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Les réfugiés mineurs, ces oubliés de l’asile

Publié le 15-10-2016

Source : www.lalibre.be

Auteurs : Gilles Toussaint et Louise Vanderkelen

« Le démantèlement de la "jungle" de Calais met en évidence l’état d’abandon dans lequel se trouvent les mineurs sans famille. Leur proportion parmi les demandeurs d’asile a fortement augmenté depuis deux ans. Mais les Etats membres de l’Union européenne ont tendance à se raidir.

De plus en plus d’enfants seuls parmi les migrants

La décision de fermer la "jungle" de Calais est bienvenue, mais il est à présent crucial d’offrir des soins convenables à la population qui vivait dans ce camp, en particulier aux 1 200 mineurs non accompagnés qui s’y trouvaient." La tendance enregistrée depuis l’an dernier par l’Agence des Nations unies pour les réfugiés (HCR) ne se dément pas : la proportion d’enfants non accompagnés ou séparés de leur famille parmi les migrants qui arrivent en Europe connaît une croissance inquiétante. Un public spécifique auquel il est indispensable de garantir une prise en charge adaptée.

En 2015, on recensait ainsi à l’échelle mondiale 98 400 mineurs non accompagnés dans les dossiers de demandes d’asile contre 34 300 l’année précédente. Si cette hausse spectaculaire est en large part à mettre en lien avec la forte vague migratoire qu’a connue l’Union européenne l’an dernier, la proportion de ces enfants dans les demandes d’asile n’en est pas moins en progression puisque 5 % des dossiers concernaient des cas de ce type, contre 2 % deux ans plus tôt.

Faciliter le regroupement familial

"La plupart de ces enfants sont originaires d’Afghanistan, de Syrie, d’Erythrée et de Somalie. Ce sont des garçons dans la majorité des cas , commente Vanessa Saenen, porte-parole du bureau du HCR à Bruxelles. Certains ont déjà de la famille en Europe, il est donc nécessaire de prendre les dispositions qui facilitent le regroupement familial. Si la législation le permet dans de nombreux pays européens, c’est au niveau de la mise en pratique que cela coince. On est confronté à des obstacles pratiques : délais de procédure très longs ; frais administratifs importants ; définition restrictive de la notion de famille… En outre, suite à la crise de l’asile, de nombreux pays ont rendu leur loi sur le regroupement familial plus restrictive, ce qui n’est pas une bonne chose." Et alors que les promesses de relocalisation de réfugiés depuis la Grèce et l’Italie vers les autres Etats membres patinent (à peine 7 000 personnes sur les 160 000 promises), le HCR déplore qu’aucune priorité ne soit donnée aux mineurs, bien souvent contraints de survivre au milieu des adultes dans des conditions déplorables. " Seuls 70 enfants ont été relocalisés depuis la Grèce et quasiment aucun depuis l’Italie. "

Parmi ces jeunes, on recense aussi une large part de garçons afghans qui arrivent en Europe sans aucun point de chute familial. "Il s’agit souvent de l’aîné, que ses parents envoient ici pour avoir accès à une meilleure éducation et échapper à l’enrôlement forcé par les talibans."

Enfin, le HCR avance une autre piste pour éviter que ces jeunes en quête d’un avenir meilleur ne se jettent dans les bras des passeurs et trafiquants de tout poil : leur offrir des alternatives légales, comme des bourses ou des visas d’étudiant. Mais ce n’est pas vraiment dans l’air du temps.

Les enfants réfugiés de la Jungle ne jurent que par l’Angleterre, mais c’est l’inconnu qui les attend

A Calais, un vent glacial frappe les bâches qui servent de toits aux centaines de réfugiés qui s’abritent sous ces logements de fortune construits dans le camp de migrants tristement surnommé "la Jungle". Jeudi, malgré un soleil bien présent, les températures ne dépassaient pas les dix degrés.

Dans la "main street", la rue principale qui longe le campement, les passants sont peu nombreux. Plus d’un millier de migrants ont en effet quitté la jungle lors du démantèlement de sa partie sud, en mars dernier. Il ne reste de leur passage que quelques déchets et autre piquets de tentes perdus dans la végétation de bord de mer qui a rapidement repris le dessus. Une mosquée, une église et une école ont toutefois été conservées et semblent aujourd’hui isolées dans les dunes.

Eviter la disparition des mineurs

Le démantèlement total du camp programmé pour le 24 octobre a également accéléré les départs. Alors que ce camp tentaculaire accueillait près de 10 000 migrants il y a de cela quelques semaines, ils ne seraient aujourd’hui "plus que" 6 000. Parmi eux, 1291 enfants arrivés seuls à Calais. Ces mineurs étrangers non accompagnés (Mena) sont trois fois plus nombreux qu’en juin. Les plus jeunes d’entre eux ont 6 et 8 ans.

