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Tentative de suicide d’un jeune Africain au Palais de justice : « Je voulais juste un toit »

Publié le 27-11-2018

Source : Mediapart

Auteure : Mathilde Mathieu

Extraits :

« Mediapart a recueilli le témoignage du jeune exilé qui a tenté de se suicider, vendredi 23 novembre, au Palais de justice de Paris. Il venait d’être recalé comme mineur par la Croix-Rouge, chargée d’évaluer l’âge des migrants à Paris, sans que son cas n’ait été réellement examiné. L’association plaide « un engorgement ».

Depuis son lit d’hôpital, Souleymane*, qui se présente comme un mineur de 15 ans, raconte comment il a voulu, vendredi 23 novembre, se suicider dans le hall du Palais de justice de Paris. « J’ai le droit de faire du mal à ma vie, pas à celle des autres », souffle ce Burkinabè récemment arrivé à Paris, désespéré que son âge et sa minorité – tels qu’il les déclare – n’aient pas été reconnus par les autorités. En tout cas, sa situation n’a pas été examinée comme la loi le prévoit, d’après nos informations. « Je ne voulais pas finir à la rue comme un voleur, je veux juste un toit, étudier, avoir un métier, confie encore Souleymane. En finir, c’était ma seule pensée. »

Vendredi dernier, il a donc pris les escalators de l’atrium jusqu’au quatrième étage, enjambé le garde-corps sous les yeux des magistrats en robe, des avocats, des justiciables, suscitant des cris d’effroi. « Des policiers m’ont retenu par la main, ils ont essayé de me faire remonter, témoigne-t-il par téléphone. Ils m’ont tendu un pagne, mais je ne l’ai pas attrapé. J’étais décidé. Ça glissait, je me suis laissé tomber. »

Son corps à terre, les agents ont trouvé dans son blouson un acte de naissance daté de 2003, conservé jusqu’ici comme un trésor et dont la justice s’attache déjà à vérifier l’authenticité – une enquête « en recherche des causes des blessures graves » est ouverte. Une fois pris en charge par le service « orthopédie » d’un hôpital francilien, le jeune exilé, qui souffre de fractures au bassin, a pu téléphoner à son père. « Il n’était pas content. Il est découragé de moi, il s’est mis à pleurer. »

Au Burkina Faso, d’après son récit, Souleymane aurait travaillé dès 8 ans « dans une mine d’or », premier produit d’exportation du pays. « J’avais la vie difficile, souffle-t-il. Je partais en bas de la terre, je creusais à 200 ou 400 mètres. » Début 2018, il aurait embarqué dans un camion-citerne avec un homme qui allait chercher de l’essence moins chère en Libye pour la revendre au pays, et qui lui proposait de travailler à ses côtés. « Mais le premier jour en Libye, des gens ont attaqué le camion, ils tiraient, l’essence coulait. J’ai couru et suis rentré dans la brousse, tout seul, une malédiction. » Car Souleymane aurait ensuite été vendu à des trafiquants, enfermé dans une prison de Bani Walid, battu avec « la chicotte » (un fouet) et des câbles par des gardes nerveux qui tiraient parfois dans le tas, et demandaient aux prisonniers d’évacuer les cadavres « quand l’odeur devenait trop forte ». S’il a fini par s’échapper, pour traverser la Méditerranée et remonter l’Italie, des cicatrices restent visibles sur son corps.

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Après avoir affirmé à la mairie de Paris que Souleymane n’était pas dans ses fichiers, que le Demie ne l’avait donc jamais vu, la Croix-Rouge a finalement expliqué à Mediapart, mardi 27 novembre, qu’« il était possible et probable » que le jeune Burkinabè se soit présenté sans être évalué correctement, « compte tenu du fait que le Demie doit faire face à un afflux important en ce moment ».

« Il a pu se passer que le personnel fasse passer prioritairement en évaluation des jeunes qui font 1,10 m, 1,20 m, qui font manifestement très mineurs, dans un souci de protection de l’enfance », nous a indiqué Sandrine Witeska, la porte-parole de la Croix-Rouge. « L’afflux est lié à un double facteur : nous avons de plus en plus de très jeunes, en situation de vulnérabilité extrême ; et aussi de jeunes majeurs, auxquels on ne peut évidemment pas reprocher de tenter leur chance quand il manque des places dans les hébergements pour adultes. » À l’arrivée, « il est possible qu’en comparant [Souleymane] aux autres jeunes, on lui ait fourni des informations sur les endroits où il pouvait se rendre, mais qu’il n’ait pas été évalué… ».

