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Suisse - Fuir, au péril de sa vie

Publié le 2-08-2016

Source : Le Courrier

Auteur : Florian Erard

« Adolescent, Tesfaldet a quitté l’Érythrée pour l’Europe, livrés aux passeurs. Il réside aujourd’hui à Genève dans un foyer pour mineurs non accompagnés.

Il s’appelle Tesfaldet. Il a 16 ans, bientôt 17. Son parcours ne s’apparente guère à celui de la plupart des adolescents. Pourtant, il ressemble à celui de nombreux Érythréens, souvent jeunes, qui s’en vont dans l’espoir d’un avenir meilleur. « Dans mon pays, nous ne pouvons pas nous déplacer librement, les enseignants désertent les écoles. En Érythrée, je n’ai aucun futur », regrette Tesfaldet. Partir tôt, c’est aussi échapper à la dureté du service militaire : dès 18 ans et pour plus de dix ans, femmes et hommes doivent servir la nation.

Le jeune homme partage, en français déjà, le terrible périple qu’il a enduré jusqu’à Genève.

Départ à pied

Il n’a que 15 ans lorsqu’il décide de quitter sa ville, Mendefera (50 km au sud de la capitale Asmara), laissant derrière lui ses parents et ses quatre sœurs. Son frère, quant à lui, a déjà pris la route de l’exil et réside en Norvège. Le premier objectif de Tesfaldet est d’atteindre l’Éthiopie. Il part à pied, avec trois compatriotes. Depuis le passage de la frontière, des soldats éthiopiens les escortent jusqu’à un camp de réfugiés.

Après un mois, il prend la direction du Soudan. Avec plusieurs migrants, il s’arrange pour trouver un passeur, seul moyen d’atteindre les frontières. Tantôt à pied, tantôt en voiture, et après plusieurs transferts (quatre passeurs se relayent), ils arrivent au Soudan et se retrouvent enfermés dans un hangar où tous doivent s’acquitter de 1000 dollars. Impossible de sortir tant que le montant n’est pas réglé. Tesfaldet, qui a emporté le numéro d’un cousin résidant aux Etats-Unis, fait parvenir la somme au passeur qui le laisse ensuite s’en aller.

Le voyage se poursuit. Il est livré à de nombreux passeurs qui se succèdent des jours durant. Le jeune homme finit par rejoindre Khartoum, capitale du Soudan. Là, un Érythréen l’héberge quelques jours. « Heureusement que j’avais cette connaissance : Khartoum est très dangereuse, les migrants se font dépouiller par les Soudanais. Nous sommes leurs boucs-émissaires », se souvient Tesfaldet. Mais le périple n’en est qu’à ses débuts : le jeune homme n’a que Tripoli et la Méditerranée en tête.

Aux mains des passeurs

Un nouveau passeur lui propose de l’emmener, avec une centaine d’autres réfugiés, jusqu’à la frontière lybienne. Des pickups les attendent. « Les passeurs sont tyranniques : nous recevions des ordres à longueur de journée et ils nous frappaient si nous n’obéissions pas », se rappelle-t-il avec effroi. Entassés à 30 par véhicule, ils entament la traversée de l’est du Sahara. Tesfaldet qualifie les deux premiers jours de « supportables ».

Pourtant, ils n’ont ni à manger, ni à boire. Le désert plat se transforme en collines raides, le chauffeur ne contrôle plus la voiture dans les descentes et il prend peur. Il fait parfois descendre les passagers en les insultant. Il leur ordonne de pousser le véhicule ensablé. Tous sont à pieds nus. « Le vent semblait s’être transformé en feu, mes lèvres étaient brûlées. Je ne pouvais plus ouvrir la bouche. »

Camion à double-fond

Le troisième jour, une pièce du moteur casse. L’aide n’arrivera que le lendemain. « On se sent de plus en plus mal, on prie, on a très peur de mourir. Un jour de plus aurait été fatal », lance-t-il en esquissant un sourire teinté de fierté et de tristesse à la fois. Pour certains, la traversée du désert est mortelle. Tesfaldet a vu un pickup se renverser, faisant plusieurs morts.

Ils sont alors une centaine à atteindre un petit village où ils se reposent une nuit. Le lendemain, tous montent à bord d’un gros camion. Le chauffeur confectionne un double-fond avec des bouteilles d’eau et des mouchoirs. Il compte ainsi tromper les douaniers lybiens qui vérifient la cargaison. Le voyage dure quelques heures. Il se déroule sans interruption jusqu’en Lybie.

De la marchandise

En réalité, le voyage ne fait que commencer. Ils vivent de nombreux transferts, à pied, en voiture, de villages en villages, de passeurs en passeurs. Cela dure au moins plusieurs semaines. « Impossible de savoir où j’étais. On nous déplaçait tout le temps », dit Tesfaldet, avant de souligner qu’ils étaient traités comme de la marchandise par ces hommes qui leurs servaient de guides. Car les passeurs sont en concurrence. Lors des haltes, ils tentent parfois de kidnapper les groupes des autres. Certains abusaient aussi des femmes. « J’entendais des cris », raconte-t-il avant de marquer un temps d’arrêt.

