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"Ce qui me gêne, c’est le traitement différencié selon les nationalités" : des officiers de l’OFPRA témoignent

Publié le 7-10-2019

Source : France Inter

Auteur : Ouafia Kheniche

Extraits :

«  Ces deux fonctionnaires de l’OFPRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides) ont accepté de témoigner de la réalité de leur travail au micro de France Inter. Les deux juristes répondent à toutes les questions qui concernent les 300 dossiers de demandes d’asile qu’ils gèrent chaque année.

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L’entretien avec le demandeur d’asile, "une discussion et pas un interrogatoire"

Pierre : "C’est délicat parce qu’on fait resurgir des mauvais souvenirs, des traumatismes, qu’on va remuer. Pour eux, c’est dur et parfois flou, et nous, nous avons besoin d’éléments factuels. Mais on ne porte jamais atteinte à la dignité de la personne. La législation actuelle fait que ces gens ont à peine posé le pied en France qu’ils doivent demander le droit d’asile. Tout va trop vite. Ils arrivent, le dossier doit être rempli, un mois après il faut passer à l’OFPRA ... La plupart des gens viennent de Libye où ils ont quasiment tous subi des tortures, des kidnappings, des sévices sexuels. Les migrants d’Afrique sub-saharienne y sont traités comme des esclaves. Ils sont torturés, violés, rançonnés et c’est de la main d’œuvre gratuite, jetée quand on n’en a plus besoin."

Évelyne : "Je n’ai pas la sensation d’être supérieure au demandeur. Même si je mène l’entretien, que je pose des questions puisque c’est moi qui représente l’administration. Au final j’essaie de faire en sorte que ça reste une discussion et pas un interrogatoire. Ils en subissent déjà quand ils sont arrêtés, détenus… Ces entretiens peuvent aller de 1 à 4 heures. Il peut y avoir plusieurs entretiens. Au début de l’entretien, ce que l’on ressent, c’est le stress de la personne qui l’empêche parfois de répondre. Je n’ai jamais regretté une décision."

"Si on commence à faire des généralités, on va passer à côté de personnes qui sont persécutées"

Pierre : "Ce qui me gêne, c’est le traitement qui peut être différencié selon les nationalités. Effectivement, qu’on vienne d’Afghanistan ou qu’on vienne d’Albanie, on ne court pas les mêmes risques. Mais on doit traiter les demandes individuellement, et au cas par cas. Si on commence à faire des généralités sur telle ou telle nationalité, on va passer à côté de personnes qui sont persécutées chez elles et ça me pose problème. Il nous est demandé de traiter très rapidement et en priorité les demandes d’asile des Albanais ou des Géorgiens. Certains considèrent que les Albanais et les Géorgiens encombrent le système, les Cada (Centre d’accueil des demandeurs d’asile), les places d’hébergement… Qui pourraient être allouées à des gens dont on considère qu’ils en auraient plus besoin. On fait alors un deux poids, deux mesures. Sur les dossiers de ces deux nationalités, on nous rappelle à l’ordre en nous disant qu’il faut aller plus vite. Il y a les bons demandeurs d’asile et les mauvais. Les bons viendraient de pays en guerre, et les mauvais viendraient d’Albanie ou de Géorgie parce qu’ils sont ciblés."

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"Ce ne sont pas des chiffres, ce sont des êtres humains"

Pierre : "Dans nos bureaux, on a des être humains qui nous racontent leur vie. Ce ne sont pas des migrants, des demandeurs d’asile ou des chiffres : ce sont des gens. Je pense par exemple aux Soudanais. Ils arrivent en Libye, ils se font torturer, ils voient leur femmes violées. Ils prennent la route par la mer, ils perdent un cousin, un fils. Ils viennent nous raconter ça dans l’intimité d’un box. J’ai entendu une femme qui est passé par la Libye, qui a connu des viols, même sur ses enfants, devant elle, avant de prendre le bateau. Toutes les femmes sont victimes de violences sexuelles en Libye."

Évelyne : "C’était un jeune homme qui m’a expliqué avoir dû fuir son pays en raison de son orientation sexuelle. L’entretien a duré très longtemps car c’est quelqu’un qui avait besoin de parler. C’était la première fois qu’on l’entendait parler de son orientation sexuelle. Je me souviens même du box dans lequel on était. Ce qui m’a beaucoup touchée, c’est l’émotion de ce jeune homme quand il racontait son histoire, son orientation sexuelle, sans avoir peur de cet aveu. Ce que l’on vit en tant qu’officier de protection est très fort. On partage vraiment quelque chose avec les demandeurs."

"Personne ne quitte son pays pour avoir des allocations. Ça n’existe pas."

Pierre : "Aujourd’hui, on a dépassé la crise de 2015. Le nombre de demandeurs d’asile a augmenté mais sur le territoire européen, les arrivées ont drastiquement diminué. S’il existait un mécanisme européen réel et juste de répartition des migrants, on pourrait gérer ces arrivées sans difficultés. Les 120 000 demandes pour l’État français, ce n’est pas énorme. Ce qui est problématique, c’est de mélanger immigration et droit d’asile. On pourrait sanctuariser le droit d’asile et ne pas y toucher. Chaque année, 35.000 personnes sont reconnues réfugiées en France, sur 66 millions. À priori, ce n’est pas l’invasion.

(...)  »

Voir en ligne : https://www.franceinter.fr/ce-qui-m...