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Elle accueille chez elle 3 réfugiés mineurs : reportage chez Mme Hiver

Publié le 3-12-2016

Source : www.elle.fr

Auteur : Florence Besson

« Comment accueille-t-on, chez nous, ces enfants et ces adolescents qui ont déjà affronté le pire pour arriver là ? Nous avons fait connaissance avec certains d’entre eux, dans le Poitou.

Comme ça, de loin, on dirait des p’tits gars du coin. Le cœur battant à l’idée de rejoindre leurs camarades, ils surveillent la route d’où devrait surgir la voiture qui va les conduire au foot. Leurs regards se perdent dans l’horizon vert et brumeux de leur hameau poitevin : Sommières-du-Clain. Avant, Balla, Karandidé et Hasan habitaient en Guinée et au Pakistan. Ils ont 16 et 17 ans, cela fait deux à six mois qu’ils sont arrivés là, chez Laetitia Hiver, salariée de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) en tant que famille d’accueil. Ils ne le diront pas, mais c’est un passeur qui les a emmenés directement d’Italie à l’adresse de la Direction de l’enfance et de la famille de Poitiers, qui les a pris en charge. M me Hiver porte un nom de conte de fées et sa maison y ressemble, avec une grande cuisine rose, des fleurs, un chat, un chien, un lapin... Sauf que son lapin, ces enfants-là ont pensé qu’ils allaient le manger ! « J’ai hurlé », rit-elle.

Elle énumère les expériences cocasses qu’elle rencontre chaque jour avec ces adolescents : « L’un d’eux n’avait jamais eu de salle de bains et ne savait pas qu’on se séchait avec des serviettes ! Quant à Balla, la première fois qu’il a vu la dernière de mes trois filles, qui avait à peine 1 an, il a voulu la saisir par le bras, à l’africaine, pour la mettre sur son dos, Hasan, arrivé trois mois plus tôt, a alors eu la frayeur de sa vie ! Elle est un peu son bébé, pour lui qui ne parlait pas un mot de français... Ce sont plein de petites choses comme ça. Par exemple, ils laissaient la porte ouverte en sortant parce qu’ils ne pensaient ni au chauffage ni aux vols... » Maintenant, Balla et « Didé » l’appellent « Mama ». Balla et Hasan vont au collège du village, où les professeurs ont pris le temps de leur donner des cours de rattrapage pendant les vacances de la Toussaint. Balla voudrait passer le permis de conduire. Il est désolé d’apprendre qu’il faut des papiers. « C’est compliqué, la France ! » sourit-il. Il ne savait pas : les passeurs, eux, fournissent des faux en si peu de temps...

À quelques kilomètres de là, dans la banlieue de Poitiers, nous rencontrons trois autres jeunes du même âge : Najib, venu d’Afghanistan, Moussa, du Mali, et Khalidou, de Guinée. Jugés plus aptes à vivre seuls, ils ont été logés dans un petit appartement au cœur d’une résidence douillette. Ce qui frappe, c’est qu’ils n’ont rien : ils sont arrivés les mains vides. À la suite de l’afflux de jeunes en région parisienne, un système de quotas d’accueil basés sur la démographie des départements a été mis en place. Comme les 240 autres enfants pris en charge dans la Vienne, ils ont vu des médecins, des éducateurs, on leur a trouvé des habits, puis cet appartement. Le premier jour, les éducateurs de l’ADSEA (Association départementale pour la sauvegarde de l’enfant à l’adulte) de la Vienne leur ont donné une carte de bus, une autre pour la médiathèque, les ont emmenés au supermarché pour les aider à faire leurs courses. Depuis, ils se débrouillent comme des chefs, avec un budget de 49 euros chacun par semaine. Dans l’appartement, un portable a été mis à leur disposition pour appeler des éducateurs si besoin. Ces derniers passent régulièrement prendre de leurs nouvelles, vérifient qu’ils suivent leurs six à huit heures de cours de français, vont à leurs rendez-vous divers dans les associations de quartier. « C’est un équilibre à trouver, explique Aude Coigdarripe, éducatrice spécialisée de l’ADSEA. Il faut être présent, tout en les rendant indépendants et acteurs de leur vie. »

Najib va au collège, comme il le déclare avec un sourire jusqu’aux oreilles. Les trois s’entraident, font la cuisine : « Mais pas de la même façon, assure Moussa. Khalidou et moi cuisinons du poulet et du riz. » Et Najib ? « Du poulet et du riz, rit-il, mais différemment ! » Leur réfrigérateur déborde de courgettes, mais un gros pot de Nutella a bonne place dans la cuisine. On est chez des ados. Moussa lit le Coran dans ses heures de solitude mais, comme les autres, il regarde les chaînes de sport, écoute Black M, Booba et Kanye West. « Ce qui est bien ici, c’est que tu es obligé de faire des efforts, explique Khalidou. Chez moi, si je ne voulais pas aller à l’école, je n’y allais pas. Je traînais dehors, j’étais parfois livreur pour une boulangerie mais ce n’était pas assez. Ici, il y a des stages, des apprentissages, des activités sportives ou du théâtre. Moi, je veux devenir boulanger. »

