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Migrants : j’ai fait de l’humanitaire dans le monde entier. À Paris, j’ai été traumatisée

Publié le 29-01-2017

Source : http://leplus.nouvelobs.com

Auteurs : Agathe Nadimi, édité par Barbara Krief

« Enseignante et mère d’un adolescent de 14 ans, Agathe Nadimi a été touchée par l’histoire des migrants qui vivaient dans un camp de fortune à la station de métro Stalingrad à Paris, en 2016. Citoyenne solidaire, elle leur vient en aide depuis plus d’un an. Elle nous raconte son engagement.

Depuis un an, j’aide les migrants et plus particulièrement les mineurs isolés dans les camps de migrants. Je n’appartiens à aucune association ni à aucun parti politique, je me considère simplement comme une citoyenne solidaire.

J’ai été profondément touchée par l’histoire de ceux qui ont passé des mois sous le métro à Stalingrad, en plein Paris, et j’ai décidé un jour de les aider comme je pouvais. Moi, mère d’un adolescent de 14 ans et enseignante, qui vis dans la banlieue sud de Paris.

Nous allions à Stalingrad tous les vendredis midi

Tout a commencé en février 2016, lorsque sur Facebook, je suis tombée sur des images du camp de Stalingrad, à Paris.

Cette image m’a touchée au plus profond de moi. Je me suis dit que ce n’était pas possible, pas à Paris, pas en France, pas comme ça. J’en ai rapidement parlé à ma mère, qui est de nature solidaire et engagée. Elle a voyagé dans le monde entier – elle a été en Inde 34 fois ! – et elle m’a toujours amené avec elle lorsque j’étais plus jeune. C’est elle qui m’a transmis le sens du devoir citoyen et cette ouverture sur le monde.

Après avoir discuté ensemble de la situation des migrants à Stalingrad, nous avons décidé de nous y rendre chargées de tout ce que nous pouvions imaginer d’utile : des lingettes pour bébé, des biscuits, des mouchoirs, de l’eau… nous avons collectées autour de nous, apportions des couvertures, des duvets, des vêtements.

Au mois de mars 2016, nous y sommes allées tous les vendredis midi pour apporter le déjeuner, passer du temps avec eux, aider comme nous pouvions.

Ça ne peut que bien se passer

Arrivées sur place, nous avons passé de merveilleux moments. C’est difficile et la situation que vivent ces grands voyageurs est inhumaine, mais l’échange que nous créons est très fort. Quand on fait le choix d’aider, on partage forcément de jolis moments. Ça ne peut que bien se passer.

Une fois par semaine, nous traversions donc Paris dans la Twingo jaune de ma mère pour rejoindre la station de métro Stalingrad. Elle cuisinait et moi j’apportais les couverts et les assiettes en carton. Pour financer l’opération, nous avions une cagnotte commune dans laquelle nous prenions entre 60 et 100 euros par semaine.

Nous avons fait ça jusqu’à ce que ma mère parte rejoindre fin avril, sa résidence d’été à la campagne. Au moment de son départ, elle était très inquiète pour les migrants de Stalingrad. Je lui ai alors promis de prendre la relève et de continuer notre aide. J’ai plus qu’honoré ma promesse.

J’ai continué sans ma mère, pendant qu’elle aidait toujours des migrants, mais à Dreux et dans ses alentours cette fois. Parfois, il nous arrivait de voir les mêmes personnes passer. C’était symptomatique des limites du système français dans l’accueil fait aux migrants.

Fin avril, j’ai pris la décision de me consacrer à temps plein à cette action solidaire. Je venais de terminer l’année scolaire, mes étudiants étaient tous en stage ou en vacances. J’ai fait une croix sur mes vacances estivales et je suis allée à Stalingrad et Jaurès tous les jours, pendant six mois. Jusqu’à la rentrée d’octobre. Heureusement, ma situation de professeur m’a permis de faire ce choix.

"Ma pauvre dame, il n’y a pas de migrants à Paris"

Le mois de mai a été traumatisant. Il pleuvait tous les jours, les migrants étaient livrés à eux-mêmes dans des tentes qui prenaient l’eau, les cas de tuberculoses se déclaraient et la présence policière était violente.

