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Abdallah Allouch, 19 ans, mort poignardé et abandonné par le Conseil départemental de Seine-et-Marne

Publié le 10-09-2018

Source : www.bondyblog.fr

Auteur : Nesrine Slaoui

Extraits :

« Arrivé en France clandestinement en septembre 2015, Abdallah Allouch avait pourtant réussi à se faire une place grâce à son travail. Lycéen en CAP carreleur-mosaïste, il a vu sa prise en charge par le département de la Seine-et-Marne brutalement interrompue quelques mois avant d’être diplômé. La justice a sommé le Conseil départemental de reprendre la prise en charge mais a toujours refusé. Expulsé de son foyer, en grande souffrance, il a été retrouvé poignardé dans un squat où il avait trouvé refuge. Portrait posthume.

Juste avant les dernières vacances de printemps, Marie-Pierre était préoccupée. Cette assistante scolaire en lycée à Provins (Seine-et-Marne) n’allait plus voir son élève pendant deux semaines. « T’inquiètes pas, je vais chez des potes », lui a écrit, rassurant, Abdallah par SMS. Le jeune Egyptien de 19 ans dormait pourtant dehors depuis trois mois, souvent dans des squats. La raison ? En janvier 2018, le Conseil départemental de Seine-et-Marne a décidé de cesser sa prise en charge de son contrat jeune majeur. Conséquence : plus d’hébergement ni d’aides sociales pour le jeune homme qui finissait pourtant sa formation en CAP de carreleur-mosaïste. Ce texto est le dernier d’Abdallah à Marie-Pierre avant qu’il ne soit tué le 2 mai 2018.

CAP, cours de français et rêve d’intégration

(...) Un peu plus d’un an après son arrivée, le jeune mineur est placé sous tutelle de l’État en décembre 2016 et confié à l’association « Espoir Centres familiaux de Jeunes » (Espoirs- CFDJ) à Tournan-en-Brie (Seine-et-Marne). L’éducation nationale lui choisit un avenir de carreleur et l’inscrit en CAP au lycée professionnel Les Pannevelles de Provins. Il y découvre l’internat et s’inscrit aux cours de soutien avec Marie-Pierre.

Dix heures par semaine pendant un an et demi, Abdallah a appris à écrire, à lire et à parler français avec d’autres jeunes migrants. Abdallah était un élève sérieux, assidu et bosseur. Cette année, il l’a validée avec 15,8 de moyenne. Il s’appliquait « avec une extrême politesse, avec le respect des anciens et du savoir » se souvient Marie-Pierre, encore retournée par ce qui est arrivé. Elle a conservé précieusement les discussions et les photos de son élève.

(...)

Le département de Seine-et-Marne refuse d’appliquer une décision de justice

Mais en janvier 2018, sa situation s’est subitement dégradée avec la suspension de sa prise en charge et son expulsion de son foyer. Selon le chef de l’exécutif du 77 de l’époque, Jean-Louis Thiériot, qui a quitté le conseil départemental pour siéger à l’assemblée nationale, sa situation ne relevait plus d’un accompagnement éducatif par l’aide sociale à l’enfance en raison de la majorité du jeune homme. Il s’est donc retrouvé à la rue dès le 22 janvier dernier, dans « un état de vulnérabilité physique et psychologique (…) qui affectait son parcours scolaire », écrit le tribunal de Melun dans son ordonnance.

Le 21 mars 2018, la juridiction a ainsi annulé la décision du département le contraignant à maintenir la prise en charge du logement d’Abdallah et de ses besoins alimentaires et sanitaires jusqu’à son diplôme en juin 2018, une décision confirmée par le Conseil d’Etat le 13 avril 2018.

La logique est simple : aider ces jeunes coûte de l’argent et ils ne veulent pas en dépenser pour eux

Mais le département de la Seine-et-Marne ne veut rien savoir et ne l’applique pas. C’est sa nouvelle politique depuis un an : suspendre l’aide à l’enfance aux étrangers tout juste majeurs. « La logique est simple : aider ces jeunes coûte de l’argent et ils ne veulent pas en dépenser pour eux », explique Marie-Pierre. Et de fait : le président du Conseil départemental de Seine-et-Marne assume complètement sa politique malgré la négation d’une décision de justice : « Je ne veux pas renoncer à des dépenses liées aux retraités ou aux handicapés de Seine-et-Marne. Si, demain, je suis obligé de mettre des millions d’euros dans les MNA (mineurs non accompagnés, ndlr), je devrais renoncer à d’autres choses », indiquait Jean-Louis Thiériot en séance au Conseil départemental de Seine-et-Marne.

Assassiné le 2 mai 2018 dans un squat

Accompagné par quelques travailleurs sociaux, Abdallah s’est battu pour retrouver son contrat jeune majeur, en vain. Désemparé, le jeune homme a sombré. Il ne mangeait plus beaucoup. « Il s’est retrouvé à la rue au mois de janvier, souvenez-vous de la météo à cette époque, se remémore la directrice du placement familial de Tournan, Marie-Geneviève Durand qui s’en occupait depuis deux ans au sein d’Espoir-CFDJ . Il n’a eu que quelques jours de préavis avant d’être mis dehors. La majorité des jeunes à qui cela arrive sont complètement désemparés et ne comprennent pas. Ils se demandent ce qu’ils ont fait de mal, on en est là ! Mais ils n’ont rien fait de mal ! »

Au mois de mars 2018, un marchand de sommeil a accepté de l’héberger dans un squat du centre-ville de Melun, rue Gaillardon, en échange de quelques billets. Il partageait la pièce avec une jeune fille de 16 ans qui venait de fuguer. Abdallah y a été retrouvé mort poignardé en cette fin d’après-midi du 2 mai 2018. Il avait 19 ans. L’enquête pour homicide volontaire est toujours ouverte.

Est-ce que les choses auraient été différentes pour Abdallah si son contrat n’avait pas été interrompu ?

« Je n’accuse personne, mais le constat est amer, juge Maître Vanina Rochiccioli qui a défendu le dossier d’Abdellah contre le département de la Seine-et-Marne. C’est difficile de ne pas s’interroger, de ne pas se demander si les choses auraient été différentes pour Abdallah si son contrat n’avait pas été interrompu. Nous sommes face à un problème qui concerne énormément d’autres jeunes dont beaucoup ne vont pas devant les juridictions »

Son corps a été rapatrié en Egypte deux semaines après sa mort par l’ambassade après une cérémonie qui a rassemblé le 19 mai près de quarante personnes à Corbeille-Essonne.

(...). »

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