InfoMIE.net
Informations sur les Mineurs Isolés Etrangers

Accueil > Actualités MIE > Mineurs étrangers : le casse-tête des tests osseux

Mineurs étrangers : le casse-tête des tests osseux

Publié le 12-03-2019

Source : Le Parisien

Auteure : Pascale Égré

Extraits :

«  L’utilisation controversée de ces radiographies de la main pour déterminer l’âge de mineurs étrangers est visée ce mardi par une procédure devant le Conseil constitutionnel.

Adama a été déclaré majeur en dépit d’une évaluation qui le disait mineur, parce qu’il a refusé de se soumettre à une expertise osseuse. « Le juge des enfants a ordonné la main levée de son placement sans même le convoquer. Il s’est retrouvé du jour au lendemain à la rue », décrit son avocate lyonnaise Me Florence Nèple.

Nicolas*, dont les documents d’état civil attestent qu’il a 16 ans, avait, selon ses radiographies de la main et du poignet, 18 ou 19 ans. Dans le Sud-Ouest, rapporte la Cimade, un autre jeune migrant ayant subi deux fois ces examens du fait d’un changement de département a été évalué mineur la première, mais majeur la seconde…

Les cas de ces jeunes étrangers, dont la protection due au titre de l’enfance en danger se joue au gré des aléas de l’administration, illustrent le casse-tête posé par les tests osseux. Depuis des années, les plus hautes autorités, du Défenseur des droits au Haut conseil de la santé publique, alertent sur leur utilisation pour déterminer l’âge des mineurs non accompagnés (MNA).

Le Conseil constitutionnel saisi

Usage diagnostic détourné, absence de fiabilité, marges d’erreur allant de 18 mois à trois voire six ans, énumèrent les spécialistes. « Utiliser ces tests pour fixer un âge, c’est inverser leur sens premier, qui est d’évaluer la maturation d’un enfant afin de déterminer un traitement », rappelle la radio pédiatre Catherine Adamsbaum, de l’université de médecine Paris-Sud.

« Les biais de ces tests sont multiples, complète le Dr André Deseur, vice-président du Conseil national de l’Ordre des médecins. D’abord, les tables de référence ont été conçues dans les années 1930 à partir de populations nord-américaines, ce qui ne correspond pas aux populations à étudier. Ensuite, plus on approche autour de l’âge de 18 ans (NDLR : comme la plupart des mineurs étrangers isolés), plus la marge d’erreur est importante. Il est possible de dire si le patient est pré ou post-pubère, pas s’il a plus ou moins 18 ans. C’est pourquoi le médecin donne toujours une fourchette. »

L’avocate Florence Nèple, soutenue par une dizaine d’associations a saisi le Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la légalité de ces tests, par rapport aux droits fondamentaux des enfants. Il rendra sa décision ultérieurement, alors que l’exécutif a récemment publié un décret instaurant la création d’un fichier pour lister les mineurs non accompagnés (MNA) sur le territoire. Une façon de répondre aux conseils départementaux se disant dépassés (...)

Des tests ordonnés de façon systématique

Depuis une loi de 2016, censée couper court aux critiques, l’article 388 du Code civil stipule que les examens osseux ne peuvent être réalisés « que sur décision de l’autorité judiciaire » et « après recueil de l’accord de l’intéressé. » Il précise que leurs conclusions « ne peuvent à elles seules permettre de déterminer (s’il) est mineur » et que « le doute doit lui profiter ». Mais la crise migratoire est passée par là et les pratiques varient, et souvent dérapent…

« Ces tests devraient être exceptionnels, or certains juges des enfants les ordonnent de façon systématique et considèrent les documents d’état civil de certains pays comme suspects par nature », constate le pénaliste parisien Emmanuel Daoud. (...)

« Plutôt que d’une présomption de minorité, on part d’une présomption de mensonge », observe Me Myriam Baghouli, avocate à Bobigny (Seine-Saint-Denis), où une permanence dédiée à ces jeunes vient d’ouvrir. (...)

« Une atteinte à la protection de l’enfance »

(...) « Le juge des enfants est celui du danger, pas de la minorité. On lui donne un rôle qui n’est pas le sien, en lui demandant de répondre à une situation migratoire où ces jeunes se retrouvent dans des conditions inhumaines et les associations débordées. »

La QPC contre l’article 388, que Me Isabelle Zribi plaidera pour Adama et neuf associations*, porte ces griefs. « La non-fiabilité des tests osseux porte atteinte à la protection de l’enfance telle que garantie par la Constitution, pose-t-elle. Il y a aussi atteinte au droit à la santé, du fait des radiations. À la dignité, car ces jeunes qui ont souvent subi des persécutions ne comprennent pas cet examen. À la vie privée, du fait de données médicales rendues publiques… » énumère-t-elle. Le débat, souligne l’avocate aux conseils, dépasse nos frontières : une requête contre l’Italie, déposée par deux mineurs gambien et guinéen, est en cours devant la Cour européenne des Droits de l’Homme.

* Le prénom a été modifié à sa demande.

**Anafé, avocats sans frontières, Gisti, La Cimade, LDH, MDM, Secours catholique, SAF, SM.  »

Voir en ligne : http://www.leparisien.fr/societe/mi...