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Suicide d’un mineur isolé : "Denko est le symbole de cette politique migratoire"

Publié le 13-01-2017

Source : www.lexpress.fr

Auteur  : Emilie Tôn

« Vendredi 6 janvier, Denko Sissoko, un Malien de 16 ans arrivé en France en octobre, a sauté par la fenêtre du 8e étage de son foyer à Châlons-en-Champagne. Pour Marie-Pierre Barrière, du Réseau Education Sans Frontière, ce geste met en lumière la pression que subissent ces jeunes.

Vendredi, j’étais en déplacement lorsque les jeunes du foyer m’ont appelée pour me prévenir que l’un d’entre eux s’était suicidé. Ils étaient seuls pour affronter cette situation et ne savaient pas quoi faire. Denko, 16 ans, avait sauté du 8e étage du foyer des mineurs isolés à Châlons-en-Champagne et personne ne comprenait comment une telle chose était arrivée.

Pour ses camarades, l’hypothèse de l’acte désespéré ne tient pas. Le matin même, Denko avait fait ses valises et comptait partir. S’il a sauté, c’est forcément parce qu’il a pris peur. Son voyage, comme le leur, a été tellement long et compliqué qu’attendre d’être en France pour en finir n’a pas de sens. Ils ont également fait remarquer que, selon l’autopsie, Denko avait les deux jambes cassées : il a sauté droit, comme s’il pensait pouvoir retomber sur ses pieds afin de s’enfuir.

Il n’avait reçu aucune réponse quant à sa prise en charge

Selon la version officielle, les policiers n’étaient pas présents avant le drame. Personne n’avait été envoyé pour l’arrêter. Cependant, nous savons que, même si les agents n’étaient pas là à ce moment précis, ils viennent régulièrement afin d’effectuer des arrestations. Il y a quatre semaines, un jeune Nigérian était reparti du foyer menotté. Il y a trois semaines, c’était au tour d’un Guinéen, qui s’est jeté du deuxième étage pour tenter de s’échapper. Nous pouvons donc croire que Denko suspectait une menace qui l’aurait poussé à sauter.

Le dossier du jeune malien était en cours d’évaluation. La veille, il était allé faire des tests à l’hôpital et n’avait obtenu aucune réponse quant à sa prise en charge. Sachant que très peu de ces jeunes sont retenus, il était très angoissé.

Une pression permanente

Les mineurs isolés savent qu’à la moindre incohérence, leur dossier ne sera pas retenu. Lors de leur premier entretien, ils sont questionnés et prévenus : si leurs papiers ne sont pas bons, la police -dont ils ont très peur- viendra les chercher pour les renvoyer dans leur pays. Ils sont donc maintenus dans un climat de pression très difficile à supporter. Le non-engagement pris vis-à-vis d’eux est une véritable torture. Ils voient bien qu’en quatre mois, seulement deux mineurs ont été pris en charge alors qu’à l’inverse, huit jeunes partent chaque semaine parce qu’ils n’y croient plus ou qu’ils obtiennent un refus. Le temps passe et les espoirs disparaissent à l’approche des 18 ans.

La situation autour de ces jeunes n’est pas évidente. Le conseil départemental se doit de les accueillir, mais il ne le fait pas dans de bonnes conditions, car cela pourrait ouvrir la porte à plus d’arrivants. Du coup, le travail du conseil consiste principalement à mettre les mineurs à l’abri en leur donnant les conditions matérielles nécessaires pour vivre, mais il ne les accompagne pas sur le plan éducatif et psychologique alors qu’ils sont en grande souffrance.

Toujours remis en doute

La plupart d’entre eux sont très fragiles. Pourtant, on leur demande de raconter leur histoire uniquement pour les évaluer. L’un d’eux me racontait mercredi que, lors de son entretien, alors qu’il s’apprêtait à parler de son passage en Libye [connu pour être le lieu de toutes les violences du chemin migratoire], son interlocuteur a ironisé sur sa situation en riant : "Ah, la fameuse Libye !" Leurs récits sont toujours mis en doute, sans aucune compassion.

Hier, alors que la marche d’hommage à Denko organisés par les jeunes avait lieu, les responsables du foyer ont proposé pour la première fois depuis deux ans une animation cinéma et kebab, en espérant que les mineurs renoncent à participer à l’hommage. Les jeunes ont trouvé cette proposition très irrespectueuse. Dignes, ils l’ont ignoré et se sont souvenus que depuis la mort de leur camarade, aucun responsable n’est venu leur parler. Ils n’attendent plus rien d’eux et s’organisent d’eux-mêmes, se parlent, prennent soin les uns des autres pour ne pas désespérer. »

Voir en ligne : http://www.lexpress.fr/actualite/so...