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Suisse - « Si je stresse pour la rentrée ? Non, je n’ai plus peur de rien »

Publié le 30-08-2016

Source : Tribune de Genève

Auteur : Aurélie Toninato

« Genève a dû scolariser 1800 migrants. Dont Mohamed, qui effectue sa deuxième et dernière rentrée.

« Je rêve de devenir électricien. Il me reste seulement un an d’école pour y arriver. Alors je vais vraiment bien travailler ! » Comme 74 000 élèves genevois, Mohamed, 19 ans, a pris hier le chemin de l’école. Mais lui n’a pas sorti sa tenue des grands jours. Il n’a pas acheté d’agenda qu’il a customisé avec des photos, il ne va pas retrouver des copains et leur raconter ses vacances.

Le jeune Somalien, détenteur d’un permis F (admission provisoire), est scolarisé dans l’une des dix-sept classes d’insertion professionnelle (CIP), qui dépendent du Service de l’accueil du postobligatoire (ACPO). Cette formation d’un an permet aux migrants de consolider leur niveau de français mais surtout, de préparer un projet professionnel.

Six ans d’école seulement

Mohamed a quitté la Somalie en 2014. « Parce que là-bas il n’y a que des bagarres. Que de la violence. Il n’y a jamais la paix. » Alors en 2014, il décide de partir, en laissant derrière lui ses quatre sœurs et sa mère – son père est décédé. Il lui faudra un an pour rejoindre la Suisse. Ethiopie, Soudan, Libye, un bateau pour l’Italie. Puis Vallorbe, et finalement Genève en mai 2015, au centre de requérants de Saconnex. Il apprend les bases du français en une année, à force de travail, de ponctualité – « je ne suis jamais en retard aux cours ! » – et de pratique hors de l’école : « J’essaie de parler avec mes amis, ceux avec qui je joue au foot au Bois-des-Frères. »

Pour sa deuxième et dernière rentrée scolaire, pas d’agenda personnalisé, donc, et pas de stress non plus. « Je n’ai plus peur de rien, confie-t-il. Ici, ce n’est pas comme dans mon pays… » Pas de crainte mais de la pression : cette rentrée est celle de tous les enjeux. Car l’an prochain, l’école, c’est fini pour lui : le Département de l’instruction publique (DIP) ne prend les jeunes en charge que jusqu’à 19 ans. L’Hospice général prend ensuite le relais. Il reste donc à Mohamed dix mois en classe pour améliorer son français, réussir les examens et trouver une place d’apprentissage. Soit avoir atteint le niveau attendu à la fin du cycle d’orientation, alors qu’il n’aura eu que deux ans d’école ici… et six ans dans une école coranique en Somalie.

Il relèvera ce défi avec Christine Maurice, enseignante à l’ACPO depuis vingt ans, entouré par dix camarades. Ils ont entre 15 et 19 ans, parlent tigrigna, portugais, albanais. Ils sont venus avec leur père, leur oncle, leur femme et leur bébé. Ou seul. L’enseignante distribue les horaires : 9 h de français, 6 h de maths, sciences humaines, information professionnelle, gym, ateliers de travaux manuels. « L’objectif de ces ateliers n’est pas de les former à un métier précis, précise-t-elle. C’est plutôt de leur apprendre l’attitude attendue dans le monde professionnel, la ponctualité, le soin du travail, la prise d’initiative, entre autres. »

« On doit briser des rêves »

La scolarisation des migrants représente le défi majeur de cette rentrée pour le DIP. 1800 jeunes à scolariser, dont 926 rien qu’au secondaire II, où leur nombre a doublé en quatre ans. Une partie de ces élèves sont issus de l’asile – 205 requérants mineurs non accompagnés – et ont entre 15 et 17 ans. A cet âge-là, il ne leur reste que quelques maigres années d’école. Alors pour ceux qui n’ont pas, ou peu, été scolarisés dans leur pays, la tâche est colossale pour atteindre le niveau de compétence requis à l’entrée de l’apprentissage. « Entre leurs rêves au départ et ce qui est possible à l’arrivée, il y a parfois un gouffre », confie Christine Maurice. « On essaie de faire notre maximum pour qu’ils atteignent leurs buts, ajoute Joël Petoud, directeur de l’ACPO. Mais parfois, ils ne parviennent pas à avoir un niveau scolaire suffisant dans le temps imparti et on doit briser des rêves… »

Encore faut-il aussi qu’ils trouvent un patron prêt à leur donner une chance. « Ces élèves font face à beaucoup d’idées reçues et de concurrence, rapporte le directeur. Les stages sont très importants, cela permet de rassurer les patrons et de montrer que ces jeunes sont motivés, qu’ils ont des compétences avérées. Mais il faut juste leur donner une première chance ! On est tous concernés, on peut tous tendre la main. »

Mohamed nous tend la sienne. Sa première journée touche à sa fin, il doit aller acheter un agenda et un classeur, pour bien travailler. Et réaliser son rêve. »

Voir en ligne : http://www.tdg.ch/geneve/actu-genev...