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Les mineurs isolés étrangers, de l’exil au vide

Publié le 8-02-2017

Source : https://blogs.mediapart.fr

Auteur  : Antoine Corlay

« Pour la plupart, les mineurs isolés étrangers (MIE) vivant à Paris n’existent pas aux yeux de l’Aide Sociale à l’Enfance. Le controversé DEMIE75, chargé d’établir leur minorité, refuse de leur accorder ce statut en invoquant régulièrement un défaut « d’éléments tangibles ». Après avoir fui leur pays, les jeunes déboutés restent livrés à eux-mêmes, poussés à l’errance dans les rues de la capitale.

Aux contours des poutres du métro aérien, les grillages à peines posés donnent l’impression d’une zone militarisée. Les habituels sapins de Noël ont remplacé l’amas de tentes miséreuses sous lesquelles logeaient 3800 migrants il y a encore quelques semaines. Parmi eux, beaucoup d’hommes et de femmes. Et aussi, des enfants. Dans le XIXe arrondissement de Paris, le quartier de Stalingrad n’est plus ce terrain d’accueil des jeunes exilés de la capitale. L’opération de démantèlement du camp, le 4 novembre dernier, les a dispersé aux abords des gares ou dans certains foyers. Seuls quelques uns, sans repère, parsèment encore les hauteurs de la place. Mais derrière ce calme retrouvé se cache une misère qui ne donne pas son âge.

Avenue de Flandres. Dans le local d’une association de quartier, l’ADJIE (Accompagnement et Défense des Jeunes Isolés Etranger) accueille deux fois par semaine des migrants de moins de 25 ans. Des mineurs non-accompagnés pour la plupart, séparés de leurs « représentants légaux » en France. Les formes de couleurs qui parent les volets métalliques de l’établissement rappellent l’enfance. Celle que ces rejetons du globe semblent avoir laissée sur le pas de la porte avant d’entrer. A l’intérieur de la permanence, un autre monde. L’anglais se mélange à l’arabe, au français ou au bambara malien. Le groupe d’encadrants se débrouille comme il peut pour offrir une aide juridique à ces adolescents. La plupart sont natifs d’Afrique de l’Ouest et ne parlent que leur langue. Beaucoup sont des garçons, à peine 10% des dossiers concerneraient des filles. L’association leur apporte des informations pour ne pas qu’ils ne s’enfoncent dans l’isolement. « On vérifie leurs papiers, on regarde leur situation,.. On leur donne aussi des adresses pour manger, se faire soigner, dormir,… Pour les aider au mieux, on travaille avec des avocats et d’autres groupes, comme Médecins du monde. » Christian, 32 ans, a repris ses études mais garde du temps pour le bénévolat. Depuis deux mois, cet ancien travailleur social voit passer près d’une centaine de jeunes chaque samedi, dont une partie attend dès 9h le long du bâtiment. Le centre ne ferme jamais à 13h comme indiqué. L’afflux de demandes prolonge les entretiens jusqu’à la tombée de la nuit. « C’est une lutte contre le temps, pour nous comme pour eux. Ils sont jeunes et un mois dans leur situation, c’est important. »

« Tout le monde joue au ping-pong avec ces enfants »

Bakary* faisait partie de la queue ce matin mais n’est que 15e sur la liste. Comme tous les entrants, il a écrit son nom sur une feuille volante. Ils sont 40 à l’avoir fait en à peine deux heures. Arrivé en France il y a un mois, le jeune malien est pour l’instant hébergé par une famille à Enghien-les-bains (Val d’Oise). Il attend d’être pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance, comme n’importe quel mineur isolé. Bakary dit être né le 7 juin 2000 à Bamako mais n’a pas de papier pour le prouver. Que son histoire et ses mots. Maltraité par son père, il a refusé d’aller à l’école coranique. S’en suit un périple d’un an en forme d’exil familial, financé par son oncle depuis la Libye. Point de départ, son village de Bassaka (Nord de Bamako). L’arrivée en Europe vient au bout de 6000 kilomètres, dans un centre d’accueil à Madrid. Un mois plus tard, un TGV le mène à Paris. Entre temps, Magnia, en Algérie, et Ceuta, au Maroc, ont fait office d’escales plus ou moins forcées, où se succèdent passeurs, membres de la marine espagnole et camarades de route.

Le 21 novembre, il fait récit de ce parcours auprès du DEMIE75, le dispositif d’évaluation pour mineurs isolés étrangers de Paris, géré par la Croix-Rouge. Deux jours plus tard, il reçoit une lettre de refus de la DASES, chargé d’acter la protection en cas de minorité et d’isolement avérés. Motif, écrit froidement : « Vous n’êtes en possession d’aucun document. Vous n’apportez aucun élément tangible permettant d’étayer la minorité et l’isolement que vous alléguez. » Si la présomption de minorité n’est promue par aucune loi française, le bénéfice du doute doit profiter à l’enfant au regard de plusieurs textes. La circulaire interministérielle du 25 janvier 2016 énonce, par exemple, que « la minorité est une condition d’accès au dispositif de protection de l’enfance. En cas de doute à l’issue de l’évaluation, ce dernier profite à la personne. » Cette règle est rarement respectée en pratique. Qu’importe, le temps presse. Bakary connaît maintenant sa date d’appel devant le juge pour enfant. Ce sera le 12 décembre prochain, trois semaines à peine après son évaluation. Fait rare alors que l’attente est estimée à quatre mois en moyenne.

