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Migrants : des mineurs isolés plus seuls que jamais

Publié le 27-12-2018

Source : Libération

Auteur : Kim Hullot-Guiot

Extraits :

«  Dispositifs saturés, afflux de demandes, manque de moyens, stratégie de dissuasions… Les associations et travailleurs sociaux rencontrent toujours plus de difficultés pour accompagner les migrants de moins de 18 ans, censés être accueillis sans condition. Un système qui met des vies en danger.

Il a fêté ses 15 ans sur un lit d’hôpital. Le 23 novembre, Adama (1) enjambait le garde-corps du quatrième étage du tribunal de grande instance de Paris et se jetait dans le vide. Tiré d’affaire malgré des fractures, ce Burkinabé désespérait de faire reconnaître sa minorité - ses papiers indiquent qu’il est né en 2003. Adama se serait présenté au Dispositif d’évaluation des mineurs isolés étrangers (Demie), géré par la Croix-Rouge à Paris, il y aurait présenté son extrait d’acte de naissance, avant d’être renvoyé à son tour vers le tribunal où il a été reçu à l’antenne du barreau des mineurs. Laquelle l’a renvoyé vers la Croix-Rouge, qui ne lui avait pas fourni de notification écrite (...)

Plus tenable

Ce cas illustre bien le parcours dantesque des mineurs non accompagnés (MNA) en France. Le 26 septembre, le comité des ministres du Conseil de l’Europe a d’ailleurs adopté une résolution où il notait que la France violait la Charte sociale européenne en raison des « carences relevées dans le dispositif national de mise à l’abri, d’évaluation et d’orientation des mineurs non accompagnés », de « l’insécurité juridique entourant l’accès à un recours effectif des mineurs étrangers non accompagnés » ou encore de l’utilisation des tests osseux utilisés dans le but de prouver l’âge de la personne.

D’abord, il leur faut pouvoir entrer dans le pays. En juin, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté constatait dans un rapport qu’à la frontière franco-italienne, des mineurs isolés étaient refoulés du territoire avant même d’avoir pu tenter d’obtenir une protection de la France : « Les contrôleurs ont relevé que des mineurs isolés interpellés sur le territoire ont été renvoyés vers l’Italie alors qu’ils ne peuvent en aucun cas faire l’objet d’une mesure d’éloignement. » Ensuite, il faut que la minorité soit reconnue, ce qui n’est pas une mince affaire. La saturation des dispositifs mène des jeunes - surtout des garçons, les rares filles étant plus facilement mises à l’abri - à patienter jusqu’à deux mois, au lieu des cinq jours légaux.

A Tours (Indre-et-Loire) cet été, « on avait des délais pour obtenir un rendez-vous et être évalué qui s’étendaient sur cinq à six semaines, se souvient Morgan, militante de l’association d’aide aux migrants Utopia 56. Le département met en avant l’inadéquation entre le nombre de personnes qui se présentent et le manque de moyens humains, mais le droit dit qu’il faut les mettre à l’abri, et ce n’est pas toujours le cas ». (...) Jean-Gérard Paumier, président du conseil départemental d’Indre-et-Loire, le reconnaît : le délai de cinq jours prévu par la loi n’est plus tenable (...).

« Prétextes »

En Touraine, un tiers des évalués sont reconnus mineurs dans un premier temps. Une proportion similaire à Paris, même si les associations estiment qu’une personne sur deux déposant un recours devant la justice finit par être reconnue mineure. « Le problème, c’est que l’on suspecte que les gens ne sont pas mineurs. Tant qu’il n’est pas prouvé qu’ils le sont, on les laisse à la rue. Or le doute devrait profiter au jeune », explique Philippe Lecorne, éducateur à la retraite et membre d’Eurocef, le Comité européen d’action spécialisée pour l’enfant et la famille dans leur milieu de vie.

Une responsable de la CGT au conseil départemental des Hauts-de-Seine abonde : « On éjecte les jeunes qui ont le moins les moyens de se défendre car ils n’ont pas de parents sur le territoire. On trouve des prétextes, comme avoir des doutes sur leur récit. Mais en protection de l’enfance, on sait travailler avec la distorsion de réalité. Mentir n’est pas une raison pour ne pas protéger un enfant. » Philippe Lecorne ne dit pas autre chose : « On essaye de trouver des arguments pour filtrer, comme les tests osseux [sur décision de justice, ndlr] qui donnent l’impression d’être objectifs mais ne le sont pas. »

Le Haut Conseil de la santé publique, l’ordre des médecins, mais aussi le Défenseur des droits, ne lui donnent pas tort. D’ailleurs, l’article 388 du code civil, qui prévoit ces tests, fait dernièrement l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité (QPC), que la Cour de cassation a jugées recevables vendredi dernier. Le Conseil constitutionnel va donc devoir décider si cet article « méconnaît les principes constitutionnels » de « dignité humaine » et de « protection de la santé », voire plusieurs articles de la Déclaration des droits de l’homme.

