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Le problème migratoire embrase Lesbos

Publié le 20-09-2016

Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur : Agnès Matra

« Chauffée à blanc, par la chaleur de l’été, par les problèmes irrésolus, l’île de Lesbos, aux confins de l’Europe s’enflamme sur l’impossible gestion des 5000 migrants retenus dans les camps. L’un de ces camps prend feu dans la nuit du lundi au mardi 20 septembre. 3000 migrants, dont 100 jeunes non accompagnés se retrouvent sans hébergement. Ce qui s’est passé était à craindre depuis des semaines.

Comment, pourquoi le feu a dévasté le camp de Moria, appelé justement « hotspot », et a pu réduire en cendres 30% de ses structures d’accueil surtout les tentes ? Le camp est situé à une dizaine de kilomètres de la capitale de l’île Mytilène, au beau milieu de champs d’oliviers. Le village de Moria à proximité du camp compte 1000 habitants, exaspérés. Le directeur du camp, Monsieur Spiros Kourtis tirait depuis des mois la sonnette d’alarme de la surpopulation du camp et proposait des autorisations de sorties aux jeunes mineurs qui y sont détenus. L’organisation grecque locale Syniparxi ou Coexistence assurait des excursions à ces jeunes migrants afin de les faire sortir de leur isolement et de leurs angoisses. Cette association vient d’ailleurs de recevoir le Prix Citoyen Européen 2016 et continue d’œuvrer pour l’accueil des migrants. Depuis le début de ce mois de septembre, des embarcations continuent d’arriver sur les côtes de l’île, augmentant le nombre des migrants. « Ce dimanche 18 septembre, un bateau accostait à l’Est de l’île, avec à son bord 75 personnes dont des Népalais … » s’étonne Pépin Glelé, responsable UNHCR.

Dans la nuit du lundi 19 septembre, se déclarait le feu dans le camp bondé de Moria. On entendait des sirènes de partout, des ambulances et des pompiers. La police tentait de refouler les milliers de migrants qui, vidant le camp, se rendaient à pied vers la ville. Les gens se déversaient sur la route qui mène à Mytilène. Suite à l’intervention de l’organisation locale Syniparxi, deux bus, dont les chauffeurs étaient réticents, ont été dépêchés pour prendre les enfants et les emmener dans un autre lieu où ils pourront dormir en sécurité, dehors dans un sac de couchage. Situation précaire. Il faut faire face à l’urgence. Les médecins qui ne sont pas de garde sont même rappelés en renfort dans les services de l’hôpital. On craint le pire.

Le pire qui se dessine dans toutes les têtes ici. Depuis des semaines, devant l’ampleur d’un problème qui enfle, tous les esprits s’échauffent, que ce soit les habitants, que ce soit les autorités, que ce soit la police, que ce soit les médecins, que ce soit surtout les réfugiés. Ils sont depuis des mois piégés dans cette île à attendre de pouvoir faire une hypothétique demande d’asile. Les migrants sont terrorisés à l’idée de se voir renvoyés dans leurs pays d’origine. Le mot exact à employer pour caractériser ce fait : la déportation.

En ce qui concerne la population locale, après avoir vécu l’été 2015 avec 25 000 à 30 000 réfugiés au quotidien dans la ville de Mytilène, la phobie demeure de revivre des afflux massifs, surtout à cause du manque de confiance accordé à la Turquie voisine qui peut à tout moment « ouvrir les vannes » de l’émigration des millions de réfugiés qu’elle a déjà sur son sol… Par ailleurs, avec la crise économique qui perdure, on taxe de plus en plus les étrangers de fléaux.

C’est ainsi qu’ont débuté les épisodes qui ont emmené à l’incendie du camp. Dimanche 18 septembre, lors du défilé militaire local avec lever de drapeau, un groupe de personnes a entonné l’hymne national avec ferveur et propos violents contre les migrants, tels que « qu’on les refoute à la mer », « pas de voile chez nous ». De tels propos ont été entendus également contre les organisations, « ne portez pas ces t-shirts », il leur est reproché de faire des « affaires » dans un pays qui a plus de 50% de taux de chômage, avec des salaires triples du salaire grec. Dans le village de Moria, peut être excédé par des vols de poules, un homme de soixante-dix ans s’en est pris physiquement lundi 19 septembre à trois femmes syriennes et à leurs enfants. En hurlant « foutez le camp » et leur arrachant leur voile, il a poursuivi la journaliste grecque qui leur venait en aide en les faisant monter dans sa voiture. L’agressivité avait découplé ses forces comme le racisme de ces individus d’extrême droite qui ont tabassé une jeune femme, hospitalisée pour une jambe cassée. Tout cela sous les yeux de la police qui n’est pas intervenue. Les déclarations de haine se déroulant ce lundi, en pleine rue avec une manifestation des habitants de Moria entourés par toute une sphère de sombres individus provocateurs injuriant les autorités locales et le gouvernement grec. Ce sont ces mêmes individus, anarchistes ou fascistes, qui ont soulevé une poignée de migrants dans le camp. Ils réussiront ce que les politiques n’ont pas pu faire : « vider » le camp !

Pour les migrants, sans doute mettre le feu leur permettra de se faire rappeler au bon souvenir et devoirs de la communauté internationale… Une communauté internationale sourde et inactive. Au dernier sommet européen de Bratislava, le 16 septembre, Matteo Renzi, premier ministre italien avait exprimé sa colère. Les reproches du ministre grec de l’immigration Yannis Mouzalas, réclamant plus de solidarité et d’aides, le 19 septembre à Bernard Cazeneuve sont restés inaudibles. Par contre, la quarantaine de bombardements aériens effectués ce lundi sur Alep et sur le convoi humanitaire ont bien dû se faire entendre par la communauté internationale !

Les prochaines réunions européennes du Premier ministre grec, Alexis Tsipras, ne viendront pas couronner les efforts de la population grecque mais bien confirmer son harassement devant un problème qu’on lui laisse prendre à bras le corps. Jusqu’à quand l’Europe demandera-t-elle à la Grèce de tenir la porte fermée aux migrants alors que sa poignée est ensanglantée de tant de morts en Méditerranée ?

Dans la nuit de lundi, les réfugiés qui avaient déjà échappé à la guerre, aux bombardements, devaient encore une fois mettre leur vie à l’abri, à l’abri du feu et, à l’avenir, devront continuer à se protéger de la fournaise des idées intolérantes de gens malveillants mais nantis. »

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