huitaine leur prise en charge.

En parallèle, toujours sous l’égide de la permanence juridique, aidée par le Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), plusieurs mineurs dont Samiula, un Afghan de 14 ans, contesteront le même jour leur expulsion devant le juge pour enfants et demanderont eux aussi à rejoindre leur famille en Grande-Bretagne. Mercredi midi devait être aussi le moment où Liz Clegg, une bénévole britannique qui a ouvert un lieu pour les femmes, invite symboliquement tous les mineurs sous le dôme qui sert de salle de cinéma. Parce qu’« il faut donner un coup de projecteur sur ceux qui seront les premières victimes d’une éviction du lieu. Si on rase le bidonville, ils vont s’évaporer dans la nature, s’inquiète Maya Konforti, de l’Auberge des migrants. Le système français a échoué avec eux », insiste-t-elle.

Les faits lui donnent raison : « En 2015, nous avons accueilli 1 400 mineurs isolés dans nos structures des environs de Calais, mais n’en avons stabilisé que 90 », regrette Pierre Henry, le directeur de France Terre d’asile. Beaucoup s’y reposent avant de fuguer pour passer vite en Grande-Bretagne. Hannah et Ahmed ont refusé cette solution leur imposant un foyer différent. Ne les imaginant pas repartir sous la tente, Dominique Mégard et Nadine Rubanbleu, un couple de Calaisiens retraités, les ont alors accueillis chez eux, où ils résident depuis fin novembre.

Les bijoux de la grand-mère

« Hanna et Ahmed ont grandi à Mossoul. Quand leur père est mort dans un attentat, ils se sont réfugiés en Turquie avec leur mère et leur grand-mère paternelle », raconte Nadine Rubanbleu. Puis la mère est partie vers la Grande-Bretagne avec le plus jeune des enfants, et la grand-mère est décédée au printemps 2015. Alors Ahmed a décidé d’emmener sa petite sœur en Grande-Bretagne. « Ils ont vendu les bijoux de la grand-mère pour payer les passeurs, et se sont lancés au début de l’été. Ils ont été expulsés de Bulgarie puis ont avancé avant de se retrouver dans la “jungle” début septembre 2015, à courir après les camions pour rejoindre leur mère », ajoute M. Mégard.

Marie-Charlotte Fabié et Lou-Salomé Sorlin, deux avocates bénévoles, convainquent les enfants qu’ils ont droit à un laissez-passer mais que pour cela ils doivent demander l’asile en France. Une demande que la sous-préfecture de Calais refuse d’enregistrer jusqu’à la veille de l’audience au tribunal administratif de Lille, le 3 février. Là, la sous-préfecture enregistre en urgence les deux demandes et va même chercher en pleine nuit un autre des cinq mineurs plaignants laissé dans le campement, pour l’héberger en foyer et éviter une nouvelle condamnation de l’Etat, après celle du Conseil d’Etat du 23 novembre.

La condamnation a effectivement été évitée. Mais le juge des référés a reconnu, dans son ordonnance du 11 février 2016, « la carence de l’administration, qui a pour conséquence de rendre impossible la mise en œuvre des demandes d’admission légale au Royaume-Uni pour tous les mineurs y ayant des proches ». Il déplore que « les services de l’Etat aient attendu d’être saisis d’une requête en référé-liberté pour prendre contact avec ces mineurs et enregistrer leur demande de protection internationale ». Les procédures engagées mercredi vont dans le même sens mais s’appuient sur d’autres leviers juridiques. L’idée est que le droit s’applique aussi en France aux mineurs isolés de Calais. »

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