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La protection de l’enfance oubliée à Calais

Publié le 31-10-2016

Source : www.humanite.fr

Auteur : Sylvie Ducatteau

« Plusieurs associations ont dénoncé le traitement des mineurs lors du démantèlement du bidonville. Elles s’inquiètent des conditions de leur prise en charge en dehors des principes de protection des enfants.

« Il aurait fallu bien plus de temps. Tout a été fait à la va-vite. L’État ne s’est pas encombré de la protection de l’enfance, dont relèvent pourtant ces enfants indéniablement en danger », déplore Roland Biache, délégué général de l’association Solidarité laïque. Lundi dernier à 8 heures débutait tambour battant l’évacuation du bidonville de Calais. Dès mercredi soir, la préfète du Pas-de-Calais, Fabienne Buccio, annonçait la fin de l’opération. Officiellement, 1 451 mineurs étrangers, certains « isolés », sans représentants légaux à leurs côtés, ont été « mis à l’abri » dans le centre d’accueil provisoire (CAP), situé à la frontière de la « jungle », et dont la représentante de l’État a annoncé la fermeture à très court terme. 274 mineurs ont été transférés au Royaume-Uni pour y retrouver des parents dans le cadre d’un rapprochement familial.

Dès lundi, le traitement des mineurs s’est avéré problématique. Plusieurs d’entre eux ont raconté leur calvaire dans nos colonnes. Sans doute se trouvaient-ils parmi la centaine d’adolescents perdus, frigorifiés et sans nourriture qui, dans la nuit de vendredi à samedi, s’est réfugiée dans les salles de classe de l’école laïque. La petite école, ses peintures murales, ses couleurs enfantines, détruite le lendemain. Certains enfants passaient leur troisième nuit dehors, sous un pont, aux abords du hangar du départ des bus vers les centres d’accueil et d’orientation (CAO) des majeurs ou vers le CAP pour les mineurs triés « au faciès ».

Pourquoi une telle précipitation ? Les associations ont été nombreuses à dénoncer la méthode. Quelques jours avant l’évacuation, en réaction à la présentation du dispositif, l’association Solidarité laïque s’alarmait de « la création d’un énième dispositif ad hoc (en direction des mineurs) au rabais » alors que la France dispose d’un arsenal législatif prévoyant, pour ces enfants en danger, un accompagnement éducatif, juridique et psychosocial adapté qui leur ouvre des droits reconnus internationalement. Depuis le début des années 1980, l’État a confié la protection de l’enfance aux conseils départementaux pilotes exclusifs à des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE). Il ne reprend la main qu’en cas de carence de l’institution.

Un tri « au physique » largement dénoncé

« L’État n’a jamais considéré ces enfants en danger. Il les traite comme n’importe quel migrant adulte », persiste à dénoncer Roland Biache. Première dérogation, avant d’être confié à l’ASE, à leur arrivée en France, ces jeunes sont soumis à une vérification de leur identité et de leur situation d’isolement. Cette évaluation sociale est réalisée par une équipe pluridisciplinaire formée à ces pratiques. La France a autorisé les tests osseux, bien que leur fiabilité soit très contestée, en cas de doute sur leur minorité. En tout état de cause, les adolescents doivent être informés, par écrit, dans une langue qu’ils comprennent, des décisions qui les concernent et des recours possibles en cas de désaccord. Évidemment, rien de tout cela n’est arrivé pour les enfants de Calais pris dans le démantèlement.

Cela a commencé avec la reconnaissance de leur minorité : un tri « au physique » largement dénoncé. « Nous savons que certains ont atterri dans les bus des adultes, donc dans des centres d’accueil et d’orientation (CAO) inadaptés et qui n’ont pas le droit d’accueillir des mineurs », explique le responsable de Solidarité laïque. L’association s’inquiète également des conditions du contrôle des situations des jeunes, « rapides », « centrées uniquement sur le projet de réunification familiale ». « Traiter ces jeunes hors du cadre légal les rend encore plus vulnérables, explique Roland Biache. Âgés de 15 à 17 ans, ils devront dans quelques mois justifier d’une prise en charge par l’ASE et d’une scolarisation pour obtenir leur titre de séjour au moment de leur majorité. »

Ce matin, les pelleteuses ont repris leur travail de démolition. À deux pas de là, les conteneurs du CAP résonnent des voix d’adolescents. Les associations qui les ont accompagnés ces derniers mois n’ont pas le droit d’entrer. Elles ignorent comment et qui encadre les jeunes. Comment et par qui sont évaluées leurs situations. Une petite dizaine de cars ont pris la direction de centres d’accueil et d’orientation pour mineurs isolés étrangers (Caomie) vers la Bretagne, la Normandie. Des Caomie créés dans l’urgence et, là encore, sans agrément de l’ASE. « Les adolescents ne savent pas où ils ont été conduits et paniquent, témoigne une bénévole en contact avec plusieurs jeunes. Nous tentons de les convaincre de rester dans les centres mais beaucoup envisagent de fuguer. Et là, nous les perdrons. »

La méthode contestée par les associations Solidarité laïque, mobilisée sur la question de la protection de l’enfance, n’est pas la seule association à dénoncer des manquements à la légalité. Onze associations dont Emmaüs, le Secours catholique, l’Auberge des migrants avaient saisi en référé liberté le tribunal de Lille contre l’évacuation précipitée du camp, qualifiée d’ « atteinte aux droits fondamentaux des exilés ». Lundi, Médecins du monde (MDM) et Médecins sans frontières (MSF) s’étaient alarmés du « tri au faciès » des mineurs. Le même jour, l’interdiction d’entrer dans le bidonville imposée aux avocats avait fait réagir le Syndicat des avocats de France (SAF). »

Voir en ligne : http://www.humanite.fr/la-protectio...