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Pour arriver en France, ces adolescents passent « par l’enfer »

Publié le 25-04-2017

Source : www.respectmag.com

Auteur : Roxanne D’Arco

« « Mineurs isolés étrangers », dit les MIE… C’est un terme froid, qui cache des visages. Ceux d’enfants et de jeunes adolescents ayant pris bien des risques, et bravé d’énormes obstacles, pour venir ici. Respect mag en a rencontré deux d’entre eux et leur laisse la parole.

« J’ai quitté vers 14 ans le pays parce que j’avais un problème avec ma marâtre ». Tiens, le mot peut surprendre, un peu comme si l’on se retrouvait devant un conte pour enfants ou un vieux roman. Pourtant, ce mot vient de la bouche de Lansana, jeune Guinéen de 15 ans, bientôt 16. Il y a un an, l’adolescent est arrivé en France après un long voyage, lui aussi d’un peu moins d’une année.

Des histoires familiales compliquées

La marâtre, c’est la première femme de son père. Sa belle-mère. En effet, le père de Lansana avait deux femmes, la seconde étant la mère de l’adolescent. Cette dernière finit d’ailleurs par quitter la maison, laissant son fils derrière elle comme l’exige son ex-mari. « Chez nous, il n’y a pas des questions de juge pour décider avec qui rester, explique Lansana au téléphone, au début, c’était bien mais ma marâtre et ses enfants sont devenus méchants avec moi. C’est pour ça que je suis parti. »

Des histoires de famille difficiles voire tragiques, c’est aussi le cas de Mamadou. Lui aussi originaire de la Guinée, il est arrivé en France en octobre 2016 et a aujourd’hui 17 ans. Suite à un accident de voiture, il y a quelques années, sa mère et ses deux petits-frères meurent, alors qu’ils reviennent d’un mariage. Son père devient alcoolique, et se retrouve à la rue avec Mamadou. « Je suis parti sur le marché – la Madina -, et j’y suis resté jusqu’à ce que le frère de ma mère vienne me chercher », raconte le jeune homme.

« Pour elle, j’étais un enfant du malheur »

Mais les choses se passent mal avec la femme de son oncle. « Pour elle, j’étais un enfant du malheur. J’avais tué ma mère et mon père. Mais je restais poli envers mon oncle et sa famille. J’étais reconnaissant. Un jour, alors que mon oncle était reparti sur la route – il était routier – et que j’avais commencé l’école, ma tante est venue me voir avec des hommes qu’elle avait payée. Je ne pouvais pas me défendre. Ils m’ont attaché à un arbre, et m’ont frappé. C’est là que j’ai perdu une partie de mes dents. » Mamadou montre ses gencives en même temps qu’il raconte, laissant apercevoir un manque de plusieurs dents, en haut, à droite. Il explique avoir encore des cicatrices sur le dos.

« Le lendemain matin, on m’a détaché. J’ai foncé à la Madina, là où mon oncle m’avait trouvé. J’ai gagné un peu d’argent et suis resté quatre mois. Mais ma tante a entendu que j’étais là-bas, et a voulu me récupérer. Elle me disait toujours « je vais te tuer, je vais te tuer », j’étais certain qu’elle allait vraiment finir par le faire. Donc je suis parti », développe l’adolescent, d’une voix basse, faisant des pauses tout en regardant ses mains.

De la Guinée à la Libye : « un autre monde » …

Mamadou prend alors la route vers Bamako, la capitale du Mali. De là, il passera par le Burkina-Faso et ira jusqu’en Libye. De son côté, Lansana quitte le pays avec un million de francs CFA, l’équivalent de 100 euros. S’il est passé, lui aussi, par le Mali, l’adolescent s’est arrêté quelques temps en Algérie. Il explique : « Là-bas, j’ai rencontré des migrants maliens avec qui je travaillais. C’est eux qui m’ont parlé de l’Europe. Ils m’ont donné la force d’y aller, j’avais peur avant. Après huit – neuf mois de travail d’esclavage, on est parti. On travaillait sur des chantiers, c’était vraiment très difficile. Et puis ça ne payait pas. C’est comme ça… »

Mais comme pour un très grand nombre de migrants, les adolescents sont passés par l’enfer dans le pays en guerre, depuis la chute de Mouammar Kadhafi, en 2011. Si Mamadou en parle peu, il finit cependant par lâcher : « Là-bas, les Arabes sont d’autres personnes… Eux aussi m’ont frappé avec des bâtons. Quand on te voit, on te prend. Il y a même des Arabes qui m’ont abusé, forcément. C’était un autre monde. C’était très dur. Je suis resté au moins trois mois parce que je n’avais plus d’argent. J’ai décidé de venir en France pour sauver ma vie. »

« Ils ont tiré sur nous comme des poulets »

Depuis plusieurs mois, les ONG s’alarment sur les mauvais traitements subis par de nombreux migrants en Libye. L’Organisation internationale pour les migrations (OIM) a récemment révélé l’existence de « marchés aux esclaves », où des migrants seraient vendus, subissant violences sexuelles et/ou travail forcé.