Fraichement sorti de son entretien, Ramane* se tient près d’Audrey qui l’accompagne dans ses démarches. Le garçon ne fait rien d’autre que sourire, fébrile. « Il dit que ça va mais il en a marre. C’est la galère, on comprend rien. Il a reçu son papier de refus il y a trois mois mais on doit encore attendre le jugement. Entre temps, on va essayer de retrouver ses papiers à l’ambassade. » Intermittente du spectacle, elle a hébergé ce jeune camerounais pendant deux semaines à son arrivée d’Italie, avant qu’il change de toit. « Il ne faut pas que ça se sache, ça risque de nous poser des problèmes »[1]. Audrey passe outre. Elle était là dès son entretien au DEMIE et adresse à l’organisme les premières piques : « Les enfants sont tous stressés devant l’éducateur, mais qui ne le serait pas après ce qu’ils ont vécu. Son histoire n’a pas été jugée crédible. Pas crédible de quoi ? Regarde le ! » Ramane aussi dit avoir 16 ans mais pourrait facilement en avoir deux de moins. Il ne quitte pas son rictus espiègle, bafouillant deux-trois mots de français comme pour décrire sa gène avant de tracer sa route, à nouveau.

Bakary sort, à son tour, de son entrevue mais reste encore parmi les siens, assis sur l’un des pouffes d’une petite pièce à l’entrée. Il se sent moins seul à leur contact. « Ca m’occupe de venir. Dans ma famille d’accueil, je ne fais pas grand chose, à part lire les contes que je prends ici. » Sur le mur de cette chambre jaune, des citations d’auteurs francophones tels Milan Kundera. « Qu’est-ce qu’un individu ? Où réside son identité ? » Son voisin regarde le dernier match du Real Madrid sur son téléphone grâce au wifi. Dans le couloir, sur l’un des ordinateurs, un autre a ouvert Facebook pour parler à ses amis soudanais. Certains jouent aux cartes ou au piano dans la grande salle du bout. Chacun s’occupe comme il peut avant de retrouver Sylvie. La sexagénaire adresse conseils et embrassades chaleureuses au tout venant. « Il faut toujours que tu aies ton carnet scolaire sur toi en cas de contrôle de police. » Cette professeure d’anglais à la retraite les suit tous depuis quatre ans. Elle connait tous les prénoms et leur histoire, consignés dans un petit carnet rose. « Je leur donne du courage. Chacun est différent mais j’essaye de les faire tous avancer. » D’une voix douce, elle parle sans filtre de la situation. « Tout le monde se moque de la loi ou des circulaires et joue au ping-pong avec ses enfants. Ils se comportent tous en défenseurs des deniers de l’Etat. » Elle cible ce juge qui rend sa décision sans voir l’enfant, l’agent de sécurité du DEMIE qui refuse l’entrée au faciès ou Pierre Henry, directeur général médiatique et « sans état d’âme » de France Terre d’Asile, le partenaire gouvernemental de référence. La mairie de Paris n’est pas épargnée. « Ca ne se passe pas bien avec eux, ils sont contre notre existence puisqu’on montre leur incapacité à agir. Dominique Versini s’en fout ! Elle se torche avec nos lettres », dit-elle avec des mots qui ne semblent pas les siens. L’adjointe chargée de la protection de l’enfance leur a assuré « qu’aucun mineur isolé étranger ne dormait dans les rues ». La plupart des associations évoquent pourtant 500 errants, dont beaucoup de mineurs.

D’autres ont plus de chance. Daniel*, 17 ans, est parti d’Angola en raison de « problèmes familiaux » et reste sans nouvelle de sa famille. Depuis trois mois, il troque son portugais maternel pour le français et le parle aujourd’hui couramment grâce à son livre préféré, le manuel de conjugaison. Il a bien compris ce que la DEMIE lui reprochait. Ses papiers ne contiennent pas de photo et « ne peuvent être rattachés à l’usager ». Son passeport est resté dans un hôtel à son arrivée en France. Il ne l’a jamais retrouvé. Après réception d’une lettre de refus, l’enfant est orienté par la Croix-Rouge vers des structures adaptées à sa situation, comme le veut la procédure. Lui a dû se débrouiller seul. « Là où on m’a dit d’aller, ils ne s’occupaient pas des mineurs. Ce n’est qu’après que j’ai trouvé l’ADJIE », se rappelle t-il. Deux mois et quelques débrouilles plus tard, il est convoqué par un nouveau juge « bienveillant » qui affirme qu’il n’y a « aucun doute sur sa minorité », se rappelle Sylvie Brod. A la suite de la décision, le parquet lui délivre une ordonnance de placement provisoire (OPP). Depuis, Daniel loge dans en foyer d’accueil en attendant sa majorité. Il parlera bientôt un français parfait. Pour la doyenne de l’association, « il a eu du pot ». Mais, tous ne peuvent pas en dire autant.

