Au Jardin des Olieux à Lille : les tentes se gonflent, les estomacs des migrants se creusent

Autant débuter par la faim. 19 h. Ibrahim passe avec un gobelet de jus d’orange à la main et un bout de pain en bouche. Il rejoint une dizaine de ses amis parqués depuis des mois au jardin des Olieux. Les plus courageux, ou les mieux informés, tentent une sortie vers les Restos du cœur. « On n’a rien à manger ce soir ».
Samira Arif pointe le bout de son nez. Catastrophée. « Tu as maigri, toi ». Elle est l’une de ces riverain(e)s à s’inquiéter encore du sort de ces jeunes réfugiés. D’autres semblent à la peine. Usés par les petites vagues qui déferlent : Africains, Pakistanais et Bangladais.

9 h du matin. Lamine pointe le bout du nez. Direction le foyer Ozanam. Sa journée est balisée. Du moins, le croit-il. À son arrivée, les douze douches sont prises d’assaut. Reste un lavabo. Le Guinéen est sur les dents. Si plus de 80 % de ces jeunes gens voient leur statut de mineur reconnu lui navigue entre deux eaux. Un examen osseux (contesté par certains juges) le signale majeur. Depuis cette semaine passée au centre de rétention de Lesquin, il craint le pire. Petits coups d’œil furtifs. Guinée, Mali, Algérie, Maroc, Espagne, France… Lille. La traversée entre le Maroc et l’Espagne (Melilla) s’est faite à bord d’un petit zodiac pour 700 euros. Lamine tire sur ses poches vides. Son seul désir est « d’aller à l’école ». Ce qu’il n’a jamais réussi à faire. Il fait les cent pas sur le trottoir.

Deux heures plus tard, la distribution de sandwichs démarre au foyer Ozanam. Un groupe d’une quarantaine de personnes fait la queue. « Le week-end, on n’a rien ». Lamine récupère son petit paquet : pain au thon, banane et bouteille d’eau. Quelques langues se délient. Lâchés par un passeur ou dépouillés par « une connaissance de la famille », ces mineurs ont vu leur périple virer à la galère. Depuis, ils rament. Dorment dehors. Se passent le mot. Arrivent aux Olieux. Où les tentes gonflent et les estomacs se creusent. « On se serre les coudes ». Au propre comme au figuré. Interrogé, Housmane se met à bégayer. Ce qu’il a subi n’est pas exprimable. Il se rêve soudeur en attendant de pouvoir joindre les deux bouts. Ce mercredi soir, l’impression de solitude vaut un direct au cœur. Aussi violent qu’un dos qui se tourne.

Les Olieux : un jardin d’enfants ? Oui !

« La trêve hivernale réglera la question ». Les propos d’Estelle Rodes, adjointe PS et présidente du conseil de quartier de Moulins, reviennent avec la force d’un boomerang. Réglé depuis juin 2015 ? Pas vraiment. Quelques militants craignent depuis de voir la mairie pousser à l’évacuation. « À mon niveau d’information, ce n’est pas au programme. Et le carré où se trouvent les mineurs n’a pas vocation à être évacué au titre des travaux en cours », glisse Lise Daleux. L’adjointe EELV se félicite, au passage, de l’engagement citoyen « exceptionnel qui entoure ces mineurs », au moment où d’autres évoquent des signes d’essoufflement.