Le cas des Menas suscite l’inquiétude des nombreuses associations et ONG présentes dans le camp. Les défenseurs belges, anglais et français des droits de l’enfant se sont d’ailleurs réunis jeudi à Calais. "Lors de l’annonce de fermeture de la partie sud de la Jungle, plusieurs centaines d’entre eux s’étaient évaporés dans la nature", explique David Lallemand, conseiller en communication de Bernard Devos, délégué général aux droits de l’enfant en Belgique. Afin d’éviter que cela ne se reproduise, un recensement des enfants a commencé. On les prend en photo et on les interroge sur leur éventuelle famille en Angleterre.

A l’intérieur de la jungle, les tentes se chevauchent et le passage est difficile. Ces abris de fortune sont presque tous peints ou tagués. Parfois, les migrants y inscrivent en couleur le nom de leur pays ou y dessinent des signes d’appartenance à une communauté. Mais un message de désespoir revient sur beaucoup d’abris : "Please, we want to go to UK" - "S’il vous plaît, nous voulons nous rendre au Royaume-Uni".

Vers 13 heures, des fumées disparates s’échappent déjà de plusieurs endroits de la jungle. Des installations précaires servent de barbecue aux migrants qui préparent leur repas. Les citernes d’eau ne sont d’ailleurs jamais loin afin d’éteindre des débuts d’incendies.

D’une parcelle entourée d’aubépines s’échappent quelques notes de la dernière chanson d’Enrique Iglesias, "Duele el corazon". Omar (*), 16 ans, étend le linge qu’il vient de laver. Ce jeune Erythréen est accompagné de deux amis du même âge qu’il a rencontrés dans le camp. Cet après-midi, ils ne sont que trois à surveiller les tentes, mais d’habitude, ils sont "beaucoup plus". Sur la table, traînent les restes d’un repas qu’ils viennent de terminer. Du riz, une boîte de conserve de ratatouille et quelques galettes de pain.

Omar observe ses amis qui tentent de se laver les cheveux à l’eau glacée, penchés au-dessus d’une bassine. Rapidement, son sourire s’efface. Il les observe et soupire. Le jeune garçon est conscient que le camp sera bientôt rasé et s’en inquiète. Arrivé à Calais il y un mois et demi, après un passage par l’Italie, il ne sait pas encore quelle sera sa prochaine destination.

"Le Royaume-Uni, coûte que coûte"

Depuis, avec ses compagnons de camp, il tente chaque nuit de s’infiltrer à bord d’un camion afin de rejoindre son eldorado, le Royaume-Uni. "Il y a souvent des policiers présents près des parkings et le long de l’autoroute. Et lorsqu’ils t’attrapent, ils te frappent", explique-t-il. "Le camp disparaîtra bientôt, c’est notre dernière chance pour rejoindre l’Angleterre. Plusieurs de ses amis ont réussi le voyage. Même s’il n’a pas de famille sur place, il aimerait les rejoindre. "Je sais que c’est très dangereux. Un ami a d’ailleurs été fauché par un camion et est décédé. Mais, je vous le dis, c’est notre dernière chance ! Je veux aller en Grande-Bretagne, coûte que coûte", répète-t-il, exaspéré. Comme Omar, les mineurs se regroupent entre eux et préfèrent se déplacer en bandes le long de la "main street", "parce que, parfois, cela peut être dangereux". Emmitouflés dans des tenues de jogging épaisses, ils n’ont pourtant que des tongs aux pieds. Certains ont serré les cordons de leur capuche au maximum pour se protéger du vent. On ne distingue que leurs yeux et un sourire discret lorsqu’ils collent leurs oreilles au haut-parleur d’un smartphone, pour écouter de la musique.

L’asile en France ? Inconcevable

Lorsqu’on leur demande s’ils envisagent de déposer une demande d’asile en France, la réponse est unanime et directe : "non". Tous évoquent les avantages à demander l’asile en Angleterre et expliquent que leur famille les attend là-bas. L’un d’entre eux s’échauffe en évoquant la Jungle. Il explique dans un anglais approximatif qu’il ne demanderait jamais l’asile dans un pays qui ne l’a pas "considéré comme un être humain".

Selon les données recensées par les ONG du camp, 97 % des Menas présents à Calais souhaitent, de fait, rejoindre le Royaume-Uni. Pour 7 % d’entre eux, il a été prouvé qu’ils avaient de la famille outre-Manche et ont donc le droit de bénéficier du regroupement familial. Pour autant que la famille en question veuille bien d’eux… En effet, il arrive parfois que les proches de l’enfant refusent de le prendre en charge. Sans leur accord, le jeune est donc condamné à rester en France. La grande majorité de ces enfants a tenté le tout pour le tout en fournissant aux organisations chargées de les identifier de faux numéros de téléphone anglais.

Jeudi, les autorités françaises et anglaises ont négocié ensemble le transfert légitime vers la Royaume-Uni de 300 à 400 mineurs dont il est avéré qu’ils ont de la famille sur place. Pour les 900 autres enfants du campement, l’avenir est incertain. "Nous craignons qu’ils ne disparaissent à nouveau et se dirigent seuls sur les routes dangereuses qui mènent à Lille ou à Paris", confie une bénévole.

(*) prénom d’emprunt »

Voir en ligne : http://www.lalibre.be/actu/internat...