Refus injustifiés, accusations de violences ou rejets au faciès,… Bienvenue au DEMIE

L’adresse du DEMIE est bien connue des ado-migrants et des associations : 5 rue du Moulin Joly (XIe arrondissement). A l’entrée, un écriteau affublé de la célèbre croix rouge dissipe le doute. L’entretien d’évaluation constitue le passage obligé de tous les MIE revendiqués. Rendez-vous pris, ils bénéficient d’une prise en charge immédiate, logés dans un hôtel ou dans un foyer en fonction des places. L’enfant est normalement reçu dans les cinq jours qui suivent​ par la Croix-Rouge, en présence d’un évaluateur et d’un traducteur. Mais l’état de saturation du système d’accueil parisien retarde ce délai, parfois jusqu’à un mois. Malgré le décret du 24 juin 2016, qui régit l’ensemble de ce circuit, des irrégularités demeurent.

Les allées-et-venues sont incessantes. Il y a foule. Kwouam*, juste un pull bleu sur le dos, vient de sortir du bâtiment. C’est sa deuxième fois au DEMIE. A la la première, « l’homme à l’entrée » lui a dit que « son cas ne pouvait être traité ici ». Il ne sait pas combien de temps il a attendu cette fois. « Très très longtemps ». Pendant son passage, plusieurs questions types : « D’où tu viens ? », « Pourquoi quitter ton pays ? », « Comment es-tu venu ? » Et puis plus rien. Camerounais au visage poupin, il n’a pas été reconnu mineur, sans photo sur ses papiers. Là encore. Ce motif est récurrent alors qu’aucun acte de naissance, comme celui qu’il a présenté, n’en a. « Le DEMIE a même dit que j’avais refusé l’hébergement qu’on me proposait alors que c’est faux ! Heureusement, j’ai un ami de ma famille chez qui je peux dormir. » Beaucoup de personnes, investies sur la question des MIE, relèvent des dysfonctionnements dans la gestion du centre parisien. Pour Renaud Mandel, président de l’Association pour la Défense des Mineurs Isolés Etrangers (ADMIE), l’évaluation est le premier problème : « Le dispositif ne prend pas le temps d’évaluer correctement le parcours de ces jeunes, fatigués de leur voyage et stressés à l’idée de parler. Plusieurs entretiens longs sont nécessaires alors qu’ il n’y en a qu’un seul de 30 minutes… » Après plusieurs opérations de comptages, à la sortie du bâtiment, de nombreux associatifs tablent sur un rejet de plus de 80%. « C’est sans compter les jeunes qui ne parviennent pas jusqu’à l’évaluation », précise Renaud Mandel.

Deux migrants viennent de rentrer. Ils en sortent aussitôt, refoulés à l’entrée. On leur a dit de revenir dans une heure. Un autre gamin, tout juste dehors, prend le chemin inverse. Il est abattu. On lui a dit non à lui aussi, lui intimant de revenir avec des papiers valides. Il ne comprend pas très bien ce qui lui arrive, et ne sait pas où aller. « Je vais voir là bas », indique t-il avec son bras tendu dans le sens de la route. A l’intérieur, un « agent d’accueil » controversé surveille les entrées. C’est lui qui actionne la porte depuis que la grille est cassée. « Aucune personne non-mineure n’est autorisée à rentrer, c’est la règle », dit-il d’un ton ferme à travers la vitre. Mais il peut aussi interdire la chaleur du hall à certains enfants. Pendant trois mois, jour après jour, Agathe Nadimi en a accompagné à l’entrée. Cet professeur d’école de commerce n’appartient à aucune association mais reste l’une des citoyennes les plus actives sur la question des MIE. Elle a été témoin de cet accueil arbitraire. « Il y bien sur des rejets au faciès à la grille, en fonction de la pilosité ou de l’apparence. Qu’il soit en possession d’un papier officiel ne change rien. J’ai même rencontré un afghan de 15 ans à qui on reprochait que ses papiers avaient plus d’un an. Mon passeport en a bien deux ! » A l’ADJIE, Sylvie Brod connait bien ces histoires pour avoir effectué, elle aussi, des rondes à l’entrée ou recueilli les témoignages de centaines de mineurs rejetés : « La sécurité fait en partie le tri à l’entrée en leur disant de faire plutôt une demande d’asile ou que seuls les moins de 14 ans sont acceptés. C’est évidemment faux. »

Agathe Nadimi va plus loin. En août dernier, alors qu’elle retournait au DEMIE pour récupérer des adolescents, elle assiste à une scène de violence inouïe. Raccompagné au commissariat du 3e arrondissement par une femme croisée par hasard, un égyptien de 14 ans s’était fait déposer par des policiers devant l’établissement. Sauf qu’il était déjà venu, contraint à partir par l’agent posté à l’entrée. Le retour de l’enfant aurait déclencher la colère de l’employé. « Il lui a déboité l’épaule en le trainant sur une centaine de mètres par le bras jusqu’à la sortie. Les policiers ont assisté à la scène. Ils étaient scandalisés, et on fait un rapport. » Le commissariat du XIe arrondissement convoque même la trentenaire comme témoin, pour une audition mandatée par le procureur des mineurs. D’après le "Pôle MiE" de l’Antenne des mineurs du Barreau de Paris, deux faits de violences auraient été constatés sur 2000 évaluations depuis le début de l’année.