Pour leur apporter des vivres, j’allais régulièrement dans les supermarchés de mon quartier pour leur demander leurs invendus. À chaque fois que j’expliquais ma démarche, les vendeurs ne me croyaient pas. Ils me répondaient :

"Mais enfin ma pauvre dame, il n’y a pas de migrants à Paris ! C’est à Calais le camp."

Il fallait que je montre mes photos sur mon téléphone pour prouver que je n’étais pas folle. Il faut dire que c’était tellement surréaliste.

Le coup de poker du Demie

À force de croiser des soutiens et des maraudeurs d’Emmaüs, j’ai appris qu’il y avait un besoin de professeurs de français et de faire des accompagnements pour les mineurs. Je me suis portée volontaire. Le jeudi et le vendredi, de 10 heures à midi, je donnais des cours à des mineurs isolés dans une bibliothèque de Couronnes entre deux accompagnements au Demie (Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers).

Dans les différents camps de Stalingrad et de Jaurès, il y avait beaucoup de bébés, d’enfants et de mineurs isolés.

Je voyais ces adolescents et je me disais qu’ils n’avaient rien à faire là. C’est comme ça que j’ai commencé à m’intéresser plus particulièrement à eux, livrés à eux-mêmes. Pour les mettre à l’abri, je faisais des maraudes et je les accompagnais au Demie.

Le premier contact avec le Demie permet normalement à un mineur de décrocher un rendez-vous. En attendant la date de l’entretien d’évaluation, au cours duquel il devra prouver sa minorité, le jeune est logé dans un hôtel. Seulement, il arrive que certains ne passent même pas la première étape et repartent bredouille.

Après y avoir déposé des jeunes, j’attendais dans le café d’à côté. Souvent des heures. Je voulais être sûre qu’il ne reparte pas seul sans rien. Lorsque le jeune mineur ressortait, je regardais s’il avait un petit sac vert avec lui. Si oui, cela voulait dire qu’il avait obtenu le kit de secours et qu’il avait un hôtel pour la nuit. Sinon, il était bon pour repartir dormir dehors.

Des hôtels dangereux et insalubres

J’en ai déposé des dizaines de mineurs isolés au Demie. 90% échouaient à un moment où à un autre à faire reconnaître leur minorité, pourtant évidente. Les plus "chanceux" d’entre eux, ceux qui obtenaient un rendez-vous, bénéficiaient de quelques nuits au chaud dans une chambre d’hôtel.

Attention, lorsque je parle d’hôtel pour la "mise à l’abri", il ne faut pas imaginer des établissements décents. Le staff de ces hôtels ne connait rien à la situation des mineurs qui sont logés chez eux, ce sont des hôtels touristiques qui ne sont pas fait pour les accueillir.

Du coup, les maladresses s’enchaînent et des violences surviennent. Un agent de sécurité a frappé un jeune, qu’il considérait comme un "voyou", ayant pourtant juste demandé à aller récupérer son sac dans sa chambre, avec une barre de fer sur le torse.

En plus d’être inadaptés pour les mineurs isolés, ces hôtels sont miteux, insalubres et dangereux. Il me suffisait de constater les marques de piqûres de punaises de lit sur les bras des jeunes pour savoir qu’ils y avaient dormi la veille...

Pour dénoncer ces mauvais traitements et les refus arbitraires dans les dossiers des mineurs les laissant à la rue, j’ai créé avec des amies engagées, une pétition suivie par de nombreuses associations et collectifs, j’ai demandé des rendez-vous avec la mairie de Paris, j’ai contacté Médecin sans frontière et différentes associations et j’essaie de faire avancer les choses.

Entre mon fils adolescent et mes élèves tout juste majeurs, les jeunes sont mon public. Je sais donc reconnaître si un adolescent à 17 ou 20 ans. Je crois que c’est peut être en partie pour cela que je me faisais entendre plus facilement que d’autres.

