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Mineurs isolés : en Champagne, les mains tendues aux "copains de galère"

Publié le 4-02-2017

Source : www.lexpress.fr

Auteur : Emilie Tôn

« Début janvier, la mort d’un Malien de 16 ans avait mis en lumière les conditions d’accueil des mineurs isolés étrangers à Châlons-en-Champagne. L’Express est allé voir sur place comment des habitants tentent de redonner espoir à ces jeunes hommes qui se battent pour rester en France. Reportage.

Emmitouflés dans leurs doudounes, Jean* et Ousmane* arrivent les mains dans les poches pour déjeuner avec Marie-Pierre, bénévole de l’association Réseau Education Sans Frontières (RESF). Le rendez-vous est fixé devant une brasserie sur la place de la Mairie de Châlons-en-Champagne. La professeure de français a fait leur connaissance après la mort de Denko Sissoko, hébergé dans le même foyer qu’eux, et les a aidés avec d’autres bénévoles à préparer la marche pour lui rendre hommage. Elle héberge également Jean, avec deux autres mineurs, depuis qu’il a été mis à la porte du Samie [Service d’accueil des mineurs étrangers isolés], après que sa minorité a été contestée il y a une semaine. Depuis, elle l’accompagne dans la gestion de son dossier de mineur isolé étranger évalué majeur, ainsi que pour tous ses rendez-vous administratifs.

Les deux garçons guinéens sont angoissés. Comme les autres jeunes dans leur situation, ils craignent le pire : n’être jamais pris en charge ni scolarisés, et recevoir une obligation de quitter le territoire français assortie d’un aller simple vers leur pays d’origine. C’est pour y échapper que leur ami, Denko Sissoko, un Malien de 16 ans, se serait défenestré du 8e étage de son foyer de Châlons-en-Champagne le 6 janvier dernier. Les bénévoles qui côtoient les jeunes du Samie avaient alors dénoncé la pression constante qui pèse sur ces derniers, ainsi que sur ceux qui sont "dehors" et à qui le précieux statut a été refusé.

"A Paris, les jeunes comme toi dorment dehors"

Ousmane parle peu, touche à peine à son assiette. Il craint de devoir se rendre prochainement à l’hôpital afin qu’un médecin estime son âge à partir d’un test osseux [jugé non fiable par de nombreux spécialistes]. Le jeune homme, qui a parcouru tant de kilomètres et rêve d’intégrer un apprentissage en boulangerie ne se fait pas d’illusion : ses amis ont tous eu une réponse négative après ce test. Il souhaite quitter la région, aller à Paris pour retenter sa chance. Marie-Pierre tente de l’en dissuader : "à Paris, les jeunes comme toi dorment dehors. Tu veux faire comme eux ?" Les yeux baissés, le garçon est résigné. Lorsqu’il appelle sa mère, restée au pays, il ne lui dit pas la vérité "sinon, elle s’inquiéterait trop et ne dormirait plus la nuit".

Ce déjeuner est l’occasion pour Marie-Pierre de tenter de lui remonter le moral avant de conduire Jean à un rendez-vous médical. "Elle fait beaucoup pour nous, c’est comme notre amie. Elle nous donne ce qu’on ne trouve pas au foyer," raconte Jean en sirotant un coca.

Ousmane, qui vit toujours au Samie, n’a reçu qu’une seule visite des éducateurs en quatre mois. "On ne les voit jamais. Et lorsqu’on demande un rendez-vous, ils ne sont jamais disponibles." Sur place, les jeunes passent leurs journées à attendre la réponse de la prise en charge et, en arrière-plan, à craindre que la police ne finisse par venir les chercher. Ils ne peuvent pas aller à l’école et n’ont pas d’activité. "La seule fois où on nous a proposé une sortie, c’était pour aller au cinéma et manger un kebab", raconte Ousmane. Une façon, selon lui, d’éviter de donner de la visibilité à ce rassemblement.

"Un mauvais tampon et tout s’effondre"

Après le médecin, direction le tribunal pour enfants. Jean doit y déposer sa saisine : cinq pages joliment manuscrites dans lesquelles il résume sa vie, ses deux ans en Algérie où très jeune, il a travaillé sur plusieurs chantiers, son passage difficile en Libye, en Italie, jusqu’à son arrivée ici, en France. La troupe s’engouffre dans le bâtiment où Marie-Pierre a ses habitudes. Une fois dans le bureau où doit se faire le dépôt, l’ambiance se tend. Le greffier s’adresse à Marie-Pierre et ignore les deux jeunes qui attendent discrètement en retrait.

La bénévole en profite pour vérifier l’état d’avancement des dossiers d’autres mineurs. L’un d’eux a déposé sa demande l’été dernier, mais n’a pas reçu de réponse. "La convocation a été envoyée en novembre. Si il était en fugue, ce n’est pas de notre faute", rétorque l’agent. Marie-Pierre affirme qu’il ne l’a jamais reçue. L’audience a eu lieu en son absence -la réponse est négative- et le délai de deux semaines pour faire appel est donc dépassé. L’employé est agacé et met fin à la conversation avec un certain mépris.