Malgré plusieurs demandes, la directrice du DEMIE75, Stéphanie Leroux, n’a pas répondu de ces accusations. Injoignable, ses services redirigent ses appels vers la structure du 93, le Pôle d’évaluation pour mineurs isolés étrangers (POMIE) de Bobigny. Marie Launay en est la responsable du service éducatif. D’abord surprise, elle rejette tout en bloc, à commencer par le tri à rentrée : « C’est n’importe quoi. Je connais très bien une partie de l’équipe du DEMIE75, pour avoir travaillée avec, et elle ne met pas dehors des gamins au faciès, jamais ! ». Pareil pour les possibles agressions : « Il n’y a pas de violence de la part des éducateurs, il faut arrêter avec ça ! Par contre, certains enfants désespérés peuvent être menaçants mais on est toujours extrêmement bienveillants pour éviter que la situation ne dégénère. J’ai déjà été confrontée à des faits de violence et j’appelle la police très facilement. » Les motifs de refus sont, eux aussi, balayés : « On ne refuse pas l’évaluation parce qu’il n’y a pas de photo. 95% des enfants disposent d’un extrait de naissance et il n’y en a jamais dessus. Seuls les passeports en ont, et la plupart sont donnés par des passeurs. » Pourtant, la majorité des dossiers sont bien rejetés par l’organe parisien au motif que les papiers « ne peuvent être rattachés à l’usager », faute de photo d’identité.

« Maltraitance institutionnelle »

Après l’entretien au DEMIE, les conclusions de l’évaluateur sont envoyées au Service d’éducation pour les Mineurs Non-Accompagnés (SEMNA). D’après la plateforme Info-MIE, référence sur la question, son objectif est « de réguler les admissions et renforcer la mise à l’abri des MIE en amont d’une prise en charge par l’aide sociale à l’enfance ». Après examen, le dossier est transmis à la Direction de l’Action sociale, de l’Enfance et de la Santé (DASES) chargée de remettre la décision à l’intéressé « en main propre ». Un circuit en trompe l’oeil selon Agathe Nadimi : « Après l’échec de la PAOMIE [remplacée par le DEMIE en janvier 2016], la mairie a voulu rajouter un filtre comme caution d’indépendance. Mais ça ne change rien dans les faits. »

Les MIE, une fois reconnus comme tels, bénéficient de la protection de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), comme n’importe quel mineur non-accompagné. L’association France Terre d’Asile leur trouve alors des hébergements, listés en fonction des places disponibles. Un éducateur du DEMIE veille ensuite à les y emmener. Ces hôtels sont les mêmes que ceux dont bénéficient les jeunes en attendant leur évaluation. Certains de ces endroits seraient invivables. Surtout pour des enfants : « Il y en a des miteux, sans douche, infestés de punaises ou de galle.. On a aussi recensé des violences. Le pire c’est le Saint-Sebastian, à Saint-Ambroise. Dans ce cas, la plupart de ces jeunes préfèrent dormir dans la rue », déplore Agathe Nadimi. Pour y retrouver les refusés du DEMIE. Condamné à contester la décision devant le juge pour enfant, l’adolescent ne peut compter que sur lui-même et sur les associations pour éviter de vivre dehors « près des gares de l’Est ou d’Austerlitz, ou vers Etienne Marcel ». Agathe Nadimi finit par s’interroger : « Pendant leur recours, ils sont considérés comme majeur ou mineur ? ». Cette question, qui hante le milieu de défense des MIE, a donné lieu à un terme inédit : le « mi-jeur ». Référence aux enfants qui se revendiquent mineurs, papiers à l’appui, sans qu’on leur reconnaisse ce statut. Ils sortent de la protection de l’ASE, y compris pendant la procédure d’appel auprès du juge pour enfants. Pour autant, 50% des demandes faites au DEMIE seraient finalement validées par la justice, selon l’ADMIE. Preuve du « profond malaise » qui entoure l’administration, comme se désespère à le dire son président Renaud Mandel.

