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Un mois après le démantèlement, un premier bilan, contrasté, de l’accueil en CAO

Publié le 23-11-2016

Source : http://jungle-news.arte.tv

Auteur : Marianne Skorpis

« Mis en place en très peu de temps dans des locaux inutilisés ou désaffectés, les « centres d’accueil et d’orientation » accueillent les 7000 réfugiés de la jungle et ceux qui continuent d’arriver. Dans quelles conditions ?

5 132 adultes et 1 932 mineurs, précisément, ont été pris en charge par l’État français dans le cadre du démantèlement du bidonville de Calais, selon le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve. À partir du 17 octobre et pendant près d’une semaine, des bus à destination de CAO (Centres d’accueil et d’orientation) disséminés dans toute la France se sont succédé dans la « jungle ». Un mois après ces multiples arrivées, comment se déroule cette prise en charge ? Jungle News a recueilli les témoignages de Jean-Marc Daveine, directeur du CAOMI d’Annemasse, en Haute-Savoie et de Damien Bazy, coordinateur du CAO de Beaucé, dans l’Ille-et-Vilaine. Deux expériences différentes – le centre d’Annemasse accueille 25 mineurs et celui de Beaucé héberge 118 adultes, mais qui éclairent les problématiques auxquelles font face les migrants et les associations gestionnaires de CAO.

Des locaux parfois inadaptés et une ouverture précipitée

Le 1er septembre, Bernard Cazeneuve confirme la poursuite du démantèlement de la « jungle » –sa partie sud a déjà été démantelée en mars- « avec la plus grande détermination », dans un entretien au journal local Nord Littoral. Pour ce faire, l’État doit créer « deux mille nouvelles places d’hébergement » en CAO d’ici la fin de l’année. À Annemasse, l’association Aries est contactée « bien après » cette annonce, « courant septembre », par la préfecture de Haute-Savoie pour gérer un CAO, explique son directeur. L’organisation dirige déjà un CHRS (Centre d’hébergement et de réinsertion sociale) destiné à des personnes en difficulté. L’association Coallia, de taille plus importante, gère des CHRS dans plusieurs régions. Elle a déjà une expérience d’accueil des migrants dans des CADA (Centres d’accueil pour demandeurs d’asile) et dans un CAO ouvert fin 2015.

À Annemasse, ce sont les locaux d’une banque alimentaire qui sont réquisitionnés. Le bâtiment, qui n’est pas conçu pour héberger des personnes, n’a ni chauffages, ni sanitaires, ni chambres. Tout doit aller très vite : l’association n’a que quelques semaines pour aménager les locaux avant l’arrivée des migrants, le 5 novembre. Aries doit engager des travaux d’aménagement –financés par l’État- pour un coût estimé par Jean-Marc Daveine à environ 120 000 euros. Une vidéo, filmée par un jeune migrant et envoyée à Jungle News par une activiste espagnole quelques jours après l’ouverture du centre, témoigne de cette précipitation. On y voit les lits des migrants, installés dans les vastes et vides salles de la banque alimentaire, séparés par les cloisons que l’association a fait installer pour rendre le plus habitable et le plus accueillant possible. Cette situation, qui s’est depuis améliorée, n’est pas un cas isolé : dans certaines communes sélectionnées pour accueillir un CAO et ne disposant pas d’hébergement adapté, ce sont parfois des hangars qui ont dû être aménagés.

Aries a fait face à une autre difficulté. Le CAO devait accueillir soixante-dix adultes et ce sont finalement vingt-cinq mineurs isolés, originaires d’Afghanistan et du Pakistan, qui sont arrivés. Une décision qu’a apprise Jean-Marc Daveine « du jour au lendemain » et qui a nécessité le recrutement de 3,5 temps pleins supplémentaires, ainsi qu’un encadrement renforcé. Contactée à ce sujet, la préfecture de Haute-Savoie s’est refusée à tout commentaire.

À Beaucé, le CAO a été installé dans un hôtel. Les lieux ont été aménagés par Coallia, avec l’aide de bénévoles de la région. Les trois quarts du personnel du centre ont été recrutés par l’association à cette occasion. Depuis leur arrivée, deux mineurs et cinq adultes ont respectivement quitté le CAOMI d’Annemasse et le CAO de Beaucé.