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À vrai dire, face au récit circonstancié du jeune Burkinabè, le doute sur son passage au Demie n’était plus permis. Lui rentre volontiers dans les « détails », calme et précis malgré la fatigue et la douleur. À Mediapart, Souleymane raconte ainsi qu’il est d’abord « allé voir la police » à son arrivée à Paris, mardi 20 novembre a priori. « Je voulais me déclarer auprès d’eux parce que je suis mineur », précise-t-il. Vu l’heure tardive, les agents l’ont conduit dans l’un des centres d’hébergement où la Ville de Paris organise la mise à l’abri des mineurs, dans l’attente de leur évaluation. Puis le lendemain matin, « ils nous ont apportés à la Croix-Rouge, poursuit Souleymane. On a été appelé un par un. Un gars a pris mon acte de naissance, puis a appelé son chef. Son chef a regardé l’acte de naissance puis il m’a dit d’aller voir le juge ». Pas de question ? Selon lui, aucun entretien approfondi. « Ils ont pensé que je mentais. Ils ont regardé mon visage, ma forme [corpulence]. Mais moi j’ai travaillé dans la mine… » Le chef aurait « donné l’adresse du Palais, le plan, expliqué comment prendre le train [métro – ndlr] ».

Arrivé trop tard au tribunal, au bord du périphérique, Souleymane s’est ainsi retrouvé à la rue pour la nuit. « Quelqu’un m’a donné trois euros, j’ai acheté une mangue et de l’eau. Puis j’ai fait le tour [du Palais], j’ai vu un coin en construction pas fermé, je suis entré et j’ai dormi là, sur des cartons. » Le lendemain, jeudi 22 novembre, l’antenne des mineurs du barreau de Paris ouvrait ses portes à 14 heures, il a donc patienté au chaud, fait la queue, avant d’être reçu par Charlotte dans l’après-midi. « J’ai expliqué comment [la Croix-Rouge] m’a traité, elle m’a dit de retourner [là-bas], a fait un mail, m’a donné un papier. »

Quand un jeune se présente aux avocats sans refus écrit de la part du Demie, un mail type est en effet adressé à la Croix-Rouge : « Nous vous remercions de bien vouloir recevoir [X] dans les conditions nécessaires », pour ne pas dire réglementaires, explique Me Isabelle Roth, qui estime que les cas se multiplient ces dernières semaines.

Arrivé au Demie après 17 heures et la fermeture des portes, le Burkinabè s’est de nouveau signalé auprès des policiers, qui l’ont reconduit en centre d’hébergement. Et le lendemain matin, rebelote : « À la Croix-Rouge, le chef a dit que j’étais déjà venu. Il m’a fait asseoir, m’a dit que mon papier n’avait pas de valeur. Que c’est le juge qui devait décider de mon cas. Mais au Palais, des jeunes m’ont dit qu’ils attendaient depuis plus de huit mois et n’avaient pas vu le juge encore. Je suis parti là-bas [au tribunal] pour une seule chose : finir ma vie. Dans la rue, on devient un voleur ou un agresseur. »

Pour Me Isabelle Roth, comme pour sa consœur Catherine Delanoë-Daoud, coresponsables du pôle MNA de « l’antenne mineurs » au barreau de Paris, il s’agit là « d’une défaillance majeure du système », « symptomatique » d’une forme de « maltraitance » plus générale. Elles affirment avoir d’ores et déjà saisi le Défenseur des droits, Jacques Toubon.

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Lundi, avant que sa collègue ne reconnaisse la possibilité que Souleymane se soit présenté à la Croix-Rouge sans être réellement évalué, Thierry Couvert-Leroy insistait : « L’entretien [au Demie] répond au cadre légal. Cela peut être vécu comme express, et il y a évidemment des déceptions par rapport à ce que des passeurs font miroiter, mais les équipes renseignent obligatoirement les six items, qui prennent un minimum de temps. Et depuis mai dernier, tous les jeunes reçoivent une notification. » Sur un cas, le démenti est aujourd’hui criant.

(...) »

Voir en ligne : https://www.mediapart.fr/journal/fr...