Jusqu’ici, « des jeunes sont déclarés mineurs dans un département, et majeurs dans un autre », explique encore Philippe Lecorne. A partir de janvier, un fichier biométrique national, dénoncé par de nombreuses associations et par le Défenseur des droits, rendra difficile de tenter sa chance plusieurs fois. Toute personne demandant à être reconnue mineure sera enregistrée, avec photo et empreinte, dans un fichier - dont elle devrait disparaître si elle est reconnue mineure. Les personnes non reconnues mineures, elles, devraient être systématiquement ajoutées au fichier Agedref, qui recense les étrangers en France. Elles pourraient alors être expulsables même si une procédure de reconnaissance de minorité devant la justice est en cours. (...)

Associations et travailleurs sociaux dénoncent aussi des stratégies de dissuasion. « On leur demande de revenir avec leurs papiers d’identité authentifiés. Mais où a-t-on vu qu’un mineur peut aller faire authentifier ses papiers lui-même ? On ne leur donne pas de ticket de bus pour y aller, on ne leur explique pas comment faire », rapporte la responsable syndicale dans les Hauts-de-Seine. Un rapport de Human Rights Watch publié cet été dénonçait ce même genre de pratique, à Paris. Conséquence, lorsque les enfants arrivent à se faire prendre en charge, c’est souvent trop tard. Sylvie (1), qui travaille dans la protection de l’enfance en Normandie, est dépitée : « Ils attendaient de la France autre chose que d’être traînés de pont en pont, d’hôtel en hôtel. On leur a dit qu’ils seraient scolarisés, mais ça devient de plus en plus difficile, surtout quand on nous les confie après 16 ans, âge où la scolarité n’est plus obligatoire. Ça ne posait pas de problème il y a quelques années. » Dans la région Auvergne-Rhône-Alpes, Jean (1) a carrément démissionné de son poste d’éducateur. Dégoûté. « A 17 ans, c’est acté que c’est fini pour vous. Mais le nerf de la guerre c’est la scolarisation, et le rectorat est débordé », juge-t-il. Sylvie : « Ce sont des jeunes pour qui on avait du temps auparavant. Ce temps-là, on ne l’a plus. »

« Mis de côté »

Pour mieux assurer la prise en charge dans le peu du temps qui reste, la Seine-Saint-Denis (...) a créé en septembre une nouvelle cellule plus axée sur l’accompagnement dans les démarches que sur l’éducatif. Jamila Poloko, adjointe de la cheffe de service : « Les MNA étaient mis de côté, on s’en occupait un peu quand on avait le temps. On en voyait arriver à la majorité sans que les démarches de régularisation n’aient été entamées. »

Dans un autre département francilien, Djibril et Ibrahima (1) se sentent, eux, moins épaulés. Ils partagent un appartement de l’Aide sociale à l’enfance (ASE) mais contrairement à l’année dernière, Ibrahima n’est plus scolarisé. « J’étais dans une classe pour étrangers, raconte ce Guinéen de 17 ans. Après ils m’ont orienté en mécanique, mais l’ASE a refusé de signer mon orientation parce que je venais d’avoir 17 ans. » Son colocataire : « Il y a plein de potes à qui l’ASE a dit que ce n’était pas la peine car ils auraient bientôt 18 ans. » Or si les MNA n’ont pas besoin de titre de séjour jusqu’à leurs 18 ans, ils doivent ensuite demander leur régularisation, laquelle a peu de chances d’aboutir si le jeune n’a pas entamé une formation diplômante ou professionnalisante.

Djibril s’agace de la situation : « S’il y a quelque chose qui aide à avoir des papiers, tu le fais. Si on nous en prive, comment tu peux les avoir ? Comment tu peux travailler ? » Lui a eu plus de chance : arrivé de Côte-d’Ivoire à 15 ans et demi, il a depuis trouvé un apprentissage en boucherie. Mais il voit la date de sa majorité arriver avec appréhension, car il ne recevra plus d’aide : « Les éducateurs, on les voit tous les deux ou trois mois. Ils s’en foutent de nous en fait. Ça se voit qu’ils attendent qu’on ait 18 ans pour qu’on foute le camp. » En théorie, Djibril pourrait bénéficier d’un « contrat jeune majeur », qui permet à tout mineur pris en charge par les services de protection de l’enfance de poursuivre son accompagnement éducatif jusqu’à ses 21 ans. Mais « l’ASE m’a dit qu’il n’y en avait plus. Il n’y a plus de sous ».

(1) Ces prénoms ont été modifiés  »

Voir en ligne : https://www.liberation.fr/france/20...