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Dans le sud de l’Italie, les centres d’accueil des jeunes migrants débordés

Publié le 21-06-2017

Source : www.lemonde.fr

Auteur : Par Maryline Baumard

« Avec l’été, les arrivées se multiplient en Calabre. Parmi les personnes secourues, de plus en plus d’enfants ou d’adolescents venus sans leur famille.

Tee-shirts sales et chaussettes propres emmêlés ; couvertures tire-bouchonnées sur le pied des lits… Après leurs longs mois de route, Mohamad, Assan et Boubakar réapprennent doucement les règles de la vie sédentaire. Face à la plage de Melito, dans la banlieue de Reggio di Calabria, tout au sud de l’Italie, 90 autres mineurs, venus comme eux d’Afrique, tentent de dépasser le bonheur d’être arrivés en vie en Europe.

Un matin d’avril, l’Ivoirien, le Malien et le Nigérien de 17 ans sont descendus d’un bus devant l’hôtel Stella Marina, où on leur a donné la chambre qu’ils partagent désormais. Quelques jours plus tôt, ils s’étaient entassés dans un canot sur une plage libyenne, avant d’être secourus par le bateau d’une ONG puis débarqués dans le port de Reggio di Calabria, la capitale de la Calabre.

L’été est à peine installé que, déjà, la pointe de la Botte vit au rythme des débarquements. Un en mars, trois en avril, quatre en mai et déjà deux en juin pour le seul port de Reggio… Chaque fois que Rome prévient la préfecture de la province de l’arrivée d’un bateau humanitaire, le petit groupe What’s Up, composé des officiels, de la sécurité civile, de Caritas et de quelques rares ONG étrangères, se prépare.

« La plupart y restent jusqu’à leur majorité »

Dimanche 18 juin, [...] Reggio, qui voit ses écoles et ses hôpitaux déjà sous-dotés, a encore reçu 20 mineurs. Ils viennent s’ajouter aux 50 du débarquement précédent, aux 800 envoyés là depuis le début de l’année et aux 1 845 arrivés en 2016.

« Les fugues depuis ces centres ouverts oscillent entre 10 % et 50 % », estime l’une des travailleuses sociales de la mission de Médecins du monde en Calabre. Les gamins érythréens filent vers la Suède ou l’Angleterre. Pour les autres, « si la loi prévoit désormais que le séjour dans les centres de premier accueil ne devrait pas excéder un mois, faute de place ailleurs, la plupart y restent jusqu’à leur majorité », rappelle Jean-Pierre Foschia, coordonnateur de l’ONG.

Ce qui explique que les 35 centres calabrais pour mineurs soient saturés. D’autant que, en 2016, un seul des 25 000 mineurs isolés ayant débarqué en Italie a été accepté dans un autre pays d’Europe dans le cadre de la réunification familiale.

« Nous venons de lancer un nouvel appel d’offres pour en ouvrir de nouveaux centres », indique-t-on à la préfecture de Reggio, où l’on se réjouit de la quinzaine de propositions déjà remontées. Mais, s’il faut répondre à l’urgence, les autorités doivent aussi s’assurer du sérieux des candidatures : les 45 euros quotidiens (35 pour les adultes) octroyés par Rome pour la prise en charge d’un adolescent ne suscitent pas que des vocations humanitaires.

Sentiment d’être piégés

Si Giusi Malaspina, la gérante de l’association du Stella Marina où vivent Assan et Mohamad, passe pour un modèle de sérieux, d’autres sont moins regardants. Une association, très présente à Reggio, fait actuellement l’objet d’une enquête. Des mineurs arrivés en août 2016 ont travaillé des mois durant sans toucher un centime. Et plusieurs se sont retrouvés à la rue pour avoir réclamé leur dû.

« J’ai perdu un an et, entre-temps, je suis devenu majeur », commente l’un d’eux, conscient qu’en Italie, comme ailleurs, seuls les mineurs ne sont pas expulsables. [...]

Dans une ville voisine de Reggio, les lustres en verroterie, aujourd’hui dépourvus d’ampoules, et la porte à tourniquet de bois de la bâtisse en face de la gare rappellent la splendeur du lieu passé. Désormais, les jeunes migrants qu’elle abrite racontent qu’ils se vêtent avec ce qu’ils trouvent dans les poubelles et ne mangent que du pain et des pâtes dans cet hôtel où leur situation administrative semble aussi suspendue que l’écoulement du temps. Ils se sentent piégés.

Personne n’ose en parler, mais la Ndrangheta ne serait pas étrangère à cette situation. La mafia calabraise prélève en effet son obole du juteux marché de l’hébergement des migrants, estimé à 3 milliards d’euros en 2017 en Italie.
[...]

Rêves enterrés

A cause de l’urgence de la situation, la prise en charge des adolescents reste très disparate. « On ne peut blâmer personne, car, ici, on ne laisse pas les gens dormir dehors et on les nourrit. En revanche, nous souhaitons accompagner les autorités dans leur montée en gamme », observe Jean-Pierre Foschia. Médecins du monde est l’une des seules ONG vraiment présentes en Calabre ; les autres lui préférant souvent la Sicile voisine.

[...]

Juste avant, en matinée, Alberto Polito, le psychologue de l’ONG, avait travaillé avec un autre groupe sur les rêves d’Europe. « La rudesse du voyage oblige les migrants à se concentrer sur l’instant. Une fois retombé le bonheur d’être arrivés, ils perçoivent que l’Europe n’est pas ce qu’ils attendaient. A partir de là, nous les aidons à se construire un avenir », résume-t-il.

Vendredi, dans des bouteilles en plastique coupées en deux et remplies de terre, une dizaine de garçons ont planté leur rêve le plus cher, inscrit sur un petit papier à côté de graines de piments. Toutes les graines ne sortent pas de terre, comme le savent bien ces Africains habitués aux sols arides. Certains comprendront qu’Alberto Polito leur explique par cette métaphore que leur rêve de devenir footballeur, par exemple, restera peut-être à jamais enterré. »

Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/europe/articl...