Pour Catherine Delanöé-Daoud, les juges tableraient davantage sur 15%. « Mais je pense qu’ils sous-estiment le chiffre. Quoi qu’il arrive, ces enfants auront passé leur nuit dehors pendant des semaines. C’est de la maltraitance institutionnelle. » Cette avocate au barreau de Paris, spécialisée en droit de l’enfance et de l’asile, partage l’amertume des associations. Elle s’est engagée dans le combat il y a cinq ans en tant que co-responsable du pôle « MIE » à l’Antenne des Migrants. La permanence de consultations, et ses 30 membres, ont défendu plus de 500 mineurs non-accompagnés depuis le 1er janvier 2016. A elle seule, Maitre Daoud en a représenté 45. « Tout mineur en danger sur le territoire français doit bénéficier d’une protection de l’Aide sociale à l’enfance, d’après l’article 375 du Code civil. En pratique, c’est peu respecté ce qui institue un régime dérogatoire, voir discriminatoire, pour les MIE. » Elle aussi pointe le manque d’efficacité du dispositif, fondé uniquement sur les déclarations du jeune et le refus succinct de la DASES. Mais l’évaluation de la minorité n’en est pas à ses premiers flottements. La circulaire Taubira du 31 mai 2013 l’avait modifiée en instaurant un « faisceau d’indices », après entretien et vérification de papiers. Le même texte relègue, par ailleurs, l’« expertise médicale de l’âge », ou test osseux, en cas de « doute persistant ». En principe seulement. « C’est pire en ce moment. Un nouvel article mal rédigé du Code civil (art. 388) parle de ‘documents d’identité’. Mais lesquels ? Pour l’instant, le juge l’interprète pour parler de passeport ou de carte d’identité. Des documents avec photos qu’ils n’ont pas ! » La plupart des 14 juges pour enfants invoquent l’utilisation de faux papiers pour pérenniser la pratique du test osseux. « On peut acheter les mêmes à Stalingrad ! » serait l’une des phrases les plus tenues en entretien pour la justifier. Polémiques, ces examens, radiologie des dents de sagesse, du poignet ou de la clavicule, sont remis en cause pour leur faible fiabilité. L’Académie nationale de médecine parle même d’une marge d’erreur pouvant atteindre dix-huit mois. Un enfant de 16 ans, âge moyen des dossiers traités, se transformerait alors en majeur. « C’est un âge médical et pas civil. Au lieu d’une présomption de minorité, ça devient une suspicion de majorité. Ce qui créé un statut ‘à part’. » pour Catherine Delanoë-Daoud.

Pierre Henry trouve ces remarques hypocrites. « Cela fait quinze ans que les associations dénoncent l’expertise osseuse pour la remplacer par une évaluation sociale. Aujourd’hui, les mêmes critiquent le processus tel qu’il est devenu. » L’humanitaire, à la tête de France Terre d’Asile depuis 1997, parle de « courant de pensée » pour décrire la présomption de minorité. Son avis est tranché sur le sujet. « Je ne suis pas d’accord pour que toute personne se déclarant mineure soit protégée. Ce n’est pas parce qu’on se dit mineur qu’on l’est réellement. La vulnérabilité est une chose mais elle ne suffit pas. » Il n’a pas non plus une grande estime de « ces » associations, jugées trop critiques à l’égard du mécanisme. « A l’époque de la PAOMIE [prédécesseur du DEMIE, remplacé en janvier 2016], on nous reprochait de ne déclarer mineurs que 50% des migrants après évaluation. C’est une équation impossible. Tout gestionnaire qui viendra sur ce terrain essuiera les mêmes critiques des mêmes personnes. »Il se veut plus virulent encore : « Ces voix qui s’élèvent ne connaissent rien de la réalité du terrain. Il faut rester dans son bureau à Paris pour ne pas se rendre compte de la situation ! ».

« L’heure est à l’action, pas à l’étonnement ! »

Pierre Henry dresse le portrait d’une France coupée en deux sous le poids de l’accueil. En cause, des départements qui réguleraient leur protection aux MIE. « La ville de Paris est bien plus ouverte sur la prise en charge des mineurs que ne peuvent l’être d’autres départements. Un certain nombre ne jouent pas le jeu mais qui peut les obliger ? » La cellule nationale des mineurs isolés étrangers en a recensé 6920 au 25 novembre. Paris s’en est vu confier 163, soit 2,13% de la répartition nationale, moins que la Seine-Saint-Denis (199) ou le Nord (323) mais bien plus que la Vendée (68). Entre autres textes, l’article 40 du Code de la famille et de l’aide sociale scelle l’aide sociale à l’enfance comme « un service du département chargé de plusieurs missions » dont celle d’apporter « un soutien matériel, éducatif et psychologique aux mineurs (…) confrontés à des difficultés sociales susceptibles de compromettre gravement leur équilibre ». Ce mépris des textes concerne aussi la convention internationale des droits de l’enfant que la France a pourtant ratifié en 1991. Son application s’apparente au symbole à la lecture des articles 2 [principe de non-discrimination], 3 [prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant] et 20 [obligation de l’Etat de protéger l’enfant privé de son milieu parental]. En février, la France a été rappelée à l’ordre par le Comité des droits de l’enfance, chargée de l’application du traité, au motif que les mineurs isolés n’ont pas suffisamment accès aux droits. Le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) s’est quant à lui ému d’un contexte victimaire à leur égard durant l’évacuation du bidonville de Calais, début novembre. En cause, la façon dont l’âge a été déterminé dans le dispositif des mineurs. Le HCR juge l’évaluation « rapide » et le système de tri « inadéquat ». Au soutien de ces déclarations, Jacques Toubon révèle, lui aussi, les manquements de l’Etat. « Très grande vulnérabilité », incitation à une « meilleure scolarisation », tests osseux vus comme « inadaptés, inefficaces et indignes »,.. Le Défenseur de droit n’a cessé de contribuer à cet élan de dénonciation.

