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« En France, la question des mineurs isolés ne fait partie du débat public »

Publié le 28-04-2017

Source : www.rfi.fr

Auteur : Par Sinatou Saka

« Quand Rozenn Le Berre commence à travailler comme éducatrice dans un service d’accueil pour les jeunes exilés arrivés en France sans leurs parents, l’expérience tourne à la désillusion. Dans son dernier livre, De rêves et de papiers, elle dénonce une « administration dans l’illégalité » face à « des jeunes malmenés par l’exil ». Par cette description acerbe de l’administration qui a oublié son sens de l’humanité, Rozenn Le Berre nous livre de l’intérieur un récit littéraire fort. Entretien.

RFI : Pourquoi on n’entend pas parler de la question des mineurs isolés à l’étranger à votre avis ?

Rozenn Le Berre* : Les mineurs n’osent pas témoigner de leurs conditions difficiles parce qu’ils sont dans une situation précaire et fragile. Et c’est un sujet très complexe, à la croisée des chemins entre la protection de l’enfance et les politiques migratoires. Si on laissait des mineurs français à la rue, ça rentrerait directement dans le débat public. Pourtant, on n’est pas censé faire de distinctions de nationalités pour les mineurs. C’est une question de volonté politique parce qu’en 2016, il y avait 8 064 mineurs isolés étrangers en France. A l’échelle de 64 millions d’habitants, ce n’est pas grand chose. On a parfaitement les moyens de les accueillir. La question que je pose c’est pourquoi on ne le fait pas ? Alors même que les textes obligent à ne pas faire de distinction. L’institution est dans l’illégalité.

A quel moment avez-vous compris que travailler au sein d’un service d’accueil pour les jeunes exilés n’était pas fait pour vous ?

Je pense que j’ai su dès le début que je n’étais pas tout à fait en accord avec ce qu’on allait me demander dans ce métier. Pas au moment de l’entretien d’embauche mais dès les premiers jours de travail. Je ne savais pas du tout où je mettais les pieds. Je n’avais absolument pas anticipé tous les aspects du travail et notamment l’aspect problématique de participer à une certaine forme de sélection qui met une partie des jeunes sur le carreau parce qu’ils ont le tort d’être ou d’avoir l’air majeur.

Le déclic a été le moment où j’ai commencé à m’habituer à la violence de ce système et à la précarité qu’on impose aux jeunes. A partir du moment où on perd ce sentiment de révolte et le sentiment d’injustice, il faut partir. Parce que tous les jours, on annonce à des jeunes qu’ils vont dormir dehors alors même que c’est illégal et qu’ils sont censés être hébergés. C’est vrai que petit à petit, malgré moi, je m’habituais à annoncer aux gens qu’ils allaient dormir dehors et ça me touchait de moins en moins. Il y a particulièrement un jeune qui s’écroule à mes pieds et il me supplie de faire quelque chose et ça ne me fait rien du tout. Là je me suis dit, qu’il était temps d’arrêter. Je sentais que mon blindage était devenu trop épais et que c’était le moment de partir. Un blindage trop fin, ça veut dire qu’on va fonctionner uniquement à la sensibilité et qu’un jeune qui nous touche plus, on va mieux l’accueillir qu’un jeune qui nous touche moins. Et trop épais, on ne peut pas travailler non plus parce qu’on va devenir une machine administrative et perdre ce côté humain qui est nécessaire à l’intérieur de ce système.

Lorsque vous travailliez, vous aviez déjà en tête d’écrire un livre ?

Non, pas du tout. J’ai commencé à écrire au moment où j’ai su que j’allais partir. Au moment où je partais, j’ai eu peur. J’ai eu peur d’oublier et de passer à autre chose trop rapidement et j’avais envie qu’il reste une marque de ce qui c’était passé dans ce bureau et de ces rencontres qui m’ont beaucoup marqué. J’ai commencé à écrire pour moi et ensuite, j’ai compris qu’il fallait ouvrir la porte de ce huis clos administratif car on ne sait pas trop ce qui se passe quand les réfugiés, les migrants arrivent en France. Je pense qu’il y a beaucoup de non dits et que les institutions sont conscientes que la manière d’accueillir n’est pas correcte et pourrait être améliorée. Mais comme c’est encore assez secret et que la question des mineurs isolés ne fait pas partie du débat public, j’ai l’impression que la situation n’évolue pas.

Qu’est ce qui vous a le plus agacé dans ce travail ?

Le manque de moyens. Une grosse partie de notre travail, c’était de dire à des gens qu’on ne pouvait pas les aider et qu’on ne pouvait pas les accompagner. Pourtant, le rôle du travailleur social, c’est de s’adapter à la personne en face et de chercher une solution. Pourtant, là, on était dans l’incapacité d’accompagner les gens reconnus majeurs. Et pour ceux qui se déclarent mineurs, nous n’avions pas de places d’hébergement en attente de la décision administrative. Cette politique du tri entre mineurs et majeurs est très mauvaise. Je ne vois pas pourquoi à 17 ans et demi, on est beaucoup plus vulnérable qu’à 18 ans et demi. Il y a un effet pallier qui fait que les vies basculent avec le passage à la majorité. Il faudrait développer des choses pour les jeunes majeurs. Il n’y a quasiment rien pour les jeunes majeurs. On peut penser que ces derniers jouent avec le système mais c’est loin d’être ça. Dans une logique de survie, comme tout le monde, ils essaient de s’en sortir avec la moins mauvaise des solutions qui est de diminuer leur âge. S’il y avait des solutions pour les jeunes majeurs, personne ne déformerait son âge pour rentrer dans la bonne case.

Vous en parlez peu dans le livre. Qu’est ce qui se passe une fois qu’on est reconnu mineur isolé à l’étranger ?

Une fois que le département a dit oui, le jeune passe devant le juge des enfants qui décide de la durée de placement. En général, c’est un an mais c’est renouvelable assez facilement. Ils sont pris en charge jusqu’à majorité. Ensuite, ça dépend du bon vouloir des départements : il y en a qui sont assez volontaristes et qui développent des contrats jeunes majeurs pour prolonger la prise en charge jusqu’à 21 ans. Dans d’autres départements, le jour de leur anniversaire, à 18 ans, ils les mettent à la porte. Ce qui est absurde parce que ce sont des jeunes qu’ils ont accompagnés, des jeunes scolarisés qui se retrouvent du jour au lendemain sans aide.

Vous dénoncez les limites de l’administration dans l’établissement de la minorité ou de la majorité d’un jeune. Est-ce qu’il y a une discrimination à l’arrivée des jeunes mineurs isolés à l’étranger ?

Non pas du tout, les jeunes sont traités de la même manière. On n’est pas du tout sur les mêmes critères que pour le droit d’asile par exemple où on va essayer de savoir si la personne était persécutée dans son pays d’origine. Pour les mineurs, peu importe l’origine, ce qui compte c’est la minorité et l’isolement. Après, quand le jeune aura 18 ans et qu’il veut obtenir un droit d’asile par exemple, son parcours et ses difficultés peuvent avoir de l’importance mais pas lorsqu’il souhaite avoir un statut de mineur isolé à l’étranger.

Vous pensez retourner dans ce boulot ?

Non, je me suis grillée (rires). Et avec le recul que j’ai pris pour l’écriture du livre, je ne veux plus participer à ce système injuste.

Avez-vous des nouvelles de vos anciens collègues ?

La plupart approuvent la démarche. Ils se posent tous des questions mais ils ne veulent pas forcément lire le livre de peur d’affronter les limites de leurs actions. »

Voir en ligne : http://www.rfi.fr/hebdo/20170428-fr...