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Mineurs isolés : « Certains préfèrent mourir de froid plutôt que de rester au centre Alpha »

Publié le 27-12-2018

Source : Libération

Auteur : Maïté Darnault

Extraits :

«  Un endroit loin de tout, avec du personnel trop peu nombreux et non qualifié et des conditions d’hygiène qui laissent à désirer. A Saint-Clément-les-Places, dans le Rhône, le foyer destiné à l’accueil de 40 mineurs crée des tensions depuis quatre mois.

Ils sont une demi-douzaine à discuter, assis sur un banc. Il fait à peine quelques degrés mais leurs vêtements ne sont pas épais. Soudain, ils se jettent à terre, pour se cacher. « Si elle nous voit, on est morts ! » souffle l’un deux. Elle, c’est une animatrice du foyer où ces mineurs non accompagnés (MNA) vivent depuis fin août. La femme passe au loin, les garçons finissent par se relever. Quelle crainte cloue au sol ces adolescents âgés de 15 à 17 ans ? « Les représailles, disent-ils. Si on nous voit parler avec vous, c’est pas bon. » Un professionnel qui travaille à leur contact avait prévenu : « Dans leurs regards, dans leurs postures, ces jeunes ont d’abord peur des adultes. »

Alternatives

(...) C’est sur la colline en surplomb qu’a ouvert le 31 août, dans l’urgence, le centre Alpha, un lieu d’accueil expérimental pour les mineurs arrivés seuls sur le territoire français, géré par l’Adaear, une association spécialisée dans la protection de l’enfance. (...)

Pour remédier à la saturation des structures d’accueil classiques, des alternatives sont recherchées. Le foyer Alpha, mis à l’essai pour cinq ans, en est une. Les bâtiments (un ancien centre de formation) appartiennent au département (...).

Prévu pour 40 mineurs, le centre a connu mi-novembre une vague de fugues. Huit jeunes sont partis, selon une source associative, remplacés depuis par de nouveaux MNA placés à Saint-Clément. « Certains préfèrent mourir de froid que de rester là. On a l’impression d’être dans un endroit où on n’est pas aimés. La maltraitance, ce n’est pas seulement frapper une personne », se désole un jeune. Hormis quelques ressortissants du Bangladesh et d’Afghanistan, la majorité des adolescents viennent d’Afrique de l’Ouest.

« Sit-in »

A peine ouvert, le centre Alpha a défrayé la chronique locale. Le 10 septembre, les gendarmes ont été appelés par des automobilistes bloqués par les jeunes assis sur la route, aux entrées du village, pour dénoncer leurs conditions de vie. Le « sit-in », qui a duré une dizaine de minutes, s’est dispersé sans recours à la force.

Le 11 octobre, l’intervention de la gendarmerie, venue déloger un pensionnaire qui s’opposait à son transfert, a été plus musclée. Sur une vidéo que Libération a visionnée, on voit une quinzaine de jeunes face à 10 gendarmes devant un bâtiment du centre. Les adolescents s’en tiennent à des protestations orales. Un gendarme brandit une grenade lacrymo, un autre dégaine sa matraque télescopique. Le jeune « évacué » est menotté face contre terre. (...)

(...) « On nous répète qu’on devrait être contents parce qu’on dort au chaud. Mais je ne suis pas venu en France pour dormir. Je veux aller à l’école, je veux travailler », s’exclame un jeune, qui regrette n’avoir eu « aucune explication » sur son déplacement dans le centre Alpha de Saint-Clément, alors qu’il était déjà pris en charge dans un foyer et scolarisé : « S’ils veulent vraiment notre intégration, il faut nous répartir, pas nous regrouper dans un endroit loin de tout. »

« Ils n’ont qu’à faire du stop »

L’éloignement, c’est la première « violence » faite à ces enfants, estime une source interne. Le premier arrêt de car se trouve à 5 kilomètres de Saint-Clément. Or certains jeunes suivent des formations à plusieurs dizaines de kilomètres, à Thizy ou en banlieue lyonnaise, « ce qui génère une dépendance totale vis-à-vis du personnel éducatif pour les déplacements », note la même source. Le soir, des garçons régulièrement « oubliés » attendent dans le froid et dans l’obscurité un hypothétique ramassage. Un employé s’indigne : « La direction m’a dit : "Ces jeunes ont traversé l’Afrique et l’Europe dans les pires conditions, ils sont capables de rejoindre le centre par leurs propres moyens, ils n’ont qu’à faire du stop." » A plusieurs reprises, les adolescents ont été laissés seuls dans les locaux, le temps pour les encadrants d’effectuer un trajet. Nicolas Hermouet, le directeur général de l’Adaear, reconnaît : « Nous avons mal évalué la question des transports, une réflexion est en cours avec le département. » Elle pourrait aboutir au recrutement d’un ou plusieurs chauffeurs.

