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"À la rue à 18 ans" : les jeunes majeurs, angle mort de la protection de l’enfance

Publié le 6-05-2019

Source : L’express

Auteur : Eléa Pommiers

Extraits :

«  Une proposition de loi visant à rendre obligatoire leur prise en charge jusqu’à 21 ans est débattue à l’Assemblée nationale. Les collectifs d’enfants placés la jugent indispensable.

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"La sortie de l’aide sociale à l’enfance est très violente", explique à l’Express Adeline Gouttenoire, professeure agrégée de droit à Bordeaux et présidente de l’observatoire départemental de la protection de l’enfance. "Avant même leur majorité, c’est une vraie angoisse pour ces jeunes qui ont déjà des passés très compliqués, et qui se retrouvent face à un avenir qu’ils ne peuvent pas imaginer."

Les conséquences sont loin d’être négligeables : selon l’Insee, 23 % des sans-abri sont d’anciens enfants placés ; une proportion qui grimpe à 35 % pour les moins de 35 ans. Pour tenter de faire jaillir un peu de lumière dans ce trou noir des politiques sociales, une proposition de loi de La République en marche (LREM) - dont le gouvernement freine l’inscription au calendrier parlementaire depuis près d’un an - est discutée ce lundi à l’Assemblée nationale.

Ce texte, porté par la députée (LREM) Brigitte Bourguignon, prévoit notamment de rendre obligatoire l’accompagnement des jeunes jusqu’à leurs 21 ans, afin de leur garantir de meilleures chances d’insertion. Il offre aussi la possibilité aux départements (qui sont en charge de la protection de l’enfance), de prolonger la prise en charge jusqu’à l’âge de 25 ans.

Inégalités entre les départements

Un dispositif de ce type existe déjà depuis 1974 : le "contrat jeune majeur". Créé lors de l’abaissement de la majorité à 18 ans, il permet aux départements de maintenir une assistance éducative et financière jusqu’à 21 ans pour que les jeunes puissent suivre des formations professionnelles ou faire des études. Mais le dispositif est très imparfait. Il concerne tout d’abord trop peu de jeunes, car il n’est pas considéré comme une obligation par les départements. Aucune statistique nationale n’existe, mais le Conseil économique, social et environnemental (Cese) estime que, fin 2016, 20 900 personnes bénéficiaient d’un contrat jeune majeur, soit environ un tiers des jeunes sortant de l’ASE.

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"C’est une catastrophe sur le plan de la justice sociale", abonde Adeline Gouttenoire, pour qui l’accompagnement après 18 ans pour tous, notamment pour poursuivre une formation, est une "question d’égalité des droits". "Faire des études, c’est un droit pour tous les jeunes, mais pour eux c’est un combat", souligne-t-elle.

Risque de nouvelle rupture à 21 ans

Autre écueil du contrat jeune majeur : il s’arrête net au jour des 21 ans du jeune, qu’importe si ce dernier est en pleine année scolaire. Du jour au lendemain, les jeunes majeurs suivis, s’ils ne travaillent pas encore, se retrouvent sans ressources et sans logement.

À ce titre, Antoine Dulin, auteur d’un rapport pour le Cese intitulé "Prévenir les ruptures dans les parcours en protection de l’enfance", souligne un problème intrinsèque à la proposition de loi débattue à l’Assemblée. "Prolonger la prise en charge jusqu’à 21 ans est un premier pas important, mais on risque de seulement décaler la rupture qui existe aujourd’hui à 18 ans", estime-t-il. "Ce qu’il faudrait, c’est garantir à tous les jeunes un accompagnement jusqu’à l’obtention du premier emploi stable."

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"70% des enfants placés sortent sans diplômes"

Le résultat est pour le moins paradoxal, comme le souligne l’exposé des motifs de la proposition de loi. " Il [...] est demandé [aux jeunes majeurs sortant de l’ASE] d’être autonomes bien plus tôt que les autres jeunes, qui bénéficient d’un soutien financier et d’un logement familial jusqu’à l’âge de 25 ans en moyenne. Autrement dit, il est demandé plus (de maturité, d’autonomie) à ceux qui ont moins (de ressources, de soutiens familiaux)", peut-on y lire.

Cette "injonction à l’autonomie" précoce, comme la qualifie Antoine Dulin, a des effets pervers. "On sait qu’à 18 ans, ils seront lâchés, donc on les pousse dès 16 ans à s’orienter vers des formations courtes, qu’ils n’ont souvent pas choisies. Ils intègrent très tôt qu’ils n’auront pas les mêmes chances que les autres dans la vie, qu’il est inutile d’envisager des études qu’ils ne pourront pas mener à bien, et les risques de décrochage scolaire sont énormes", déplore-t-il.

Seuls 13% des jeunes de 17 ans placés préparent un bac général, pour 51% pour l’ensemble des jeunes du même âge. Et "70% des enfants placés, lorsqu’ils quittent l’ASE, n’ont aucun diplôme", souligne Lyes Louffok.

"Non-sens humain, social et économique"

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Le gouvernement est "depuis le début favorables à l’obligation des contrats d’accès à l’autonomie [le nouveau nom donné aux prises en charge des jeunes majeurs par le gouvernement]", précise le secrétariat d’Etat à la Protection de l’enfance à l’Express. En vertu d’un amendement gouvernemental, cette obligation comprendrait "une orientation scolaire, un logement/ hébergement, une prise en charge médicale et un accompagnement éducatif", que l’Etat financerait à hauteur de 60 millions d’euros pas an à partir de 2020.

Insuffisant pour les associations, qui s’inquiètent de l’absence d’obligation de fournir une allocation aux jeunes afin qu’ils puissent s’assumer au quotidien. Pour Lyes Louffok cette prise en charge complète coûterait, selon les estimations des associations, entre 300 et 400 millions d’euros chaque année, que les départements n’auront pas les moyens d’assumer sans l’Etat.

Si elles saluent une avancée, les associations doutent ainsi de la capacité du nouveau dispositif à mettre fin à ce qu’Antoine Dulin qualifie d’"énorme gâchis". Un gâchis éducatif, car "des professionnels donnent du temps à des mineurs pour qu’ils soient finalement livrés à eux-mêmes du jour au lendemain", à un âge où l’autonomie n’est pas acquise chez la plupart des jeunes. Un gâchis social pour des majeurs "protégés durant leur enfance puis laissés à la rue, exposés au risque de violence, de sombrer dans la délinquance, la désocialisation, voire la radicalisation". Un gâchis économique, aussi, pour les 9 milliards d’euros investis chaque année dans la protection des mineurs et dont tout le bénéfice est perdu si les jeunes sont abandonnés à leur sort avant d’avoir pu s’insérer.

"On retrouve ensuite certains de ces jeunes majeurs dans les centres d’hébergement d’urgence, parmi les bénéficiaires du RSA, dans les prisons, ou pris en charge par les hôpitaux pour des problèmes de santé qu’ils n’ont jamais soignés... Qu’est-ce que représentent 400 millions d’euros face à ces coûts sociaux à long terme ?", interroge Lyes Louffok, qui dénonce un "non-sens humain, social et économique". Si le gouvernement revenait sur les principales mesures de la proposition de loi, il l’assure, il reprendrait la mobilisation jusqu’à obtenir leur instauration. »

Voir en ligne : https://www.lexpress.fr/actualite/s...