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Mineurs migrants, un chemin semé d’embûches

Publié le 6-10-2017

Source : www.laprovence.com

Auteurs : Jérémy Michaudet et François Rasteau

« Partis de chez eux depuis des mois ou parfois des années, ces enfants seuls sont de plus en plus nombreux à entrer en France par les Hautes-Alpes.

Le flux de migrants mineurs ou majeurs à la frontière franco-italienne semble s’estomper lentement. Un pic a été atteint cet été. Certains espèrent silencieusement que les chutes de neige vont limiter, voir empêcher le passage de migrants en France. Les contrôles aux frontières se sont multipliés depuis deux ans, depuis le sommet de la COP 21 et des attentats terroristes de Paris et de Saint-Denis. Double objectif pour les autorités et les préfets des départements frontaliers : la sécurité et la lutte contre l’immigration irrégulière.

Fuyant sans-doute les combats, la misère, les migrants tentent leur chance, trop souvent au péril de leur vie, en traversant mer et montagne. De nombreux mineurs dits "non accompagnés" (MNA) font le voyage. Les Conseils départementaux ont l’obligation de les "mettre en sécurité" et d’évaluer leur minorité. Un coût pour les collectivités qui tirent la sonnette d’alarme. Des majeurs tentent aussi leur chance mais tous espèrent obtenir le statut de demandeur d’asile, soit en France ou dans un autre pays européen. Malgré les nombreuses prises en charge (assurées par l’État, les départements, les communes, les associations, etc.), trop d’adolescents se retrouvent sans famille, ni abri.

Manque de place d’hébergement. Abandonnés à eux-mêmes, certains choisissent la délinquance comme porte de sortie. Souvent des petits délits pour limiter la précarité.

Une vallée s’indigne. La parole des habitants se libère, pour ou contre l’accueil des migrants. Un agriculteur dénonce une chasse aux réfugiés, quitte à multiplier les gardes à vue avec ou sans la présence des caméras. Pour les bénévoles associatifs qui offrent leur temps et même leur argent, le combat pour l’entraide est loin d’être terminé.

Hautes-Alpes : l’épuisant parcours des réfugiés mineurs

Chargé de la protection de l’enfance, le département fait face à un flux important de jeunes réfugiés. Plus de 800 depuis le début de l’année. La collectivité doit déterminer si le jeune est bel et bien mineur

Assis, impassible sur un banc ou sur un muret, croisant le regard des passants et des boulistes qui jouent habituellement sur le parvis du Conseil départemental des Hautes-Alpes à Gap, Youssola attend. "Je suis ici depuis 15 jours. Je suis parti de Guinée avec mon frère qui est mort en Libye où j’ai été frappé en prison matin et soir pendant deux mois", raconte le jeune migrant qui affirme avoir 16 ans. Son oeil gauche est sérieusement gonflé. "Je vais faire une démarche car je veux me faire soigner ici et repartir en Guinée où vie ma famille", assure le garçon qui parle péniblement français.

Youssola est pour l’instant hébergé dans une salle paroissiale à Gap. "On a acheté de la nourriture, des vêtements et des chaussures. On les soutient. On les écoute. Les récits sont parfois très durs. Il faut s’en occuper et ne pas avoir peur. Ce sont des gosses", raconte Hélène, une bénévole, âgée de 67 ans, qui partage sa vie entre la France et l’Afrique.

Dans le cadre de la protection de l’enfance, les Conseils départementaux disposent depuis 1982 de la "compétence", c’est-à-dire l’obligation de mettre en sécurité puis d’évaluer la minorité des migrants se déclarant Mineurs non accompagnés (MNA). Évaluer la minorité mais également l’isolement ce qui signifie que le migrant ne peut pas être pris en charge par un membre de sa famille résidant en Europe.

180 jeunes dans l’attente d’une évaluation

"Nous recherchons les cohérences et les incohérences dans les parcours de vie lors d’une évaluation (cahier des charges défini par arrêté ministériel, NDLR) qui se déroule, face à face, pendant une heure et souvent avec l’aide d’un interprète au téléphone", explique Béatrice Longueville, directrice des politiques de prévention et de l’action sociale au Conseil départemental des Hautes-Alpes.

"Nous prenons en compte la situation familiale en tenant compte des cultures, du niveau scolaire, du parcours migratoire avec les raisons du départ, du financement, de la posture et du physique ou encore de l’état de santé physique ou psychique et du projet de vie", décrit Marie Florentin, chargé de la coordination de la cellule MNA. La décision, lourde de responsabilité, est collégiale. Au-delà des conditions de vie manifestement très rude en Afrique, ces jeunes justifient fréquemment leur départ dans le but de fuir leur famille.

Alors que 28 jeunes - se présentant ainsi comme mineur - ont été pris en charge dans les Hautes-Alpes en 2015 et 65 l’an dernier, près de 800 jeunes se sont déjà présentés depuis le début de l’année. Face à cet afflux problématique, le Département a engagé cinq travailleurs sociaux. Près de 50 évaluations sont examinées chaque semaine. Le temps d’attente est d’un à deux mois.

Actuellement, 180 jeunes sont dans l’attente d’une évaluation et sont hébergés dans des structures spécialisées ou des colonies de vacances et des hôtels loués par la collectivité. Coût total : 2 millions d’euros pour l’année 2017. "L’État devrait rembourser 1 million d’euros. Reste à notre charge 1 million d’euros. J’attends de l’État une prise en charge totale des frais engagés (pour la part des mineurs provenant des pays étrangers, NDLR) comme s’est engagé à le faire le Président Macron", a défendu dernièrement le président (LR) du Conseil départemental des Hautes-Alpes, Jean-Marie Bernard. Une motion a été adoptée en ce sens à la majorité par les conseillers départementaux.