La Libye, c’est aussi un synonyme d’enfer pour Lansana. Alors qu’il tente une première fois la traversée de la Méditerranée, l’embarcation est stoppée par l’armée libyenne. Durant un mois, l’adolescent et les autres « passagers » se retrouvent en prison. « On était plus de 1 000 dans la prison. On vous donne une madeleine et un yaourt le matin, puis la pâte à 22h, dans une toute petite assiette. C’est lorsqu’on nous a appelé le soir, pour manger, qu’on a décidé d’enfoncer la porte pour s’évader. Ils ont tiré sur nous comme des poulets. Beaucoup de gens sont morts, 64, sans compter les blessés. Dieu m’a aidé, j’ai survécu à ça. » Lansana réussit à quitter la ville. Encore aujourd’hui, il ne peut s’empêcher d’ajouter « les Libyens, ce ne sont pas du tout des gens biens ».

La traversée

« La deuxième traversée, c’est un Camerounais qui m’a donné cent euros pour la faire. C’est grâce à ça que je suis aujourd’hui en France », se rappelle Lansana. Il embarque à 5h du matin. Il lui faudra huit heures dans l’embarcation avant d’atteindre les eaux internationales et qu’un bateau les récupère. Après deux jours en mer, le voilà qui arrive en Sicile. « Ce n’était pas facile. Il y a beaucoup de migrants, donc ils ne peuvent plus trop bien accueillir les migrants. J’ai décidé de partir en France », résume-t-il en quelques phrases.

Mamadou ne développe pas vraiment non plus cette étape. Une fois arrivé en Italie, il a refusé de donner ses empreintes, souhaitant directement partir en France. Comme beaucoup, il a pris le train jusqu’à la ville de Vintimille, avant de traverser la frontière à pied.

Welcome to Paris ?

Si le jeune homme ne sait plus vraiment le nom de gare parisienne dans laquelle il a fini par arriver, il se souvient être allé se présenter à la police. « Ils m’ont demandé mon âge puis appelé une assistante sociale pour m’emmener d’abord à l’hôtel. C’était propre. » Pour autant, ce n’est pas la fin des difficultés pour Mamadou. Après évaluation, l’adolescent n’est pas reconnu comme mineur. « On m’a dit que vu que je suis venu seul de Guinée en France, je pouvais me débrouiller seul, qu’on ne pouvait rien pour moi. C’est au centre d’évaluation qu’on m’a dit ça ».

Mamadou ne sait pas où aller, et après plusieurs péripéties, il finit à Stalingrad, où des milliers de personnes campent chaque nuit. Après leur évacuation par la police, quelques semaines plus tard, le centre d’urgence pour les demandeurs d’asile ne peut le garder – étant réservé aux personnes majeures – et le font réévaluer à Couronnes, à Paris. « C’était encore une fois négatif. Je suis retourné à Stalingrad où je suis resté trois semaines cette fois. J’ai appelé le centre d’hébergement où j’étais avant, à Suresnes. »

Cette fois, l’adolescent finit par avoir une dérogation pour rester. Mais les démarches administratives sont longues, et l’adolescent, buvant son jus d’orange à Paris, en terrasse, a bien du mal à sourire. Il est malgré tout content de quelques avancées : des personnes qui ont pu l’aider, mais aussi de sa rentrée à l’école Thot !

La paix à Orléans ?

Paris n’a pas été très accueillante aussi pour Lansana. Il y a bientôt un an, il a fini par débarquer à Orléans, dans le centre du pays. Lui aussi a connu la rue après son évaluation, à laquelle il n’a pas été reconnu mineur. C’est grâce à une association qu’il a pu finalement faire valoir ses droits, et même aller au collège, où il est actuellement en troisième. Il est d’ailleurs plutôt littéraire. « Les mathématiques, ça me chauffe la tête ! », ajoute-t-il en riant.

Pourtant, l’intégration n’est pas forcément très facile : « Malgré le fait qu’on me traite des fois de Bledard, ça va ! On vit avec ça, on n’a pas le choix ! Les gens me demandent des fois pourquoi je suis venu, ils ne savent ce qu’est la souffrance. Ils se moquent un peu de toi, mais on n’a pas le même vécu. Leur avenir, leurs parents l’ont préparé. Moi, c’est moi tout seul. On n’est pas pareils. »

Une vraie maturité qu’il essaie aussi de partager avec ses amis, restés en Guinée. Pour lui, « ils voient tes photos sur Facebook, mais ils ne se rendent pas compte des risques et je n’ai pas le temps de leur en parler comme je vous en parle. J’ai école. Mais eux, ces photos, ça leur fait croire que c’est tranquille, ils ne réalisent pas qu’il faut passer par l’enfer. Des fois, j’essaie de leur expliquer mais ils pensent que je ne veux pas qu’ils viennent. Je leur dis après qu’ils font ce qu’ils veulent. Sinon, ils vont penser que je ne veux pas leur bonheur… »
Pour Mamadou et Lansana, ce qui a fait la différence, ce sont les rencontres et l’aide de citoyens comme Olivier. Malgré des hauts et des bas, ils gardent espoir et veulent réussir à construire quelque chose en France, et comme dit Mamadou, « changer [sa] vie ». »

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