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Crise des migrants : en Suède, un système d’asile à bout de souffle

Publié le 29-02-2016

Source : http://www.lemonde.fr

Auteur : Jean-Baptiste Chastand

« C’est un lieu étonnant, où règnent bonne humeur et esprit de liberté. En plein cœur de Malmö, le Mötesplats Otto (le « lieu de rencontre d’Otto ») abrite tous les après­midi des enfants du monde entier, qui ont tous pour point commun d’avoir demandé l’asile en Suède. Dans ce grand local commercial, ils peuvent venir faire leurs devoirs aidés par des bénévoles, jouer aux cartes ou au billard. Ou tout simplement discuter sur les canapés. Adultes et enfants y entrent et s’y installent à leur guise, pour quelques minutes ou des heures.

« Je viens ici quasiment tous les soirs voir mes amis », explique Hossein Ara, un Afghan de 19 ans, arrivé seul en Suède « le 2 février 2013 », après trois mois de voyage depuis Téhéran, où sa famille était réfugiée depuis son enfance. Il s’improvise traducteur pour les réfugiés arrivés plus récemment.

Une carrure de crevette

Le plus jeune a 14 ans et la carrure d’une crevette. Il agite frénétiquement ses jambes en parlant de son voyage. Comme beaucoup d’enfants afghans arrivés en Suède, ce sont ses parents qui ont payé son voyage à des passeurs qui lui ont fait traverser la Turquie, la Grèce, les Balkans puis l’Allemagne. Il lui a fallu quarante­ cinq jours pour rallier la Suède depuis Ispahan, en Iran. Arrivé il y a seulement deux mois, il a été placé dans une famille d’Iraniens qui s’occupe bien de lui, mais où il s’ennuie un peu. « Je ne vais pas encore à l’école », regrette­t­il.
Si les garçons sont très majoritaires et presque tous afghans, des filles – essentiellement somaliennes – fréquentent aussi le lieu. « Pourquoi la Suède ? Mais parce que tout le monde m’a dit que c’était un bon pays, même si je ne savais pas où c’était sur la carte », rigole Hamdi Abanour, une adolescente de 17 ans qui vient de participer à un tournoi de bowling avec la section féminine.

« Bien sûr, de temps en temps, je me sens seule », explique la jeune fille, dont le père est mort et le reste de la famille toujours en Somalie. « Mais ici, c’est 1 000 fois mieux qu’en Somalie pour les femmes. Je ne dois pas rester à la maison. C’est la liberté », résume­t­elle avec un grand sourire, sous son voile coloré typique de l’Afrique de l’Est.

Le Mötesplats Otto, financé par la mairie, mais géré en autonomie par une association d’enfants réfugiés, est un symbole de l’accueil ouvert et généreux que la Suède a réservé aux 35 000 réfugiés mineurs arrivés seuls sur son territoire en 2015, dont 22 000 Afghans. Avec l’Allemagne, le pays est la première destination de ces enfants.

A quelques encablures du Danemark, Malmö est devenue leur principale porte d’entrée. « Cet automne, on a reçu 14 000 enfants seuls en trois mois », se souvient Carina Nilsson, l’adjointe aux réfugiés (social­démocrate), qui en a encore des sueurs froides. Certains avaient à peine 6 ans. La mairie a dû organiser l’hébergement et les soins de tous ces enfants, tout en accueillant des milliers d’autres réfugiés. Normalement, les mineurs ne devaient rester qu’une semaine à Malmö avant d’être répartis ailleurs en Suède.

« Des milliers d’enfants ont disparu dans la nature »

Mais à l’automne le système a complètement implosé. « En cinq mois, au moins 2 000 enfants sont passés par ici, jour et nuit », explique Torbjörn Wiik, un géant aux dreadlocks abondantes qui gère un centre d’accueil pour Aleris, une entreprise privée, comme souvent dans le secteur social en Suède. Le centre a dû faire dormir les enfants sur des matelas à même le sol, certains pendant plusieurs semaines. Des communes désignées par l’Office de l’immigration ont ensuite parfois refusé de les recevoir.