70% des jeunes sont reconnus comme mineurs

"Même si l’accueil des mineurs est une compétence du Département, l’État prend en charge 250 euros par jour et par personne, pendant cinq jours pour les frais d’accueil provisoire. De plus, le gouvernement vient d’annoncer que l’État va prendre financièrement en charge 30 % de plus pour les mineurs placés définitivement", souligne le préfet des Hautes-Alpes, Philippe Court.

"Une fois que leur minorité est confirmée, la plupart des jeunes qui sont arrivés dans les Hautes-Alpes sont placés par le procureur de la République dans d’autres départements (jusqu’à leur majorité, NDLR). Une vingtaine dans les Hautes-Alpes sur les 200 dossiers examinés depuis le début de l’année dans le département", précise-t-il également. Pour les Hautes-Alpes, 70 % des MNA sont effectivement reconnus comme mineurs. Ceux qui font l’objet d’un refus administratif et qui sont donc considérés comme majeurs peuvent déposer une demande d’asile en préfecture, un recours gracieux auprès du Département ou encore saisir le tribunal. C’est le cas du jeune Alfa qui assure avoir traversé le Mali, l’Algérie, la Libye et l’Italie avant de passer la frontière par le nord des Hautes-Alpes. Impossible à vérifier. "J’ai 15 ans. J’ai été renié par mon papa. Je suis parti de Guinée. Après l’évaluation, on m’a répondu, il y a 15 jours, que j’étais majeur. J’espère pourtant vivre ici", raconte Alfa. Lui aussi est pour l’instant hébergé dans la salle paroissiale gapençaise.

A Marseille, la délinquance de mineurs non accompagnés

Il ne s’agit pas - du tout - de règlement de compte à la Kalachnikov sur fond de trafic de drogue, encore moins d’actes de terrorisme. Mais de délinquance liée à la survie - vol, recel, parfois stupéfiants - de migrants mineurs seuls sur le territoire français, sans famille ni abri. Cette délinquance, que l’on pourrait qualifier de vivrière, serait en hausse à Marseille, au point que la préfecture de police commencerait à s’en inquiéter.

Une donnée confirmée par la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) : "Il y a une augmentation du nombre de mineurs non accompagnés (MNA) détenus, affirme Luc Charpentier, directeur territorial de la PJJ dans les Bouches-du-Rhône. À l’Établissement pour mineur (EPM) de la Valentine, ils représentaient 12 % des effectifs en 2015, 18 % en 2016 et 26 % en 2017. Depuis le début de l’année, dans le département, 140 jeunes non-accompagnés ont suivi un recueil de renseignements socio-éducatifs de la part de nos services suite à leur interpellation par la police. Parmi eux, treize jeunes ont été envoyés à l’EPM." Et de préciser : "Ce sont des détentions de courte durée, ils ne sont pas là pour des délits graves : vol, recel ou infraction à la législation sur les stupéfiants."

Comment expliquer cette recrudescence d’actes délictueux de la part de cette population spécifique ? Tout d’abord, elle serait liée à l’augmentation du nombre de MNA dans le département, et plus spécifiquement à Marseille : "Nous sommes au-delà de 400 jeunes passés par notre service depuis le début de l’année, c’est exceptionnel", confie Didier Le Monnier, directeur du service Mineurs non accompagnés (MNA) de l’Association départementale pour le développement des actions de prévention (Addap13), chargée par le Conseil départemental de la mise à l’abri, l’évaluation et l’orientation des mineurs étrangers.

Et Didier le Monnier de commenter : "Attention aux amalgames, tous ceux qui se disent mineurs ne le sont pas forcément. Mais il est vrai que ceux qui ont moins de 18 ans sont dans une situation de précarité, isolés, le plus souvent après un parcours migratoire difficile. Cela les rend très vulnérables, et il faut les protéger." "Ces gamins traînent dehors, ce sont des proies faciles pour les réseaux de trafiquants - drogue, cigarette - et il peut y avoir des risques de radicalisation, complète Luc Charpentier, de la PJJ. Nous travaillons en lien avec l’Addap13, qui assure l’évaluation de ces jeunes, c’est-à-dire qui définit s’ils sont réellement mineurs et réellement isolés. Mais souvent, les MNA nous échappent car il n’y a pas de véritable lieu d’évaluation. Le système étant saturé, ils disparaissent de la circulation."

"Ils sont plus à plaindre qu’à craindre"

En effet, le manque de places d’hébergement lors de cette période particulière - l’Addap n’ayant à sa disposition que 21 lits, même si ce nombre serait en train "d’augmenter sensiblement" - fait que ces ados restent à la rue. "Entre le moment où un jeune se présente à l’Addap et où il est mis à l’abri, il se passe actuellement plus de deux mois", assure Me Laurie Quinson, avocate spécialisée en droit des étrangers."Si les mineurs isolés sont une compétence du Conseil départemental, la gestion des mineurs isolés étrangers est une compétence de l’État. Et nous n’avons toujours pas eu retour sur notre demande d’aide", affirmait pour sa part début septembre Martine Vassal, présidente du Conseil départemental (*).

Le 10 juillet, le gouvernement annonçait l’élaboration prochaine d’un plan d’action consacré aux MNA et, le 15 septembre, promettait une augmentation de sa participation financière pour soutenir les départements, lesquels ont la charge de l’Aide sociale à l’enfance.

Il y a urgence à se donner les moyens de la prise en charge de ces jeunes. Pour protéger et les victimes potentielles des rapines, et ces mineurs encore trop souvent abandonnés à eux-mêmes. "Ils sont plus à plaindre qu’à craindre", conclut Michèle Paquentin, directrice territoriale adjointe de la PJJ. »

Voir en ligne : http://www.laprovence.com/article/s...