A Paris, les conditions de vie indignes des MIE sont connues des services municipaux. Au moins depuis cet été. Agathe Nadimi s’est chargée elle-même d’en rendre compte à Flore Capelier, la conseillère protection de l’enfance de Dominique Versini. L’adjointe à la Mairie de Paris est « évidemment au courant ». Déjà reçue plusieurs fois par son cabinet, la « citoyenne engagée » se voit comme un « super-relai de terrain » : « J’ai fait des retours réguliers de mes maraudes, de la vie dans les campements, … Il y a trois semaines, j’ai envoyé un mail pour évoquer le situation catastrophique des hôtels dans lesquels dormaient les enfants. Réponse : « Je m’en étonne ». Mais l’heure est à l’action, pas à l’étonnement ! ». L’avocateCatherine Daoud, également écoutée par la Mairie, dénonce, elle aussi, ce statut-quo mais nuance l’inaction départementale : « Pour la Mairie, ça reste un super dispositif mais elle en connait les failles. Une réflexion est en cours pour l’améliorer en vue des prochains flux migratoires à venir. Ils sont conscients de la situation. Tout le monde a intérêt à ce que le mécanisme soit efficace. »

Pourtant, la Mairie semble rester sourde aux revendications des associations. Une pétition sur change.org en exprime les principales. Porté par Isabelle Jenoc, membre de la Commission droit des enfants d’Amnesty International, aux côtés d’Agathe Nadimi et Florence Roy, journaliste engagée avec son blog-vidéo Salam quand même, cet « appel de Paris » rassemble près de 7000 signatures. Première nécessité : « que tous les mineurs isolés soient accueillis, mis à l’abri, 24h sur 24 et 7 jours sur 7 dans un lieu adapté ». Renaud Mandel et l’ADMIE la soutiennent aussi : « Il faut faire en sorte que la mise à l’abris soit immédiate. D’abord on accueil, ensuite on évalue. » En tant que co-responsable du pôle « MIE » de l’Antenne des Mineurs, Catherine Delanöé-Daoud acquiesce sans oublier de préciser certains points : « On aimerait avoir la décision de rejet écrite et le compte-rendu de l’entretien du DEMIE dès que le jeune nous saisit. Il faut aussi harmoniser les dispositifs d’évaluation sur tout le territoire français. » L’avocat assure l’existence de cas où certains jeunes, déclarés mineurs à Paris, ont été considérés majeurs dans un autre département après entretien devant un nouveau juge. Pour le moment, aucune structure réservée aux MIE n’est prévue. La loi le justifierait pourtant afin que « leur évaluation puis leur placement définitif se fasse dans des conditions dignes, dans le respect de leurs droits », selon la pétition. Seul projet en cours, prévu pour courant janvier, le futur centre humanitaire d’Ivry (Val-de-Marne) sera réservé aux femmes isolés et aux familles. Dans l’attente d’un projet viable et personnalisé, les jeunes étrangers de la capitale continuent leur pérégrinations. L’un de leur terrain d’errance actuel n’est autre que le centre humanitaire du boulevard Ney.

Le centre « Hidalgo », porte de la Chapelle, ne désemplit plus depuis son ouverture, début novembre. L’entrée de l’énorme dôme blanc bardé de jaune et gris représente le nouveau rendez-vous incontournable de la vie des migrants parisiens. Le remplissage est quotidien selon les bénévoles. Seuls les majeurs isolés peuvent occuper l’un des 400 lits du camp d’hébergement mais la bulle, qui offre un accueil « inconditionné », voit défiler des familles et des mineurs. Le vendredi soir, les entrées s’arrêtent net pour ne reprendre que le lundi. Conséquence directe de cette coupure, les premiers jours de la semaine restent les plus chargés. Avec les 60 à 70 arrivées journalières de migrants à Paris, cela fait 200 nécessiteux devant les grilles pour seulement 40 à 50 places du centre. A 17h ce lundi, la nuit s’apprête à reprendre ses droits et près d’une vingtaine de jeunes exilés attendent encore, sous 5 degrés.

