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Ces mineurs qui s’expatrient seuls

Publié le 26-04-2016

Source : www.ledevoir.com
Auteur : Sarah R. Champagne

« L’odeur de la cantine est réconfortante, pareille à celle de milliers d’autres. Plus d’une cinquantaine de migrants mineurs viennent chaque jour s’asseoir dans ce réfectoire qui donne sur la place Saint-Job et son petit cube à frites, au sud du centre de Bruxelles.

Ils ont entre 14 et 18 ans et sont arrivés seuls en Belgique, sans leurs parents. La majorité ont en fait parcouru par la terre les quelque 7000 kilomètres qui séparent le « coeur de l’Europe » de l’Afghanistan, avant d’aboutir dans ce centre de la Croix-Rouge et d’entamer un processus de demande d’asile.

Comme ses camarades, Abdul Qayoon* est probablement arrivé avec « des chaussures dans un état pas possible », comme l’indique Chloé Michelet, la directrice adjointe du centre de ce quartier bruxellois d’Uccle. « Ils arrivent avec un petit sac à dos et les habits qu’ils ont sur le dos », explique-t-elle, sans cacher la fatigue des derniers mois.

Abdul n’a pour l’instant pas le temps de s’attarder aux choses matérielles. Il énumère en une seule phrase tous les pays qu’il a traversés, comme la Bulgarie où il a été refoulé violemment, les montagnes entre l’Iran et la Turquie où il a vu un homme mourir de froid, la mer Égée traversée sur une embarcation de fortune avec 52 compagnons d’infortune. C’est là qu’il s’arrête. « Je pensais mourir. » Les 90 minutes de ce passage lui ont semblé plus longues que les deux mois et demi pour rejoindre l’Europe.

Dans sa bouche, ce voyage n’a rien du spectaculaire ni de l’exploit. « Oui, c’était des moments difficiles. On ne dormait pas, on mangeait peu. Je pense que les gens qui viennent ici ont des problèmes, sinon ils ne viendraient pas », dit le jeune homme de 16 ans. Les talibans ont sommé à plusieurs reprises son père de mettre un terme à sa collaboration avec l’armée américaine.

Fils unique, aîné de quatre soeurs et « père » de substitution, dit-il, puisque son propre père, menacé, ne pouvait plus rentrer dans leur village d’origine à quelques kilomètres de Jalalabad, Abdul Qayoon a été confié à un passeur pour 10 000 $. De passeur en passeur, « ils se téléphonaient et ils savaient tout », résume le jeune Afghan. De pays en pays, il est entré sur le territoire belge depuis la France.

Il a alors appelé son père. « Il m’a donné un numéro de téléphone et une adresse où aller », tout en lui réitérant qu’il était arrivé dans un « endroit sécuritaire où l’éducation est bonne ». Les membres de sa famille comptent sur lui désormais, soit pour immigrer à leur tour par le regroupement familial avant sa majorité, soit pour recevoir de l’argent à distance. Un tabou souvent impossible à briser, puisqu’il est rare qu’un jeune mentionne explicitement détenir cette « mission », souligne David Brasseur, un intervenant social du même centre.

De l’urgence à la normalité

Son parcours fut alors celui de tous les mineurs étrangers non accompagnés (MENA) en Belgique. Ils s’enregistrent d’abord à l’Office des étrangers, puis sont accueillis dans un Centre d’orientation et d’observation de l’agence fédérale qui prend en charge les demandeurs d’asile. Principal partenaire de cette agence, la Croix-Rouge les loge ensuite dans l’une de leurs « maisons ». Plusieurs des centres existants, dont celui où loge Abdul, sont en reconversion depuis janvier dernier pour, à terme, accueillir exclusivement des MENA. C’est ensuite un tuteur assigné qui suivra le processus juridique devant mener au statut de réfugié.

Chloé Michelet souligne en effet l’état de saturation dans lequel le réseau d’accueil belge s’est retrouvé à la fin de l’été 2015. En quelques semaines, les migrants souhaitant présenter une demande d’asile ont explosé, débordant l’Office des étrangers chargé de leur enregistrement. Des centaines d’entre eux, dont des MENA, ont alors été contraints à vivre dans la rue et un campement s’est rapidement formé à proximité de ces bureaux administratifs, au parc Maximilien. La Croix-Rouge a alors mis sur pieds plus de 500 places en « pré-accueil ».

Parmi cette déferlante de migrants, la proportion de MENA a elle aussi augmenté. Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR) calcule que 35 % des migrants qui tentent de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe sont des mineurs. Près du quart de ceux-ci seraient non accompagnés, selon les statistiques officielles de l’Union européenne, dont 88 700 ayant réussi à déposer une demande d’asile en 2015.

Dans le cas belge, les demandes déposées par des mineurs sans parents à leurs côtés sont passées de 531 en 2014 à 3919 en 2015. « D’où l’urgence de créer des places », souligne Mme Michelet, avant de conclure « qu’avec les ressources qui ont suivi », la situation s’est stabilisée.

Multiples disparitions

Si la Belgique semble être « bon élève » selon cette directrice, Europol s’inquiétait en février dernier de la disparition d’au moins 10 000 MENA dans les 18 à 24 derniers mois. Cette agence de coordination policière de l’Union européenne craint que plusieurs d’entre eux soient exploités par le crime organisé, alors que les autorités en ont perdu toute trace après leur enregistrement.

« Le monde va mal et ça ne s’améliore pas », résume brièvement Mme Michelet questionnée sur sa prospective pour l’accueil. Sa réflexion est rapidement réabsorbée par l’état psychologique dans lequel se trouvent ces jeunes. « Ils ont des problèmes de sommeil. Ils ont vécu la guerre, sont en exil sans parents et ils ont énormément d’incertitude quant à leur avenir », énumère-t-elle pour illustrer leur grande vulnérabilité. Le peu de relations affectives aussi, qui finit par les miner : « Deux jeunes pleuraient dans mon bureau la semaine dernière, en me disant “avant, on avait des guides ; maintenant, on n’arrive plus à trouver des réponses”. »

Les statistiques sont encourageantes pour les jeunes Afghans et Syriens, dont la majorité des demandes sont acceptées en Belgique. D’autres, notamment plusieurs Congolais dont la demande a été déboutée, ne pourront pas rester une fois arrivés à leur majorité. « C’est très rare qu’ils aient le projet de retourner chez eux, car leur famille entretient beaucoup d’espoir à travers eux. Alors, on leur explique la réalité d’être illégal ici et on leur propose un programme de retour volontaire », expose David Brasseur. Cet intervenant coordonne avec un avocat la préparation aux entrevues devant les commissaires chargés d’examiner les demandes d’asile.

En attendant, dans ces limbes, Mme Michelet et M. Brasseur ne sauraient trop insister sur l’importance de la scolarisation, au coeur de la vie des MENA. Abdul Qayoon est un élève motivé selon eux, parmi les plus capables. « Je veux devenir dentiste », répond-il sans hésitation, convaincu par son père que « c’est un bon métier ».

Abdul Qayoon, parle déjà avec l’aplomb d’un homme. Un pansement sur sa tempe à cause d’un « accident » de rasage trahit pourtant une certaine maladresse adolescente. Il n’est pas allé à l’école aujourd’hui, le ventre tenaillé par un mal non identifié. C’est en fait ce soir qu’il rencontre son tuteur légal pour la première fois. Il remonte se préparer à sa chambre au quatrième étage, ses pas accompagnés de musique pop en arabe.

*Nom fictif »

Voir en ligne : http://www.ledevoir.com/internation...