Ces enfants sont partis pour un rêve. S’ils ne sont pas réfugiés politiques pour la plupart, ils ont autant que ces derniers connu l’enfer du voyage. Mandatés par leur famille, par leur village, qui s’est cotisé sur l’injonction du passeur, ils ont fait la traversée du désert collés les uns sur les autres, entassés de profil (ça prend moins de place) dans un camion et tant pis pour ceux qui en tombent, ils ont vécu l’horreur absolue en Libye, où les migrants sont torturés, violés, employés aux travaux forcés, où l’on assassine des Noirs, juste parce que c’est possible. Ils ont tremblé en mer. Les filles, peu nombreuses, sont la proie des réseaux de prostitution dont elles s’échappent rarement. Au bout du chemin, ceux qui ont survécu se doivent de réussir.

Le travail des éducateurs est d’autant plus difficile qu’il faut d’abord leur faire comprendre que la France n’est pas un eldorado. « Avant, explique Frédéric Pierre, responsable de l’Enfance et de la Famille pour le département de la Vienne, le peu de jeunes migrants qui arrivaient à Poitiers étaient des enfants issus de la bourgeoisie. Ils travaillaient d’arrache-pied et obtenaient tous de meilleures notes que moi au bac ! Mais, avec l’arrivée en masse de ces adolescents mandatés, nous avons des enfants qui, à 16 ans, n’ont pas le niveau CM1, voire qui ne savent pas ce qu’est une gomme. Ils ont vu sur Facebook des connaissances poser avec des baskets Nike au pied, ils pensent qu’ils seront médecins, qu’ils protégeront leur famille. Et puis ils réalisent que l’école, c’est très dur, qu’ici tout est réglementé, ils sont frappés de voir des Français faire la manche dans les rues de Poitiers... » Pour Aude Coigdarripe, éducatrice spécialisée à l’ADSEA : « Tout notre travail consiste à trouver le juste équilibre. Il faut les intégrer dans le milieu associatif ou des clubs de sport, par exemple, mais il faut aussi les aider à s’imaginer un avenir réaliste. » Les éducateurs de l’ADSEA ont élaboré deux stratégies pour les y aider : le « génogramme », c’est-à-dire remonter dans leur histoire familiale pour comprendre leur ambition, qu’elle s’inscrive dans leur généalogie, et le « chronogramme », qui consiste à évoquer ses pires et ses meilleurs souvenirs, pour que ces jeunes puissent s’imaginer un avenir professionnel qui ne soit pas parasité par leur passé traumatisant.

Najib a beau sourire, il ne dira rien de ce passé : « c’est trop douloureux », murmure-t-il pudiquement. « Ça peut prendre une année pour qu’ils se livrent, confirme Aude Coigdarripe. Le pire, ce peut être la mort d’un frère, d’un père assassiné par une milice au pays, la perte d’un compagnon de traversée, le départ de chez eux qui se fait parfois sans qu’on les laisse dire au revoir à leur mère. Le meilleur, c’est les souvenirs de leur famille, bien sûr, qu’ils recherchent via Internet une fois arrivés ici. Même si leurs proches ont été massacrés, nous devons les rendre vivants, en parler pour qu’un jour ces mineurs ne fassent plus de cauchemar et vivent, tout simplement. » Ces jeunes ont l’impression d’avoir abandonné les leurs, et d’avoir été abandonnés. « Quand j’ai voulu prendre une semaine avec mon mari et envoyer Hasan en colonie de vacances, comme je le fais avec mes filles, raconte Laetitia Hiver, il en est tombé malade. Didé, lui, a passé des semaines à se recroqueviller derrière moi. Je ne sais que par bribes ce qu’ils ont vécu, mais je sens qu’ils ont très peur d’être à nouveau abandonnés. J’essaie de les rendre indépendants, comme je le fais pour mes filles. » Balla, Karandidé, Hasan, Moussa, Najib et Khalidou veulent devenir peintre en bâtiment, mécanicien, plombier, cuisinier, boulanger... « Ils y arriveront, assure Laetitia Hiver, je n’ai jamais vu de gens si motivés. » Didé sourit : « On est très bien accueillis ici. Ça me fait plaisir. Et je n’ai plus faim. »

QUELQUES CHIFFRES

  • 10 000 mineurs non accompagnés sont accueillis actuellement par la France.
  • Sur 240 enfants arrivés dans la Vienne, seulement 9 sont des filles.
  • 6 000 sont arrivés en 2016.
  • Les départements chargés d’évaluer leur minorité n’en confirment que la moitié.
  • 86 nationalités différentes sont représentées. »

Voir en ligne : http://www.elle.fr/Societe/News/Ell...