Une confiance difficile à gagner

Les migrants, pour beaucoup épuisés par des mois dans les conditions humanitaires indignes de la jungle et par nombre de tentatives infructueuses pour passer en Angleterre, ont souvent eu quelques minutes pour choisir la région vers laquelle ils allaient embarquer. Aujourd’hui, ceux d’entre eux qui sont installés en CAO ont un toit et un lit au chaud, mais cette nouvelle étape est aussi un déracinement supplémentaire. « Ça s’est fait dans l’urgence. Ce sont des personnes déplacées à qui on a demandé de se déplacer de nouveau, ce qui est assez compliqué au premier abord », explique Damien Bazy. Malgré le froid, la boue et la pluie, les exilés avaient tissé des liens avec les multiples associations et acteurs dans la petite ville qu’était devenu le bidonville de Calais. Une vie sociale riche et des repères que certains regrettent aujourd’hui, aussi paradoxal que celui puisse paraître.

Dans ce contexte, il n’est pas facile pour eux de s’adapter à ce nouvel environnement. « Il faut gagner leur confiance », raconte Damien Bazy. « Ils ont eu affaire à d’autres personnes auparavant et nous représentons pour eux les autorités françaises. Mais très vite, on a vu apparaître quelques sourires. » « Ça arrive tout en douceur. Ce sont des jeunes qu’il faut apprivoiser, car ils ont eu un choc culturel et ils ont du mal à s’adapter « , abonde Jean-Marc Daveine.

Petit à petit, les organisations gestionnaires des CAO ont mis en place des animations avec des associations de bénévoles et des habitants venus apporter des vêtements, du matériel, mais aussi des cours de français, des activités sportives et culturelles. À Annemasse, Aries s’est retrouvée débordée par les bonnes volontés. « Il a fallu les canaliser avec une association précise, Ancrages, avec qui nous avons construit des animations », précise le directeur du CAO. À Beaucé, Coallia coopère avec un collectif d’une douzaine d’associations locales. « Gérer un CAO, c’est aussi travailler avec ce collectif de 350 personnes. La mobilisation des citoyens est un engagement positif au quotidien », s’enthousiasme Damien Bazy.

Une situation administrative et juridique encore floue

Un mois après leur arrivée, les migrants commencent à prendre leurs marques dans les CAO et à nouer des liens avec les salariés et les habitants qu’ils côtoient, mais leur sort est toujours en suspens. Les CAO, créés par instruction interministérielle du 9 novembre 2015, sont des centres de transit, des lieux d’accueil temporaire. Comme le rappelle la charte adoptée par les ministères de l’Intérieur et du Logement en juillet, ces structures « ont pour objectif d’offrir un sas d’accueil et d’orientation pour des migrants stationnant sur le territoire français avec nécessité d’une solution temporaire de mise à l’abri. Cette période de mise à l’abri temporaire doit permettre aux migrants de bénéficier d’un temps de répit, de reconsidérer leur projet migratoire, de bénéficier le plus rapidement possible de toutes les informations et de l’accompagnement administratif nécessaires au dépôt d’une demande d’asile s’ils souhaitent s’inscrire dans cette démarche ».

À Beaucé, l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) et Coallia ont effectué un recensement des migrants à leur arrivée pour connaître leur situation administrative. Selon Damien Bazy, 62 des 118 exilés du CAO sont des primoarrivants en France, qui n’avait pas encore entrepris de démarches comme une demande d’asile dans l’Hexagone. Depuis, 44 d’entre eux ont entamé une demande d’asile. Une autre partie de ces primoarrivants veut quant à elle demander à se rendre en Grande-Bretagne au titre du regroupement familial. Mais une autre inquiétude est bien réelle. Bernard Cazeneuve a déclaré qu’il ne voulait pas « qu’à partir des CAO on procède à des opérations de ‘dublinage’ », c’est-à-dire que les migrants ayant déjà fait une demande d’asile ou déposé leurs empreintes dans un autre pays européen y soient renvoyés, comme le prévoient les accords de Dublin. « Nous nous gardons bien de faire des promesses à ce sujet », concède Damien Razy. « Il faut être lucide, nous sommes un simple opérateur [de l’État]. »

Tous les mineurs accueillis à Annemasse veulent se rendre en Grande-Bretagne, d’après Jean-Marc Daveine. Mais leur situation juridique n’a pas évolué depuis leur arrivée. Les autorités britanniques se sont rendues au CAO le 10 novembre pour les interroger, mais les migrants n’ont pour l’instant aucune nouvelle. « Certains d’entre eux avaient déjà eu trois entretiens [avec les services britanniques] à Calais. Ils ont l’habitude d’attendre. Ils tournent en rond. », relate-t-il. « Certains partiront, d’autres non. Et ceux d’entre eux qui ne seront pas acceptés risquent d’être une nouvelle fois dispatchés à l’autre bout de la France. » »

Voir en ligne : http://jungle-news.arte.tv/fr/2016/...