La ville de Malmö a dû aller en justice et emmener les enfants jusque devant le seuil des mairies réfractaires. Une cacophonie dénoncée par Fredrik Malmberg, le Défenseur des enfants en Suède : « Des milliers d’enfants ont disparu dans la nature. On suppose et on espère qu’ils sont allés dans d’autres villes, mais il y a toujours un risque qu’ils aient été victimes de trafiquants. »

Depuis que la Suède a rétabli les contrôles aux frontières, le 4 janvier, le flux s’est tari et Malmö souffle un peu. La partie « camp de transit » du centre Aleris a été transformée en centre plus durable. Sur les deux étages d’un immeuble anonyme situé au cœur du quartier déshérité de Rosengard, ils ne sont plus que 76 enfants, de 2 à 17 ans, encadrés par 62 adultes. Aleris touche 1 500 couronnes (160 euros) par enfant et par nuit, de quoi financer l’hébergement, nourrir et occuper ces mineurs dans de très bonnes conditions. Le but est d’autonomiser au maximum ces jeunes, qui peuvent sortir librement, jouer sur des ordinateurs ou des tablettes à leur disposition, apprendre à cuisiner avec leurs éducateurs…

[…]

« J’ai eu tellement peur »

« Mais, moi, je ne sors quasiment jamais, j’ai peur de me perdre », explique Najah Osma, une discrète Somalienne de 15 ans, qui partage sa chambre avec deux filles de la même nationalité. Elles ont chacune un petit lit, peuvent profiter d’un salon avec une télévision et d’une grande salle de bain. Pas de décoration et peu d’affaires. Lorsqu’il a fallu traverser la mer Egée pour rejoindre la Grèce, « je n’ai pu prendre que lui », raconte Najah en montrant son singe en peluche. Depuis qu’elle est arrivée, début janvier, elle a demandé qu’on lui apprenne à nager. « J’ai eu tellement peur. Si j’ai besoin de repartir, il faut que je sache nager. »

Sa copine Ayaan Abdiramaan, 12 ans, a traversé la Méditerranée depuis la Libye vers l’Italie. « Si j’en parle, je pleure. J’ai eu tellement peur de mourir », explique­t­elle. Son séjour à Misrata, avant de pouvoir embarquer, a été terrible. « On m’a mise en prison pendant six mois. On avait un seul repas par jour. Un jour, un homme a donné de l’argent à la police et est venu me prendre. Il m’a forcée à travailler chez lui pendant quatre mois. Il me battait », raconte­t­elle dans un anglais hésitant.

« Dès qu’on leur parle en face à face, ces enfants pleurent. Il faut essayer de les aider et essayer de rentrer le soir chez soi sans trop y penser », souffle une assistante sociale. Comment la Suède va gérer ces milliers d’enfants traumatisés ? Le personnel qualifié manque de manière criante : une employée a été poignardée le 25 janvier dans un foyer par un réfugié de 15 ans. La société qui l’employait la faisait travailler seule la nuit.

Les écoles de Malmö débordent
Deux mois après leur arrivée, Ayaan et Najah n’ont toujours pas de tuteur légal. Il leur est donc impossible d’engager les démarches pour déposer une demande d’asile ou s’inscrire à l’école. De toute façon, les écoles de Malmö débordent. La mairie s’attend à 8 400 élèves supplémentaires d’ici à 2019. Pour ne pas laisser ces enfants inactifs, le centre Aleris a décidé d’improviser des cours, confiés à un jeune Suédois d’origine afghane, Hasib Stanekzai.
« Il n’a pas le diplôme requis, mais s’est montré très volontaire cet automne pour aider les migrants », explique Kristina Rosen, une des éducatrices. Ce matin­là, il essaye d’enseigner des bases de suédois et les valeurs du pays. Hormis les trois copines somaliennes, le reste des enfants sont des garçons afghans. « Il y a trop de garçons et le cours est en farsi », soupire Najah.
Le cours déclenche parfois de vives discussions. « J’ai apprécié la partie sur la liberté de religion et d’expression parce qu’en Somalie, on finit en prison si on dit ce qu’on pense, explique Najah. En revanche, je ne savais pas qu’ici un homme pouvait se marier avec un homme… » « Les droits des homosexuels, c’est complètement nouveau et tabou », admet le professeur improvisé, qui se demande encore comment il va pouvoir expliquer les relations entre garçons et filles sans choquer. « Ce sujet, on y pense depuis longtemps, et c’est devenu encore plus pertinent depuis les événements de Cologne. Mais c’est sensible, car on ne veut pas stigmatiser », explique Kristina Rosen.