Nathalie* ne fait que ça depuis 10 jours. Ces cernes parlent pour elle et ses 10h de travail quotidien. Bénévole à plein temps pour le compte d’Utopia56, l’association qui aide à l’accueil des migrants avec Emmaüs, elle n’a « aucune expérience dans le domaine des réfugiés » mais apprend vite. « C’est la réalité du terrain qui nous forme. Il n’y pas meilleur endroit qu’ici, à l’entrée, pour se rendre compte de la situation. » Le nez rougi par le froid, elle a déjà vu passer « trop de jeunes » depuis son arrivée, sans savoir vraiment s’ils étaient mineurs. On l’a distingue grâce au dossard blanc, flanqué des lettres vertes de l’association, et à ses deux talkie-walkies. Un gros pour les soucis de logistiques (manque de nourriture, de thermos de café, …) et un petit pour les affaires plus urgentes, afin de joindre directement les représentants. Sophie* lui fait dégainer le second. « J’ai deux mineurs de 17 ans ici ! », crie t-elle. La jeune fille, humanitaire d’un jour, tient dans sa main un papier de l’Office Français de l’immigration et l’intégration (OFII) sans comprendre de quoi il s’agit. Elle veut juste savoir si les jeunes iront à l’intérieur du centre pour y passer la nuit. A priori non, l’accès au camps leur est interdit. Sauf à transmettre ce genre d’appels, Nathalie ne peut rien. « J’appelle mais pour l’instant, il faut attendre. »

Sur le trottoir, ces jeunes étrangers en perdition trouvent accueils chaleureux, boissons chaudes, et gâteaux en espérant le gîte. Marion, tout juste licenciée en droit, s’emploie à ce que ce soit fait. Elle a consacré le début de son année sabbatique en tant que bénévole auprès d’Utopia56. Présente lors du démantèlement de la « Jungle » et de l’ouverture du camps de Grande Synthe, elle est depuis une semaine l’une des quatre salariés parisiens de l’association. A quelques mètres du boulevard Ney, elle a de nouvelles habitudes au « Paris’Go ». Ce petit bistro, installé en face d’une station service, accueille chaudement la plupart des bénévoles éreintés, désireux d’oublier la misère du jour autour d’un verre. La jeune juriste est attitrée aux questions des mineurs isolés, preuve que le sujet n’est pas si éloigné du centre qu’on peut le penser. Au pieds levés dès 7h, elle reconnait que « c’est très dur en ce moment » mais ne se plaint jamais. Les plis sous ses yeux sont les mêmes que sa camarade. Ses ongles, rongés jusqu’à l’os.

Dans le centre, la procédure pour les MIE est claire : « On les accueille à l’extérieur pour les faire rentrer directement dans la bulle, sans faire la queue. Dedans, Emmaüs s’occupe des entretiens. Ils sont ensuite accompagnés par un bénévole jusqu’au DEMIE. » La politique d’Utopia56 est tout aussi limpide : « On propose à tous les mineurs une chambre d’hôtel sur nos fonds propres en cas de non-prise en charge par le DEMIE. On est pas une grosse association, on a pas les moyens d’héberger tous les paumés ou recalés. Ils sont trop nombreux. Mais il faut le faire. » En dix jours, Marion a compté plus de 1000€ de frais d’hôtels. Les salariés et bénévoles avancent les sommes avant d’être remboursés par l’association, quelques jours plus tard. Si le geste est à saluer, il prouve aussi que l’Etat, et la Mairie de Paris, se déresponsabilisent du problème, aux dépends des associations.

L’un de ses téléphones sonne. C’est celui des urgences « mineurs ». Presque tous les ado-migrants qu’elle croise note ce numéro. « Ca les rassure. Ils peuvent appeler quand ils ont froid ou faim. » L’enfant au bout du fil a 17 ans mais sa minorité lui a été refusée par le DEMIE. Il s’épuise à attendre que sa famille, restée au pays, lui envoie son acte de naissance et s’apprête à déposer une demande d’asile en tant que majeur, pour améliorer au plus vite sa situation. Marion valide. « C’est une bonne idée, les procédures sont très longues, j’ai peur que tu perdes un an. » L’espace d’un instant, sa voix se veut plus apaisante. « Tu essayes de me rappeler ce week-end. Si t’as besoin de quelque chose, j’essaierai de te le ramener. Plein de courage », conclue t-elle, les yeux brillants.

« A Calais au moins, on savait où ils étaient »

Marion garde espoir pour mieux leur en donner. Si certains ne viennent qu’une fois, d’autres sont habitués des lieux, suivant son conseil de « toujours revenir au centre s’ils se perdent ». Le plus dur reste de nouer le premier contact. « Généralement, ils se débrouillent tout seul et refusent notre aide, préférant dormir dans la rue. Ils ont perdu toute confiance, surtout en l’homme blanc occidental. On leur donne quand même des kits d’hygiènes ou des vêtements chauds mais on ne les force à rien. Vu les circonstances actuelles, je ne suis personne pour leur dire quoi faire. », affirme t-elle, ponctuant ses phrases par des « voilà » nerveux.

