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Genève ne scolarise pas tous les réfugiés mineurs

Publié le 3-05-2016

Source : www.letemps.ch
Auteur : Olivier Francey

« Faute de classes d’accueil, l’éducation de plusieurs adolescents n’est pas prise en charge. Si le canton rattrape son retard dans l’accueil, les moyens financiers manquent toujours.

« A Genève, tous les requérants d’asile mineurs non accompagnés sont scolarisés. » Ce sont là les propos tenus le 7 avril sur la RTS par le magistrat de tutelle de l’Hospice général, le conseiller d’Etat Mauro Poggia (MCG). Or, ses propos sont aujourd’hui démentis par la réalité. A ce jour, 23 adolescents ne sont pas intégrés au système scolaire cantonal. Motif : l’Instruction publique genevoise n’ouvre plus de classes d’accueil supplémentaires à compter du mois de mars, alors que les mineurs, eux, continuent d’affluer.

Contacté, le ministre reconnaît cette situation, mais précise que ces enfants ne sont pas « abandonnés dans la rue ». Même version pour Anne Emery-Torracinta. La magistrate socialiste en charge de l’Education rappelle qu’ils ne sont pas « livrés à eux-mêmes », et que plusieurs associations prennent le relais. Par « relais », il faut entendre cinq demi-journées de cours d’alphabétisation, de français ou d’expression artistique, à titre d’exemples. Daniel*, jeune Erythréen non scolarisé, a une autre appréciation de sa situation : « Je n’ai rien à faire de la journée, dit-il, tout ce que je demande, c’est d’apprendre le français. »

Des lacunes concernant l’encadrement pédagogique au foyer de l’Etoile
Si le canton rattrape son retard en matière d’accueil de migrants mineurs, il peine toujours à assumer ses tâches. La preuve : l’annonce faite mardi dernier d’un financement de 430 000 francs par neuf fondations privées (dont les Fondations Gandur, Sesam, Pictet ou Lombard Odier) d’un projet de soutien pyscho-éducatif à des mineurs non scolarisés, dans l’attente d’ouverture de nouvelles classes à la rentrée.

Genève peine aussi à assurer un réel encadrement pédagogique au sein du foyer de l’Etoile, inauguré en janvier 2016 pour remplacer celui du Grand-Saconnex, vétuste. La construction modulaire héberge aujourd’hui 140 adolescents sur les 181 mineurs que dénombre le canton. Contacté à plusieurs reprises, l’Hospice général n’a pas été en mesure de répondre à la question de savoir combien d’éducateurs, d’assistants sociaux, d’animateurs, de civilistes ou de stagiaires comptait le centre d’hébergement. Le point est pourtant crucial. Car un assistant social n’équivaut pas à un éducateur, s’agissant d’une formation et d’une mission différentes. Dans sa réponse, l’institution indique seulement que « 18 équivalents plein-temps sont engagés comme éducateurs, avec des spécialisations comme assistant social ou animateurs suivant les cas ».

Des amendes comme projet pédagogique ?
Si l’on peine à cerner les contours du projet pédagogique, les sanctions, elles, demeurent bien réelles. Les amendes sont pratiques courantes au sein du centre d’hébergement de l’Etoile. Plusieurs migrants ont été punis pour des arrivées trop tardives au foyer. L’Hospice leur a retiré 50 francs – ou plus selon les occurrences de l’infraction – sur les 450 francs environ qu’ils perçoivent mensuellement pour leur nourriture et leurs effets personnels. Si la démarche est légale, il est permis de douter de sa pertinence éducative. « Une sanction sous la forme d’une retenue sur l’aide financière accordée par l’Hospice général est toujours précédée d’un avertissement. Elle est signifiée par écrit et énonce les voies d’opposition », assure l’institution.

A Genève, il faut attendre l’année 2013 pour qu’une première prise de conscience des autorités cantonales sur l’inexorabilité des mouvements migratoires n’intervienne. En octobre, le Conseil d’Etat émettait son premier rapport sur les conditions d’accueil de cette population. L’exécutif définissait dans la foulée des objectifs à atteindre, des recommandations à suivre telles qu’« isoler les requérants mineurs, renforcer leur encadrement par des assistants sociaux et des éducateurs, construire un nouveau lieu d’accueil ». A titre de comparaison, le canton de Vaud disposait d’un « éducateur » pour « 4 à 5 » requérants mineurs, alors que Genève ne comptait qu’un « assistant social » pour 20 migrants. Vaud est aussi l’un des premiers cantons à avoir offert une structure exclusivement réservée aux mineurs.

Le canton manque enfin cruellement de responsables légaux. Depuis février 2016, les 181 mineurs ne peuvent compter que sur quatre curateurs (3,5 équivalents plein-temps) pour veiller sur leurs intérêts et les accompagner dans les méandres de la procédure d’asile. Alors que les dernières prévisions annoncent l’arrivée de 150 nouveaux jeunes dans le canton d’ici à l’été, ces effectifs ne suffiront plus. A l’urgence de l’hébergement et de l’encadrement des mineurs non accompagnés s’en ajoute une autre : assurer un avenir à ceux qui atteignent la majorité. Sachant qu’il est vraisemblable « que 90% d’entre eux resteront ici », dixit Yann Boggio, de la Fondation genevoise pour l’animation socioculturelle, les deux projets pilotes qu’a mis en place le canton, pour tenter de les insérer dans le monde préprofessionnel, sont encore balbutiants.

* Prénom d’emprunt

Commentaire : Une bombe à retardement

Ecrivons-le d’emblée : il est difficile d’y voir clair dans la stratégie mise en place par le canton de Genève pour accueillir les requérants d’asile mineurs non accompagnés, ceux dont on résume le statut administratif par l’acronyme RMNA.

Cette opacité autour de leur accueil s’explique d’abord par des autorités prises au dépourvu face à des mouvements migratoires de grande ampleur. Pourtant alertées, les autorités n’ont pas fait preuve d’une réactivité débordante, tant que les mineurs ne foulaient pas leur palier. Ensuite, elle se manifeste par la multiplication des acteurs institutionnels et associatifs qui se partagent la tâche.

Entre l’Instruction publique qui gère la scolarisation des adolescents, l’Hospice général qui coordonne l’hébergement, le Service de protection des mineurs qui accompagne les demandes d’asile et le Bureau de l’intégration qui soutient plusieurs projets d’information, de sensibilisation ou d’éducation, ce ne sont pas moins de trois conseillers d’Etat qui sont concernés.

Certes, ni la bonne volonté ni l’engagement de ceux qui ont à s’occuper quotidiennement de destins souvent peu joviaux ne manquent pas. Ce qui manque, ce sont surtout des moyens financiers et des véritables projets éducatifs. Parce qu’à ce jour, les quelque 200 mineurs – 150 attendus d’ici à l’été – ne sont encadrés que par quatre tuteurs. Plus grave encore, aucun réel dispositif d’insertion professionnelle n’est prévu pour ceux qui atteindront demain la majorité. « Une bombe à retardement », disait le conseiller d’Etat Pierre Maudet. Il a raison. »

Voir en ligne : https://www.letemps.ch/suisse/2016/...