Ensuite, il y a les coups montés : « Des soldats lybiens ont réclamé 50 000 à notre passeur pour nous laisser poursuivre notre route. N’ayant pas cette somme, ce dernier a dit aux militaires qu’ils pouvaient faire ce qu’ils voulaient de nous, y compris nous tuer. Un autre passeur nous a alors racheté, mais je suis sûr que le but était simplement de nous faire peur. »

Inconscient en pleine mer

Après des mois de voyage, il atteint Tripoli et espère embarquer pour l’Italie. C’est plutôt l’enfermement qui l’attend. Ils sont environ 125 réfugiés dans une cave, deux mois durant. « Pour continuer notre voyage, il fallait que tout le monde ait réglé la somme de 3600 dollars. Mon cousin m’a à nouveau aidé. » Une ration de nourriture quotidienne leur est distribuée. « Je me souviens du passeur, cet homme sans cœur, qui nous surveillait. Craignant d’être repéré par les autorités, il nous battait si nous parlions », décrit-il en hochant de la tête.

Finalement, la mer. Avec de petits canots, ils rejoignent une embarcation de taille moyenne. Une fois les réfugiés montés à bord, les passeurs reprennent leurs zodiacs et retournent sur la côte lybienne. Il est deux heures du matin. « Nous étions environ 450 à bord, alors que le bateau ne semblait pas conçu pour. Des Syriens, eux aussi réfugiés, ont pris les commandes », se rappelle Tesfaldet qui s’est retrouvé dans la cale.

Le moteur fumait à l’intérieur, l’air est devenu irrespirable en peu de temps. « Je suis resté inconscient au moins sept heures, raconte-t-il les yeux humides. Lorsque je me suis réveillé, j’ai réalisé que j’avais vomi et que d’autres m’avaient vomi dessus. Nous étions entassés. » Le voyage a duré environ douze heures, avant que les gardes-côtes italiens ne les repèrent. Tous montent à bord du gros navire de secours. Des médecins les reçoivent pour un premier contrôle médical. Ils passent un jour en mer avant d’atteindre la Sicile. « Je savais plus qui j’étais, ni où j’étais. J’ai mis du temps à réaliser. »

« No money »

Arrivé en Sicile, Tesfaldet subit de nouveaux contrôles médicaux et reçoit une paire de sandales. Il est rapidement transféré vers le continent. Un car le dépose dans un centre d’accueil à Teramo, à deux heures de Rome. Deux femmes font à manger. « Elles se sont très bien occupées de nous », se souvient-il. Cependant, désireux de rejoindre la Suisse, où vit un autre cousin, il s’enfuit et prend un bus qui l’amène jusqu’à une gare routière. Il monte dans un autre bus, puis un troisième. « Tout ça sans payer », rit Tesfaldet. « À chaque fois que je montais dans un bus, je disais ‘no money’ ou ‘can you help me ?’ et le chauffeur me faisait signe de m’asseoir. »

Il fait étape à Rome, demande de l’argent au cousin qui l’avait aidé jusque là. Ce qui lui permet de prendre un bus pour Milan, puis un train pour la Suisse. « Je n’ai pas eu de contrôle d’identité dans le train, grâce à Dieu », dit-il en joignant les mains.

Endormi sur un banc

Arrivé à Berne, épuisé, il s’endort sur un banc, à la gare. Le matin, un homme le réveille. Il est Érythréen. Tesfaldet ne peut s’empêcher de lui raconter son parcours et fond en larmes. L’homme lui offre le petit déjeuner et l’amène jusqu’à Lausanne. Il lui recommande de prendre un train pour se rendre à Vallorbe, où se trouve un centre d’enregistrement pour les réfugiés. Un fonctionnaire l’aide à localiser son cousin, établi à Genève. En août 2015, le mois de ses 16 ans, Tesfaldet arrive au bout du lac. Aujourd’hui, il est au foyer pour mineurs non accompagnés de l’Étoile.

« Je rêve de devenir infirmier »

Après son périple parsemé de dangers, Tesfaldet arrive à Genève à la fin de l’été 2015. Il est très vite scolarisé en classe d’intégration, au collège Rousseau. Bien entouré et stimulé par la belle-famille de son cousin, il a rapidement appris le français. Ce qui n’est pas le cas de ses compagnons de chambre, du foyer de l’Étoile, davantage livrés à eux-mêmes.

Pour la période estivale, il a demandé à l’assistant social de son foyer s’il était possible de travailler. Il a trouvé une place à Genève roule. Fin août, l’école reprend et Tesfaldet a déjà des projets en tête. « J’ai toujours rêvé de devenir infirmier, dit-il enjoué. Mais pour y arriver, il faut que j’améliore encore mon français et que j’obtienne des bons résultats à l’école. Si je n’y arrive pas, la mécanique m’intéresse. Je trouverai bien quelque chose. »

Quant à sa vie au foyer, il a l’air peu enthousiaste : « La chaleur et le bruit de la circulation rendent les nuits difficiles ». Pour changer d’air, il se rend souvent chez son cousin durant le week-end.

Avant de prendre congé, il confie encore : « Il faut que je raconte mon parcours. Les gens doivent savoir d’où on vient, ce qu’on fuit et ce qu’on a vécu. Nous ne sommes pas là pour profiter de notre pays d’accueil. » Aujourd’hui, sa demande d’asile est en cours de traitement. »

Voir en ligne : http://www.lecourrier.ch/141240/fui...