Mon fils de 14 ans a du mal avec mon engagement

Mon fils a d’ailleurs du mal avec mon engagement. Il a le sentiment que je préfère passer du temps avec les migrants plutôt qu’avec lui.

C’est vrai que cet engagement est un engrenage. C’est difficile de regarder ailleurs lorsque son téléphone sonne et que l’on sait que de l’autre côté il y a un enfant qui a besoin d’un toit pour la nuit. Surtout quand c’est un vendredi soir et que les institutions de la mairie de Paris censées l’aider ne seront pas ouvertes avant 9 heures lundi. Du coup, je décroche. Tout le temps.

Mon fils adolescent m’a vu passer des journées à accompagner des mineurs isolés au Demie ou sur les camps et des soirées au téléphone avec d’autres bénévoles. C’est aussi un état d’esprit. Je suis très préoccupée par le sort de ces personnes. Ma vie n’est plus tout à fait la même qu’avant.
Cette année, j’ai même fêté Noël dans un café solidaire avec des jeunes. Comme mon fils passait les fêtes avec son père, j’ai décidé d’accompagner trois mineurs isolés dont les hébergeurs n’étaient pas à Paris pour les fêtes. Je ne voulais pas qu’ils restent seuls.

Il m’est aussi arrivé de piquer dans les affaires de mon fils quand un gamin avait cruellement besoin de quelque chose. S’il me faut en urgence une paire de baskets en 39, je vais dans le placard de mon fils. Je comprends que ça ne soit pas très agréable pour lui, mais j’imagine qu’il comprendra plus tard, quand il sera grand.

Ma limite a été de ne jamais héberger de mineurs chez moi. Je ne voulais pas imposer cela à mon fils, ni intégrer un mineur isolé sans rien au milieu de l’abondance de ses collections du PSG.

Loin du terrain

J’ai beaucoup voyagé avec un regard solidaire. J’ai fait de l’humanitaire autant que je le pouvais, notamment au Sénégal auprès des enfants talibés des rues, et pourtant, je n’ai rien vu d’aussi horrible que ce qu’il se passait sous mes yeux à Paris.

J’ai vu des gens affamés, maltraités par la police, perdus, très peu considérés, inquiets et laissés dans la misère par la ville de Paris. Ces images m’ont traumatisée. J’ai encore leurs regards inquiets et pleins de souffrance en tête.

Aujourd’hui, j’ai pris un peu de recul par rapport au terrain. J’essaie de me réapproprier ma vie. Je ne peux plus être immergée dans cette réalité parallèle que l’on ne peut même pas imaginer. C’est difficile de faire le grand écart entre mes journées passées avec des jeunes privilégiés en école de commerce et celles partagées avec ceux qui n’ont rien et qui dorment dans la rue.

Les dernières fois ont été trop dures, comme un coup de massue. J’ai vu le camp de Saint-Denis, il y a quelques semaines, j’ai aussi vu des gens dormir assis dans les barrières porte de la Chapelle le soir et, tôt le matin, sous la pluie et dans le froid.

De Paris à Calais

Je n’ai pas mis mon engagement de côté pour autant. J’ai simplement dû reprendre mes cours, ma vie et me préserver un petit peu. Cela fait un mois que je ne suis pas allée sur le terrain. Depuis, j’aide en aiguillant d’autres personnes qui y vont et je m’informe chaque jour de la situation pour continuer des actions de fond, pour continuer à dénoncer la situation.

Je garde aussi contact avec des jeunes migrants. Pour les aider quand cela est possible.

Par exemple, je discute toujours avec Gadissa, qui a fui la guerre civile dans son pays. Je l’avais recroisé dans la jungle de Calais deux semaines avant le démantèlement. De Paris à Calais les galères n’en finissaient pas pour lui. Il a 17 ans aujourd’hui et la France ne lui a pas reconnu le statut de mineur isolé. Il tente donc maintenant sa chance aux Pays-Bas. Mais le système y est différent et rien ne semble gagné.

À ce rythme-là, il risque de devenir majeur avant d’avoir bénéficié de l’aide d’un État européen censé le protéger. Un cas qui n’est pas isolé et qui est largement symptomatique des défaillances européennes. »

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