La Mairie de Paris, et le gouvernement, ne sont pas exemptes de critiques là encore. Marion le sait. « Le cas des mineurs isolés est pire à Paris qu’à Calais. Au moins là bas, on savait où ils étaient. Depuis le démantèlement du camp de Stalingrad, ils sont éparpillés un peu partout. » Elle refuse pour autant de « casser du sucre » sur le dos des politiques « quand ils essayent d’arranger les choses », louant le courage de la maire Anne Hidalgo d’avoir ouvert le premier centre humanitaire dans la capitale. Dans sa logique, « le négatif n’est pas constructif ». C’est ce qui la pousse à dénoncer la notion de « tri », argument principal des détracteurs du camp pour critiquer la hiérarchie de la misère. « Avant l’ouverture, personne n’était à l’abri. Maintenant ça permet au moins de se concentrer sur tous ces gens dans la merde, en étayant les procédures judiciaires, en les orientant à l’entrée… Mais il faut soutenir le projet tout en disant ce qui ne va pas sinon ça ne marchera jamais. » Optimiste, elle reste persuadée que « le centre est le début de choses plus grandes encore ». Second appel sur le téléphone d’urgence. Cette fois, c’est Yann Manzi, le président d’Utopia56. « Tu m’apportes de bonnes nouvelles ? »

Ce soir, au carrefour du boulevard Ney, elles sont seulement quatre volontaires, dont Nathalie, à gérer la distribution de vivres. En tout, une quinzaine de bénévoles garnissent les rangs de l’association, alors qu’il en faudrait « au moins le double pour être efficace ». Autre denrée rare, l’information. « Je suis censée leur donner des indications sur une situation que je ne comprends pas moi même. Et puis, le manque de dialogue entre associations n’aident pas », commente tristement la trentenaire. Nathaliese trouve confrontée à des moments humainement compliqués, comme face à ce jeune, sac de voyage sur le dos, qui insiste pour qu’on lui ouvre les grilles : « Qu’est ce qu’on fait maintenant ? Laissez-moi entrez s’il vous plait. Je reste calme, je veux juste aller aux toilettes ». La mine défaite de ne pouvoir lui venir en aide, elle lui rétorque : « Je suis désolée, je ne peux pas. Il y a des toilettes de l’autre côté de la rue si tu veux.. » L’envie lui est finalement passée. Autre réalité qu’elle s’habitue à accepter, le poids de l’impuissance. « Je me demande à quoi je sers quand je vois autant de personnes défiler tous les jours. Mais même si je n’ai pas d’emprise sur ce qui se passe, j’aide comme je peux. » Autre scène, autre contexte.Il y a quelques jours, elle a assisté à des « violences policières ». Elle est encore sonnée. Des migrants se sont faits « gazés », forcés à se disperser loin du centre humanitaire. Aujourd’hui, les trois policiers postés devant l’entrée ont changé et aucun d’eux n’étaient présents ce soir là. L’un porte fièrement le fusil. Un autre, l’air grave, est mutique. Le dernier, imposant brailleur, rappelle les directives : « On est là pour assurer l’ordre, pour qu’y est pas de bordel. Si ça commence à s’agglutiner, à déborder sur le trottoir, on disperse. Le lacrymo, c’est un moyen coercitif, rien de plus. » Pour la plupart des bénévoles, les policiers « ne savent rien du camps, juste qu’il s’agit de migrants. Et encore. » Bien après la fermeture des grilles, certains réfugiés sans repères décident de s’assoupir sur un banc, près du tramway. D’autres veulent faire la queue dès 4h du matin pour avoir l’un des premiers lits de la journée. Le centre ne distribue plus de tickets d’entrée pour éviter les pertes et les échanges. La polémique sur les tampons, apposés sur les vêtement pour prouver le passage, a enterré l’idée. Maintenant, c’est « premier arrivé, premier servi ». Mais les forces de l’ordre les brident chaque soir au nom d’un « trouble à l’ordre public », les obligeant à fuir pour mieux revenir à l’ouverture de 8h. Comme quelques vagabonds étrangers, aidés depuis le petit matin, Nathalie est sans toit. Pour le moment, elle dort à l’intérieur du centre, dans une salle prévue pour elle et cinq autres bénévoles. Demain, à son réveil, elle sera déjà sur place et s’activera à nouveau, les mêmes images en tête.

Il est 18 heures passées sous le pont Haingerlot. A l’abri des regards, on distribue des couvertures pour parer au grand froid qui s’annonce. De jeunes migrants, enroulés dans leur boule de laine, font marche commune sous le périph’. D’autres patientent devant l’entrée du centre, l’espoir au corps. Personne ne sait encore où il dormira cette nuit.

*Les prénoms ont été modifiés

Notes :

(1) Cedric Herrou, agriculteur de la Roya, est actuellement jugé pour aide à l’entrée, à la circulation et au séjour de personnes en situation irrégulière. L’article L622-4 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers exclue pourtant toute poursuite pénale lorsque « l’acte reproché était, face à un danger actuel ou imminent, nécessaire à la sauvegarde de la vie ou de l’intégrité physique de l’étranger ». »

Voir en ligne : https://blogs.mediapart.fr/la-chape...