La bénévole est blasée : "depuis plus d’un an, les juges rejettent toutes les demandes. Et même quand ils les placent, il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Lorsque la minorité est reconnue, les administrations parviennent à trouver la petite bête pour la leur retirer. Pour eux, rien n’est jamais acquis. Je pense que c’est politique !" En témoigne l’histoire de Faizan*, un mineur pakistanais. "Tout était bon. La police pakistanaise avait même effectué les vérifications dans sa ville d’origine, raconte-t-elle. Un mauvais tampon et tout s’est effondré. L’intégralité du dossier a été remise en cause."

Sans-papiers malgré la prise en charge

Marie-Pierre fait une pause Place Tissier, en face de l’église Notre-Dame-en-Vaux. Des jeunes hommes noirs, majeurs pour la plupart, s’arrêtent pour la saluer d’une chaleureuse poignée de main celle qui les a aidés. Ils sortent de leur stage ou de leur travail. La reconnaissance et le respect se lisent dans leurs regards. L’un d’eux, grimpe dans la petite voiture remplie de dossiers de Marie-Pierre, rejoint par Saleem*, un Pakistanais de 18 ans dont la minorité a été reconnue trois ans plus tôt. Direction la sécurité sociale où les deux garçons doivent régulariser leur situation afin de bénéficier de la CMU.

Sur le trajet, la bénévole récapitule avec eux la liste des documents nécessaires. "Saleem, tu n’as pas de passeport ?" Il répond que non, il ne l’a toujours pas reçu. Pour le moment sans-papiers, le jeune homme a rendez-vous le lendemain en préfecture pour de nouvelles vérifications. Marie-Pierre doit trouver quelqu’un pour l’y emmener mais ne comprend pas bien pourquoi c’est aux associatifs de gérer cette demande de papiers, alors que le jeune était placé au foyer avant sa majorité. "Les éducateurs sont trop peu nombreux pour accompagner correctement les enfants", regrette-t-elle.

Une fois à la Sécu, l’hôtesse d’accueil leur réclame de nouveaux documents. Saleem, pourtant placé depuis ses 15 ans, n’a jamais reçu de carte Vitale. "C’est une aberration, cela aurait dû être fait il y a des années," souffle Marie-Pierre pour qui le temps presse. Avant de conduire un de ses fils à un rendez-vous, elle doit encore passer voir Brigitte, une retraitée qui vit dans une commune voisine, pour lui demander de conduire Saleem à son rendez-vous du lendemain.

Angoisse et stress post-traumatique

Brigitte vit seule dans un appartement avec deux chambres. A plusieurs reprises, cette ancienne fonctionnaire a hébergé des personnes dans le besoin, "mais à chaque fois, ce n’était que pour quelques jours". Lorsque RESF l’a sollicitée pour mettre à l’abri Paul*, un Guinéen et Mamadou*, originaire de RDC, dont la minorité n’a pas été validée, elle ne s’attendait pas à ce qu’ils restent avec elle pendant sept mois.

"Les garçons", comme Brigitte les appelle, ont plus de chance que ceux coincés au Samie. Lecture, cinéma, balade à vélo... Leur hôte fait son possible pour ne pas qu’ils laissent l’angoisse des procédures les envahir, en vain. "Ils étaient perturbés à chaque fois qu’une décision s’apprêtait à tomber." L’un d’eux souffre également de stress post-traumatique : quelques années plus tôt, il a vu ses parents être abattus à la machette. Un souvenir qui hante ses nuits.

Du réconfort à l’église

Heureusement, les "copains de galère" trouvent du réconfort autrement, à l’église notamment. Tous les dimanches, les deux catholiques pratiquants vont à la messe. Ils chantent également dans la chorale et ont intégré un chantier jeune-patrimoine dans l’Aisne l’été dernier, grâce à l’aide financière d’amis de Brigitte et du Secours Catholique.

Désormais hébergés dans un studio que loue RESF, Paul et Mamadou suivent une formation en métiers du bâtiment dans un lycée privé catholique, plus souple sur les documents nécessaires à l’inscription. Dans l’unique pièce de leur appartement, qu’ils partagent avec trois autres mineurs pris en charge par RESF, ils sont en train de cuisiner lorsque Brigitte vient leur rendre visite. Leur maman de substitution passe régulièrement. Parfois, elle amène leur nourriture préférée : "des pommes de terre et du hareng pour l’un, du chocolat pour l’autre," glisse-t-il dans un sourire.

Ce soir, les garçons retrouveront leurs colocataires autour d’un repas préparé par leurs soins. Pendant quelques heures, ils n’auront plus à courir après le précieux sésame qui ne cesse de leur échapper. "De toute façon, rentrer au pays n’est pas une option", dit Jean en souriant. "Je sais que si j’y retourne, c’est fini, plus personne ne voudra me parler."

*Les prénoms ont été modifiés »

Voir en ligne : http://www.lexpress.fr/actualite/so...