L’équipe du centre de Saint-Clément-les-Places (17 équivalents temps plein) souffre d’un sous-effectif chronique. Depuis le 31 août, sur 11 personnes embauchées, 5 au moins ont démissionné. Des intérimaires ont été appelés pour des missions courtes. (...) Peu sont familiers du profil de ces jeunes exilés. « Dans la planification de 2019, un transfert de compétences de trois jours sur la spécification MNA est prévu », indique Nicolas Hermouet.

Un jeune raconte : « Il y a une nouvelle animatrice, pour nous appeler, elle fait "Hé oh !". Personne ne s’appelle "Hé oh" ici. » De 23 heures à 6 heures, un seul adulte est présent dans le centre. « C’est un temps où les ados sont en demande, ils n’arrivent pas à dormir, ils ont besoin de se confier, certains ont connu la torture en Libye, beaucoup racontent les traversées en [bateau pneumatique] », rapporte un professionnel.

« Système D »

Libération a visionné une vidéo montrant une altercation nocturne entre les jeunes et un vigile qui les insulte copieusement avant d’aller s’enfermer aux toilettes. « Très peu de temps est consacré à la relation avec le jeune, on est accaparés par les besognes, débordés par la gestion de la vie quotidienne », souligne un employé. L’absence de service de ménage (« L’évaluation de la prestation est en cours », dixit Nicolas Hermouet) et de maître de maison (la personne qui coordonne l’intendance) ne permet pas de garantir la sécurité alimentaire. Libération a eu accès à des photos de la cuisine dans un état de saleté manifeste : sol taché, fours encrassés, plaques de cuisson rouillées. Les images montrent aussi des préparations livrées entamées, datant de la veille mais remisées au frigo dans leurs plats de chauffe. En temps normal, si elles ne sont pas consommées au terme du repas, les denrées cuisinées doivent être jetées à la poubelle. « On vient de loin, d’accord. Mais si vous voyiez ça, vous ne mangeriez pas, personne ne mangerait », commente un jeune.

Près de quatre mois après l’ouverture du centre, des pensionnaires n’ont toujours pas de serviette de toilette digne de ce nom. « Quand je suis arrivé, j’en ai demandé une à une animatrice, raconte un ado. Elle m’a tendu un rouleau de papier toilette en me disant "t’as qu’à prendre ça". » Un employé du foyer le déplore : « Même avec le système D, ça ne suffit pas. Ils sont arrivés en France en tongs, avec des chaussures fines et des petites vestes. Les intempéries sont costaudes ici, la moindre des choses, ce serait de s’assurer qu’ils ont tous un gros blouson, ne serait-ce qu’un pantalon chaud, un pull, des gants et un bonnet. » Et d’interroger : « On est dans une sorte de rationnement. Est-ce qu’on ferait pareil avec de jeunes Français ? Je ne crois pas. »

« Un peu de temps »

Quatre adolescents ne sont toujours pas scolarisés, en raison de « pathologies personnelles », indique Nicolas Hermouet. Parmi eux, un pensionnaire vivrait reclus dans sa chambre depuis son arrivée. Or la présence en pointillés de l’infirmière, embauchée à mi-temps et non remplacée pendant plus de deux semaines d’arrêt maladie, compromettrait le « circuit du médicament ». « Elle part à 16 heures en laissant un classeur avec les ordonnances et un grand sac plastique avec tous leurs cachets », s’étonne un employé, qui pointe la lourdeur de certains traitements, prescrits pour des symptômes hépatiques, dépressifs ou schizophréniques.

Alertées, quatre avocates lyonnaises ont reçu 19 jeunes après que la direction du centre leur a refusé l’accès au lieu. « C’est assez alarmant, les témoignages sont concordants sur le fait qu’ils n’ont jamais eu communication des décisions des juges des enfants ou des tutelles à leur sujet, alors que le département nous dit le contraire », explique Me Sophie Hassid.

Autre constat : « Personne ne s’occupe de faire leurs demandes de passeport ou de carte consulaire, on ne les finance pas, on leur conseille seulement d’économiser sur leur argent de poche », détaille Me Hassid. Une pratique « illégale », souligne Me Sabah Rahmani, car le département du Rhône, en tant qu’organisme de placement ou tuteur, « est tenu d’accompagner les démarches pour la reconstitution de leur état civil ».

« On ne les voit pas comme des enfants mais comme des gens qui sont venus profiter des conditions soi-disant favorables de notre pays », regrette un employé de Saint-Clément. La situation du centre a fait l’objet fin novembre de trois saisines du Défenseur des droits par les quatre avocates, RESF 69 (Réseau Education sans frontières) et les élus écologistes Guillaume Gontard (sénateur de l’Isère) et Myriam Laïdouni-Denis (conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes), auxquels une visite du centre a également été refusée.

Nicolas Hermouet demande « un peu de temps », convaincu de « réussir » sa mission. « Et j’espère que les gamins qu’on accueille vont trouver leur compte », précise-t-il. Quand on était sur le banc, dans le froid, à Saint-Clément, un jeune nous a dit : « Même si on me met dehors demain parce que j’ai parlé, je raconte tout ça pour les frères qui vont venir après. » (...)  »

Voir en ligne : https://www.liberation.fr/france/20...