Au centre de Rosengard comme ailleurs, les éducateurs ont vu arriver des adolescentes avec des bébés ou parfois déjà mariées. Les services sociaux de Malmö ont autorisé 59 filles à rester avec leur mari majeur alors que la Suède interdit officiellement le mariage des mineurs. Un sujet qui a fait polémique dans un pays qui promeut une « politique étrangère féministe ».
« Bien sûr, il faut lutter contre le mariage des enfants partout dans le monde, mais en pratique, c’est une autre situation quand vous les avez en face. Si les filles disent que c’est leur mari et qu’elles veulent rester avec lui, on aurait dû faire quoi ? Envoyer la police pour les séparer ? Les enfermer ? », proteste Carina Nilsson, l’adjointe au maire. Impossible de savoir ce que sont devenues ces jeunes mariées : elles ont été réparties dans d’autres municipalités et ont disparu des radars.

Le difficile pari de l’intégration
Malmö devra aussi réussir le pari de l’intégration. Rosengard est loin des banlieues françaises, mais la population d’origine étrangère est déjà largement majoritaire et des émeutes y ont eu lieu en 2008. « J’ai des élèves qui ne sont jamais allés dans le centre de Malmö », pourtant distant de 4 km, raconte une professeure d’un collège du quartier. Elle surveille, un peu inquiète, l’évolution de ces enfants dans des classes qui manquent déjà de mixité : « J’ai vu deux filles non voilées arriver le premier jour. Le lendemain, elles avaient mis le voile. Probablement sous la pression des autres. »
Loin de Rosegard, la Villa Vanga est située dans un quartier chic, à quelques encablures de l’ancienne villa de Zlatan Ibrahimovic, un enfant de Malmö issu d’une famille de réfugiés de la guerre des Balkans. Chambres individuelles, billard, baby­foot, salle de musculation, jardin, Mac Book Pro fournis par l’école : tout cela en face de la mer. « Il n’y a qu’en Suède que l’on peut voir cela », sourit un employé de ce foyer municipal.
Yosef Mohamedi, 18 ans, y a passé trois ans, depuis son arrivée en Suède. « Ici, mon rêve est devenu réalité, même si j’ai beaucoup pleuré d’être loin de ma mère au début », dit­il dans un suédois presque parfait. La veille, Yosef a pu emménager dans un petit studio payé par la ville, un luxe dans un pays où la crise du logement sévit. Il reçoit en plus 4 500 couronnes (480 euros) par mois pour ses dépenses.
L’avenir lui sourit : il espère bien devenir rapidement assistant scolaire et travailler. Mais il s’inquiète beaucoup pour le sort de son frère, 16 ans, qui l’a rejoint cet automne à la Villa Vanga après avoir pris lui aussi la route de l’exil à la demande de leur mère. « Je sais que cela va être beaucoup plus difficile pour lui avec tous les migrants qui sont arrivés en 2015, j’ai très peur qu’il soit refusé. »
Alors que la quasi­ totalité des mineurs arrivés seuls obtenaient jusqu’ici l’asile en Suède, le gouvernement a annoncé en novembre 2015 un durcissement du droit d’asile. Tous les éducateurs craignent par avance ces refus. Par expérience, ils savent que la plupart des enfants préfèrent se mutiler ou disparaître dans la nature que de quitter l’eldorado suédois. »

Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/europe/articl...